Le maire de Hearst veut interdire le cannabis en public

La municipalité de Hearst, dans le Nord ontarien. Archives ONFR+

HEARST – Fraîchement réélu, le maire de Hearst, Roger Sigouin, a aussitôt confirmé qu’il comptait interdire la consommation de cannabis dans les espaces publics, tout comme bloquer l’arrivée de magasins dans sa communauté. Mais ses propositions risquent de ne pas passer comme une lettre à la poste : de nouveaux conseillers s’opposent à ces restrictions.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« Je suis de la vieille école, je vais pousser fort pour qu’il n’y ait pas de cannabis dans les espaces publics. Les gens fumeront le cannabis dans leur maison entre leurs quatre murs, mais pas dans nos parcs ou sur les trottoirs », tranche celui qui a obtenu la confiance des citoyens pour un cinquième mandat consécutif.

Il affirme qu’il faut être encore plus sévère pour le cannabis que pour la cigarette, ce qui ne cadre pas avec la position énoncée depuis quelques semaines par la Procureure générale de l’Ontario, Caroline Mulroney. Cette dernière répète qu’il est possible de consommer du cannabis là où l’on peut consommer des cigarettes.

« Nous n’avons pas les ressources pour gérer le cannabis dans les petites communautés », affirme M. Sigouin, qui est persuadé que les citoyens feront les frais de ces changements. « Déjà, la Police provinciale de l’Ontario m’a dit qu’un ou deux agents de plus seraient nécessaires ici. On parle de plusieurs centaines de milliers de dollars, en plus, pour surveiller le cannabis. Qui va payer vous pensez? », lance-t-il.

Le nouveau conseiller municipal, Gaëtan Baillargeon, donne son appui au projet du maire. « Je suis d’accord que ça ne doit pas être vu comme la cigarette. Ça a plus à voir avec l’alcool. On ne voudrait pas que les gens boivent devant nos enfants, ça doit rester dans les bars. C’est similaire pour le cannabis, ça n’a pas sa place dans les rues », affirme celui qui avait été défait à titre de candidat libéral, lors de l’élection provinciale en juin.

Le gouvernement de Kathleen Wynne proposait d’ailleurs d’interdire la consommation de cannabis sur la voie publique.

Un face à face à prévoir

Certains conseillers affichent cependant déjà leurs couleurs et ne comptent pas donner leur appui au maire dans ce dossier. C’est le cas de Marc Ringuette. « Le maire sait qu’on est plusieurs à ne pas être d’accord avec lui. Oui, on doit avoir un magasin de vente de cannabis à Hearst. C’est légal, maintenant! On veut des emplois pour la communauté et garder l’argent ici, sinon les gens iront en acheter ailleurs », dit-il.

« Ce magasin sera un bienfait pour notre communauté, mais évidemment, il devra être loin des écoles. Et je crois qu’il sera important de consulter la population, par exemple, grâce aux réseaux sociaux », dit-il.

Josée Vachon dit vouloir faire preuve de prudence, mais partage néanmoins une vision qui se rapproche de M. Ringuette. « Le maire a encore la possibilité de changer d’idée. Je crois qu’il faut évaluer le projet en groupe. Il faut se faire à l’idée : il va y avoir du cannabis. L’industrie du cannabis est très populaire, si on n’en a pas chez nous, ça va venir d’ailleurs », confie-t-elle.

« J’ai besoin de plus d’informations avant de trancher, mais les temps changent et il faut s’adapter », ajoute-t-elle.

À 31 ans, Joël Lauzon est dorénavant le plus jeune conseiller municipal de Hearst. « Je suis en faveur de la consommation en public et de l’ouverture d’un magasin », indique-t-il. « Il y a des gens qui ont des valeurs plus traditionnelles, d’autres sont plus progressistes. C’est un débat très polarisant. Moi, je suis de l’école de pensée que les gens ont le droit à leur liberté. Quand les choses se font en cachette, ça n’aide pas nécessairement, au contraire », ajoute-t-il.

M. Lauzon apporte cependant un bémol. « Moi, la fumée ça me dérange. C’est ça, ma limite. Dans un événement public en plein air, il faudra prévoir une zone comme pour la cigarette pour que les autres ne subissent pas la fumée », précise-t-il. « Je souhaite un débat civilisé sur la question à Hearst. Et je serai à l’écoute des citoyens et sensible à leurs positions, même si elle est différente de la mienne », insiste le conseiller municipal nouvellement élu.

Il n’a pas été possible de rejoindre les autres conseillers municipaux, malgré nos tentatives à cet effet.

Le flou gouvernemental dénoncé

Alors qu’au Québec, des dizaines de villes ont interdit la consommation de cannabis en public, peu l’ont fait en Ontario. L’ancien conseil municipal de Markham a été l’une des seules villes à adopter pareil règlement. Cela s’est produit le 16 octobre, soit la veille de la légalisation. Est-ce la conséquence des élections municipales? Peut-être, mais aussi d’un flou alimenté par le gouvernement, selon Roger Sigouin.

« C’est vague, tout le monde se cherche. On va trop vite et nous n’avons pas les outils ou les ressources pour étudier tout ça. On ne peut pas faire le travail qui devrait être fait par le fédéral et le provincial », dit-il, ajoutant ne pas encore avoir eu toutes les informations nécessaires pour savoir quel genre de règlement les villes peuvent adopter pour faire le contrôle du cannabis. « Même à l’Association des municipalités de l’Ontario, il y a un gros point d’interrogation », renchérit-il.

#ONfr a interpellé à ce sujet le ministère de la Procureure générale de l’Ontario, Caroline Mulroney. « En vertu de la Loi sur les municipalités, ce sont aux Villes à déterminer comment elles vont mettre en œuvre leur autorité législative, par exemple en prenant des décisions au niveau local pour empêcher de fumer du cannabis », a indiqué une de ses porte-paroles. Caroline Mulroney a indiqué au cours des derniers jours que les villes pourront adopter des règlements en ce sens.

La Procureure générale et ministre déléguée aux Affaires francophones, Caroline Mulroney. Crédit image : Jackson Ho

Les nouveaux conseillers municipaux de Hearst n’entreront pas en poste avant le mois de décembre. Si une interdiction doit avoir lieu, elle débuterait alors autour du temps des fêtes ou à la nouvelle année, indique le maire Roger Sigouin. « On est sept au conseil municipal, je vais me plier à la décision de la majorité », dit-il.

Il y a sept élus à Hearst, incluant le maire, quatre votes sont donc nécessaires pour qu’une interdiction aille de l’avant.