Le français reculerait à l’extérieur du Québec d’ici 2036

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OTTAWA – Dans une étude publiée le mercredi 25 janvier, Statistique Canada prévoit une diminution du poids démographique des francophones à l’extérieur du Québec. En 2036, ceux-ci ne représenteront plus qu’entre 2,7 % et 2,8 %, contre 3,8 % en 2011.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

L’étude, intitulée Regard sur l’immigration, la diversité ethnoculturelle et les langues au Canada, 2011 à 2036 dresse le portrait démographique du Canada pour les années à venir. Et si l’immigration devrait continuer d’augmenter au cours des prochaines années, particulièrement en provenance de l’Asie, celle-ci pourrait avoir des répercussions sur « la diversification des communautés de langue officielle et sur le portrait linguistique du Canada d’ici 2036 », note-t-on.

De fait, si le français demeurera la langue maternelle la plus importante après l’anglais, avec 7,8 millions de personnes en 2036, selon les projections, son poids démographique devrait diminuer dans le même temps, aussi bien au Québec qu’à l’extérieur de la Belle Province.

Cette diminution du poids du français comme langue maternelle touchera également l’anglais. En 2036, on prévoit que plus du quart de la population canadienne aura une langue maternelle autre que le français ou l’anglais. La proportion des populations de langue maternelle française passera, quant à elle, de 21,3 % en 2011 à 17 % ou 18 % en 2036.

Toutefois, une forte majorité de la population canadienne devrait continuer à parler l’anglais ou le français le plus souvent à la maison. Au total, entre 82 % et 85 % de la population canadienne parlerait le plus souvent à la maison l’une ou l’autre des deux langues officielles en 2036, mais l’utilisation du français comme principale langue d’usage à la maison pourrait cependant connaître un recul passant de 21 % en 2011 à environ 18 % en 2036. Ce pourcentage serait de seulement entre 1,8 % et 1,9% de la population canadienne à l’extérieur du Québec.

De plus, le français connaîtra un recul comme première langue officielle parlée d’ici 2036. Même si ses effectifs connaîtront une hausse, passant de 7,8 millions en 2011 à entre 8,6 et 9,2 millions de personnes en 2036, son poids démographique passera de 23 % de la population du Canada en 2011 à moins de 21 % dans 25 ans. À l’extérieur du Québec, ils ne seraient plus qu’entre 3 % et 3,6 % à utiliser le français comme première langue officielle parlée en 2036, contre 3,9 % en 2011.

Autre motif d’inquiétude, malgré une hausse du nombre de locuteurs, le pourcentage de la population canadienne capable de parler le français pourrait diminuer entre 2011 et 2036 passant de 29,8 % en 2011 à entre 27,6 % et 28,4 % en 2036.

Le bilinguisme chez les francophones à l’extérieur du Québec continuerait pour sa part d’augmenter. D’un taux d’un peu moins de 39 % en 2011, celui-ci pourrait atteindre près de 49 % en 2036.

Il s’agit de la première étude de Statistique Canada qui s’intéresse à l’évolution des langues du Canada dans le futur, explique l’analyste principal, René Houle, qui met en garde contre toute conclusion trop hâtive.

« Il s’agit de projections et non de prévisions. Ces chiffres peuvent changer selon plusieurs facteurs, notamment la situation économique, et nous avons élaboré plusieurs scénarios en tenant compte de la tendance actuelle. C’est la première fois que nous faisons un exercice de projection sur les langues. Nous avons beaucoup de demandes là-dessus, notamment de la part d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada qui veut augmenter l’immigration francophone à l’extérieur du Québec et de Patrimoine canadien qui surveille l’évolution des langues officielles au pays. »

Croissance en Ontario

La baisse du nombre de personnes ayant le français comme langue maternelle devrait toucher l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Manitoba et la Saskatchewan.

Toutefois, pour ces deux dernières provinces, comme pour Terre-Neuve-et-Labrador, le nombre de personne qui auront le français comme première langue officielle parlée pourrait afficher une stabilité ou une faible hausse de ses effectifs entre 2011 et 2036.

L’Ontario, l’Alberta, la Colombie-Britannique et les territoires verraient leur population qui utilise de langue française comme première langue officielle croître de façon générale entre 2011 et 2036, selon Statistique Canada.

Mais les régions francophones de l’Ontario, à l’exception d’Ottawa, devraient enregistrer une baisse de leur population de langue française entre 2011 et 2036. Dans le Grand Sudbury, par exemple, la baisse pourrait se chiffrer à environ 8 000 personnes.

« Mais c’est tout simplement parce que dans ces régions, on observe une baisse générale de la population. Ça ne concerne pas que les francophones. Les populations y sont vieillissantes et les difficultés de trouver un emploi jouent sur ce phénomène », explique M. Houle.

Immigration

Mais des motifs d’espoir peuvent exister pour les francophones en milieu minoritaire. Au moment où les organismes francophones à l’extérieur du Québec pressent le gouvernement fédéral de développer des stratégies pour augmenter l’immigration francophone dans leurs communautés, l’étude montre notamment l’importance que prendra l’immigration pour redessiner le paysage linguistique du Canada.

Selon l’étude, près d’un Canadien sur deux devrait être un immigrant ou un enfant d’immigrant en 2036. La proportion d’immigrants au sein de la population canadienne pourrait atteindre entre 24,5 % et 30 % en 2036, comparativement à 20,7 % en 2011.

Cette population immigrante devrait se concentrer dans les régions métropolitaines, et plus particulièrement à Toronto, Montréal et Vancouver. La Ville Reine devrait accueillir entre 33,6 % et 39,1 % de tous les immigrants du Canada.

Reste donc, pour les communautés francophones en situation minoritaire à s’assurer que parmi ces immigrants arrive un nombre suffisant de francophones qui continuent de parler le français.

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada juge que cette étude constitue un argument de poids pour que le gouvernement agisse en matière d’immigration francophone à l’extérieur du Québec, mais aussi en matière d’accès à l’éducation de langue française et de petite enfance.

« Ce sont des projections à prendre avec des pincettes, mais elles tracent un avenir possible. Si on veut que le français reste un socle important de la société canadienne et que les communautés francophones en situation minoritaires atteignent leur plein potentiel, il faut investir et corriger le tir. Cette étude nous donne un argument de plus auprès du gouvernement. Cela nous dit que si on ne fait rien, si on maintient le statu quo, la situation peut potentiellement être dévastatrice », analyse la présidente de l’organisme, Sylviane Lanthier.