Le drapeau vert et blanc pâlit dans l’Est ontarien

Le drapeau franco-ontarien. Archives ONFR+

[ANALYSE]

EST ONTARIEN – Dans quelques jours, les francophones de l’Est ontarien en sauront davantage sur leur situation. La première fournée des chiffres du recensement 2016, dévoilée le mercredi 8 février, offrira un premier aperçu du portrait démographique de cette région trop souvent laissée dans l’ombre.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Car derrière sa réputation de « grenier agricole » de l’Ontario, l’Est ontarien comprend surtout quelque 80 000 Franco-Ontariens. Dans Glengarry-Prescott-Russell (GPR), l’une des deux régions de ce vaste territoire, les francophones restent même en majorité. Une situation inédite, bien que le grignotement a déjà débuté si l’on en croit les chiffres des derniers recensements.

Le rouleau compresseur de l’assimilation continue de faire des dégâts dans l’Est ontarien. En 2011, le consultant Ronald Bisson publiait une étude sombre de l’immigration d’expression française dans cette circonscription. Chiffres à l’appui, il montrait que l’immigration francophone y demeurait cinq fois moins élevée que l’immigration anglophone.

L’équation est souvent simple : pour les travailleurs d’Ottawa – majoritairement anglophones – l’Est ontarien demeure l’endroit de résidence idéal… au risque de heurter quelque peu les identités autrefois francophones de Rockland ou encore Embrun.

À la lecture du document de Ronald Bisson, beaucoup se sont retroussés les manches, ont commencé « le travail de sensibilisation ». Force est d’admettre qu’aucune mesure concrète n’a été prise pour enrayer le phénomène. Aux dernières nouvelles, on s’en remet tant bien que mal à une éventuelle augmentation du chiffre d’immigration francophone toujours bloqué aux alentours de 2 %.

En six ans, les alertes se sont pourtant multipliées dans l’Est ontarien. D’abord en 2012, l’Hôpital de Cornwall suscitait la polémique en modifiant les critères d’embauche pour favoriser le bilinguisme de ses employés. Une mesure qui réveillait le french bashing de militants anglophones.

Deux ans plus tard, les francophones constataient la fragilité du Collège d’Alfred, une institution scolaire pour la région soudainement sous le coup d’une menace de fermeture…

Entre temps, le Conseil district catholique de l’Est ontarien (CSDCEO) a annoncé la vente de plusieurs de ses écoles, devant l’incapacité de remplir les établissements, tandis que Le Reflet, journal respecté des villes d’Embrun et Casselman, devenait bilingue. Sur les médias sociaux, on ne compte plus les remarques sur tel ou tel commerce de Hawkesbury ou de Rockland n’offrant pas (ou plus) les services en français. Sentiment de fin d’une époque…

Lorsque le bateau tangue, on se tourne toujours vers les membres de l’équipage. Mais l’ACFO Prescott-Russell, le principal représentant des francophones, est aujourd’hui confrontée aux écueils de beaucoup d’organismes en milieu minoritaire : des subventions trop faibles, et un roulement des employés trop important pour espérer jouer un rôle majeur. À tel point que le fameux projet souhaité par l’association d’un sommet sur le bilinguisme est actuellement laissé sur la glace.

Sortir de l’ornière de l’anglicisation est un immense défi qui ne se fera pas sans une sérieuse impulsion. Et à ce jeu-là, les élus locaux ont une responsabilité. Un transport en commun beaucoup plus efficace entre les villes, ou encore des infrastructures d’accueil des immigrants, pourraient être des signaux positifs envoyés aux éventuels nouveaux arrivants francophones tentés de poser d’abord leurs valises à Ottawa.

L’affichage commercial bilingue peut aussi représenter une solution. D’autant que seules quatre des huit municipalités de GPR ont fait ce choix entre 2006 et 2012. Les autres, à l’instar de Hawkesbury, ne sont toujours pas chaudes à l’idée.

Anticiper reste pourtant la meilleure manière de repousser l’anglicisation. Un « oui » au projet des élus – encore francophones – en 2017 aurait plus de sens qu’un « no thanks » d’élus anglicisés, dans quelques années.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit le 4 février.