Le journal LeDroit vendu à un nouveau groupe de presse québécois

Archives ONFR+

OTTAWA – Le seul quotidien francophone ayant ses assises en Ontario est passé dans le giron d’un nouveau groupe de presse québécois, le mercredi 18 mars. LeDroit est devenu la propriété du groupe Capitales Médias, dont l’unique actionnaire est l’ex-ministre libéral fédéral Martin Cauchon.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @SebPierroz

Le journal centenaire ayant pignon sur rue dans le marché By, à Ottawa, a suivi les cinq autres publications du groupe Gesca dans la transaction dont la valeur n’a pas été divulguée.

La vente du Droit à la nouvelle entreprise de presse de M. Cauchon, dont les bureaux seront logés à Québec, a vite semé des inquiétudes chez des lecteurs franco-ontariens du journal. C’est que déjà sous la houlette du groupe Gesca, la couverture de l’actualité ontarienne avait commencé à s’éclipser derrière celle de l’Outaouais québécois, où les abonnés demeurent plus nombreux.

« Est-ce la fin pour le journal franco-ontarien? », pouvait-on lire sur Facebook, dans les minutes qui ont suivi l’annonce de la transaction.

L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) a fait preuve d’un optimisme prudent.

« Avec un nouveau propriétaire, on espère que LeDroit sera en mesure de maintenir sa couverture de l’Ontario français et peut-être d’en élargir la portée », a réagi Denis Vaillancourt, président de l’AFO lorsque joint par #ONfr. « LeDroit est né d’une crise scolaire et il a toujours été là, par la suite, pour couvrir les grands dossiers de l’Ontario français. »

LeDroit a vu le jour en 1913 pour défendre les intérêts des francophones de l’Ontario après l’adoption à Queen’s Park du Règlement XVII, qui limitait l’enseignement du français dans les écoles de la province. Le journal a appartenu à la communauté des pères Oblats de Marie Immaculée pendant six décennies avant d’être vendu à des intérêts privés, notamment Hollinger et plus tard Gesca.

Spécificité franco-ontarienne

« Oui, le journal LeDroit a une spécificité du fait qu’il a été créé par un groupe religieux pour la défense de la francophonie. Mais avant tout, il faut surtout s’interroger aujourd’hui sur la survie de l’institution et la capacité à faire des profits. Trouver un modèle économique viable », a décanté le professeur Marc-François Bernier, un spécialiste des médias de l’Université d’Ottawa, à #ONfr. « Il faudra attendre le montage financier. Celui-ci nous dira, par exemple, s’il y a des dettes qui se sont amassées. Une grosse partie du portrait nous manque pour le moment. »

Martin Cauchon, lui, s’est targué d’avoir mis sur pied un « un groupe indépendant au Québec qui est commis à l’information régionale ». Il n’a fait aucune mention de la spécificité du Droit, situé à cheval sur deux provinces et desservant en partie un lectorat en situation minoritaire.

Le nouveau baron de la presse écrite a fait savoir que La Presse, journal phare de Gesca, et les journaux régionaux du groupe n’évoluaient plus dans la même trajectoire depuis déjà quelques temps. « Dire que c’était un sort incertain au sein de Gesca était un euphémisme », a-t-il dit au sujet de ses acquisitions lors d’un point de presse à Québec, le 18 mars.

« On sait que le développent de La Presse notamment avec La Presse + s’annonçait assez lourd », a signalé Jacques Pronovost, président et éditeur du Droit, à #ONfr. « Cette annonce peut au contraire nous donner encore plus d’envergure régionale. »

Le groupe Capitales Médias aura aussi à sa tête Claude Gagnon, patron des journaux régionaux de Gesca et ex-éditeur du Droit. « Il n’y aura pas de changement dans les contenus demain matin », a-t-il précisé, ajoutant du même souffle que le nouveau groupe de presse se concentrera à l’avenir sur l’« information de proximité ».

Le papier « là pour rester »

Les éditions papier, que Gesca cherchait à remplacer par l’application pour tablettes intelligentes La Presse +, seraient « là pour rester dans les régions », selon M. Gagnon. Il serait, par ailleurs, « trop tôt » pour dire s’il y aura des compressions au sein du nouveau groupe de presse.

« On a rencontré les employés ce matin. Il y avait un effet de choc et de surprise », a partagé M. Pronovost. « Il n’y aura pour l’instant pas de changement majeur au niveau de l’information », a-t-il poursuivi. « Je n’ai pas le sentiment que l’information franco-ontarienne se porte mal. Peut-être dans les autres journaux, mais pas au Droit. C’est une fausse notion de penser ça », s’est-il finalement défendu.

Avocat de formation, Martin Cauchon a été ministre fédéral du Revenu et de la Justice et, plus récemment, candidat à la direction du Parti libéral à Ottawa. Il a dit devant la presse que « la politique était maintenant loin derrière (lui) ».

Le nouveau grand patron du Droit – et aussi du Nouvelliste de Trois-Rivières, du Quotidien de Saguenay, du Soleil de Québec, de La Tribune de Sherbrooke et de La Voix de l’Est de Granby – n’avait aucune expérience connue dans la gestion de journaux avant de se porter acquéreur du portefeuille régional de Gesca.

« J’ai une inquiétude sur l’indépendance des journalistes », a relancé Marc-François Bernier. « Il y a deux ans, M. Cauchon, ancien ministre, voulait devenir chef du Parti libéral du Canada », a-t-il rappelé, dubitatif.

Denis Vaillancourt a dit, pour sa part, vouloir rencontrer le nouveau propriétaire du Droit dès « les prochaines semaines » pour lui rappeler la « mission originale » du journal. Une mission d’information à l’égard de la minorité francophone de l’Ontario « qui est en perte de vitesse » depuis quelques années, a-t-il fait remarquer à #ONfr.