« Le français en Louisiane reste fragile », alerte une professeure franco-américaine

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Amanda Lafleur, ex-professeure à l'Université de Louisiane, participe cette semaine à une conférence sur la diversité culturelle et linguistique. Gracieuseté

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

À l’origine d’un curriculum de français à Bâton Rouge, capitale de la Louisiane, Amanda Lafleur, professeur de français à la retraite, est l’une des conférencières de l’université d’été du Centre de la francophonie des Amériques.

LE CONTEXTE :

Des francophones du continent se réunissent tout au long de la semaine à l’Université de Louisiane, à Lafayette, pour débattre de l’avenir du français sur le continent. Une première dans cet État du Sud où le français occupe une place historique.

L’ENJEU :

La langue française est en recul aux États-Unis, au Canada et en Amérique latine, mais des initiatives locales tentent de surfer sur la vague du multilinguisme pour raviver la flamme francophone sur un continent qui compte 33 millions de locuteurs.

« Comment décririez-vous l’état du français en Louisiane?

Ça reste fragile car de moins en moins de locuteurs apprennent le français à la maison. On doit aussi faire attention à bien représenter notre parlé, différent du français standard. Sinon on s’expose à des phénomènes de surcorrection.

D’un autre côté, le français était auparavant enseigné seulement 30 minutes par jour avec des enseignants très sérieux mais ce n’était pas suffisant, alors qu’à c’teur, grâce aux programmes d’immersion, ceux qui apprennent le français le parlent vraiment et sont capables de communiquer. De toute façon, il faudra toujours veiller sur ça.

Comment préserver cette spécificité linguistique?

Il est extrêmement important de documenter les différents dialectes régionaux qu’on entend afin de laisser des outils, des documents, des exemples de la réalité du français parlé. La création du dictionnaire du français louisianais, il y a une dizaine d’années, en est un exemple. En faisant ainsi, on laissera des trésors aux générations qui n’auront peut-être plus de contact avec des locuteurs comme nous on a eu la chance de les connaître.

Sans ces ressources, on risque de finir avec un français importé. Si le français existe toujours aujourd’hui, on doit le doit aux enseignants québécois, acadiens, africains, français, belges venus aider durant près de 50 ans, mais il y a eu aussi une évolution dans l’approche à adopter pour préserver et reconnaître le français d’ici.

Comment vous y êtes-vous prise pour créer un curriculum en français louisianais à l’Université de Louisiane à Bâton Rouge?

Je cherchais surtout à créer des activités authentiques et accessibles aux étudiants suivant leur niveau linguistique. Il s’agissait de leur demander d’enquêter auprès des membres de leur famille pour chercher une recette, la transcrire et l’expliquer : comment fait-on un gombo ou encore un pain perdu… Puis, on a travaillé sur les contes folkloriques, cherché des histoires, des blagues, des récits au passé, etc. À travers la qualité remarquable de leurs travaux, on a découvert toutes sortes de caractéristiques dialectales et traditionnelles. C’était une expérience linguistique tout autant que documentaire.

Quelle est la plus grande difficulté dans la transmission du français local?

Il faut bien comprendre que la grande majorité des Franco-Louisianais ne sont pas lettrés. Ils ne peuvent ni lire ni écrire le français qui est ici une langue essentiellement orale. C’est une vraie langue mais, si on veut la légitimer, il faut l’écrire, documenter ses variations.

Le statut officiel du français influence-t-il sa cohabitation avec l’anglais?

Pas vraiment. C’est un statut plus symbolique qu’autre chose, car presque plus personne n’est monolingue francophone ici. Ce qui fait que ce statut qui existe toujours légalement n’est pas vraiment mis en pratique. »

Devrait-on enseigner étroitement le français et le créole?

Oui, je crois bien. Dans mes cours, je donnais toujours des notions de créole, surtout si des étudiants sont de souche créole, afin de les préparer à leurs recherches sur le terrain. Le créole est vraiment en danger de disparaître.

Que manque-t-il à cette langue pour s’affirmer et s’étendre dans la vie quotidienne?

On aurait besoin d’avoir plus d’activités sociales, parascolaires et intergénérationnelles pour que les petits aient plus de contact et d’occasion de parler. Ça pourrait vraiment aider à l’épanouissement en français, au-delà de l’instruction dans les écoles. Ça prendrait des centres francophones mais aussi un ralentissement de la vie pour avoir moins de distractions quotidiennes dans la culture anglo-américaine qui nous entoure. Il ne faut pas oublier qu’on est en compétition avec cette culture. C’est une dure réalité. »