Le moment pour Ford de retourner ses cartes

Le premier ministre Doug Ford et son ministre des Finances, Vic Fedeli. Archives #ONfr

[ANALYSE]

TORONTO – Rares sont les énoncés économiques du gouvernement qui avaient attiré autant les regards, les espoirs… mais aussi les craintes. Nul doute que l’annonce du ministre des Finances, Vic Fedeli, jeudi à Queen’s Park, sera le premier véritable rendez-vous du gouvernement Ford avec les citoyens. 

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

L’énoncé économique de la province représente une sorte de mise à jour des comptes du gouvernement à mi-chemin entre les deux budgets déposés. On y parle un peu de projets, de lignes directrices dans l’économie, mais beaucoup de chiffres.

Depuis quelques semaines, Doug Ford aime se référer à ces fameux chiffres. La méthode de calcul pour déterminer le budget provincial diffère manifestement entre son équipe et le précédent gouvernement. Quand les premiers parlent d’un trou de 15 milliards de dollars dans les finances, les libéraux ne voyaient que 6,7 milliards de déficit au moment de quitter le pouvoir en juin dernier.

Au-delà de l’éternel débat de savoir qui a tort ou raison, le chef progressiste-conservateur pourrait être contraint de revenir sur sa promesse de campagne : aucun emploi coupé dans la fonction publique ontarienne.

En vérité, tout semble même cousu de fil blanc depuis quelques semaines. D’abord la découverte « surprise » par les progressistes conservateurs d’un déficit plus élevé que prévu, puis les quolibets contre l’ancienne première ministre, Kathleen Wynne, « dépensière » et « menteuse ».

On a vu ces derniers temps un gouvernement désireux à préparer l’opinion publique à de profonds sacrifices. « Le travail devant nous sera difficile », a encore répété Vic Fedeli, la semaine dernière. Dans le même temps, le président du Conseil du trésor, Peter Bethlenfalvy, promettait « un changement de culture », et la « transformation d’une machine ».

Plusieurs hypothèses pour l’énoncé économique

Qu’est-ce que cela signifie? L’hypothèse la plus plausible serait de demander aux Ontariens de se serrer la ceinture. Traduction : moins d’argent pour les ministères. Une situation qui augurerait probablement des compressions ou l’abandon de projets.

Reste à savoir si le coût à payer serait le même pour tous ou si certains ministères seraient plus impactés. Avec la hausse des besoins pour les aînés, difficile par exemple de demander à celui de la Santé et des Soins de longue durée les mêmes sacrifices qu’aux autres.

L’autre possibilité, c’est que Doug Ford décide de revoir à la baisse sa promesse de réductions d’impôts pour la classe moyenne. Une promesse qu’il évaluait durant campagne à 786 $ par contribuable. Une décision qui permettrait d’engranger plus de recettes fiscales, et limiter la casse au niveau des compressions.

Dans tous les cas, le premier ministre fait face à un jeu d’équilibriste : contenter – ou plutôt ne pas décevoir – sa base électorale de droite excédée par les impôts, mais aussi celle plus populaire, issue des banlieues – pour qui la sécurité de l’emploi vaut tout l’or du monde.

Les francophones pas forcément épargnés

Et les francophones dans tout ça? Difficile de croire qu’ils seront à 100 % épargnés en cas de compressions. Mais le cas inverse, avec « un nouveau Montfort », est tout aussi improbable. Fort en gueule, mais plus fin politicien qu’on ne le pense, Doug Ford n’a peut-être pas envie de froisser un échantillon électoral très présent dans des circonscriptions disputées (Orléans ou Glengarry-Prescott-Russell entre autres).

Plus que jamais, il est temps pour le premier ministre de retourner ses cartes. À court terme, les valeurs montrées feront toutefois plus de perdants que de gagnants.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 12 novembre.