Le rapprochement des Franco-Ontariens et des Acadiens avec les Anglo-Québécois divise

Le directeur général de l'AFO, Peter Hominuk au micro. À sa droite, Carol Jolin, président de l'AFO, Geoffrey Chambers, président de QCGN et Robert Melanson, président de la SANB. Crédit image: Benjamin Vachet

OTTAWA – La signature d’une entente entre l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) et le Quebec Community Groups Network (QCGN) pour « l’avancement et la protection des droits linguistiques » suscite de nombreuses réactions et des avis très partagés.

« Je ne comprends rien à votre stratégie suicidaire », lance le professeur de l’Université d’Ottawa, André Samson, dans un échange de gazouillis avec le directeur général de la SANB, Ali Chaisson.

Sur les médias sociaux, la décision d’un rapprochement avec les Anglo-Québécois pour empêcher un recul des droits linguistiques des communautés de langue officielle en situation minoritaire ne fait pas l’unanimité. Pourtant, les présidents de l’AFO et de la SANB, Carol Jolin et Robert Melanson, avaient tenté de clarifier leur démarche.

« C’est une question de droits linguistiques et on va toujours travailler pour les droits linguistiques des communautés de langue officielle en situation minoritaire », argumentait le président de l’organisme porte-parole des Franco-Ontariens.

Dans les communautés francophones minoritaires, certains craignent qu’un recul des pouvoirs, voir l’abolition, des commissions scolaires anglophones au Québec puissent donner des idées dans d’autres provinces.

Déception et incompréhension

Mais alors que la société civile québécoise avait montré un élan de solidarité envers les Franco-Ontariens lors des compressions du gouvernement Ford, cet automne, et qu’une délégation de l’Ontario français vient tout juste de défiler à la Saint-Jean-Baptiste à Montréal, certains aujourd’hui s’interrogent.

« Et dire qu’il y a quelques jours, les Franco-Ontariens ouvraient le défilé de la St-Jean à Montréal… Misère… », écrit l’ancien éditorialiste du quotidien Le Droit, Pierre Allard, sur Twitter. Et d’ajouter : « Au lieu de cimenter l’alliance avec les Québécois francophones pour défendre/promouvoir la langue et la culture françaises, les organisations représentant les Acadiens et les Franco-Ontariens font cause commune avec ceux qui veulent angliciser le Québec. »

Au Nouveau-Brunswick, Fleurette Landry se désolidarise de son organisme porte-parole.

« J’ai honte en tant qu’Acadienne du Nouveau-Brunswick. S’il vous plaît, sachez que la SANB ne parle pas pour moi! », gazouille-t-elle.

À Québec, Bruno Henri Tremblay regrette d’avoir appuyé l’AFO.

« Si je pouvais reprendre mon petit don que j’avais fait pour les soutenir contre le gouvernement ontarien, je le ferais. Cette alliance est scandaleuse et je suis très déçu de nos frères et sœurs acadiens également. Vous détruisez les rapprochements des derniers mois et l’espoir d’une réconciliation. Je me sens trahi. »


« Ils méritent un Prix citron! » – Jean-Paul Perreault, président d’Impératif français


Comme M. Tremblay, l’organisme Impératif français se dit « déçu ».

« Les Franco-Ontariens ont reçu un appui considérable du Québec. Je ne comprends pas et je trouve ça dérangeant de les voir signer un protocole d’entente avec QCGN, un groupe qui travaille pour faire reculer le français au Québec. Ils ne savent clairement pas faire la distinction entre amis et ennemis », dénonce le président de l’organisme, Jean-Paul Perreault, qui invite l’AFO et la SANB à déchirer l’entente au plus vite.

Pour M. Perreault, comme pour d’autres, la réalité entre la communauté francophone minoritaire et anglo-québécoise n’est pas la même.

« Seul le français a besoin de protection, même au Québec. Les Anglo-Québécois sont bien plus une extension de la majorité anglo-canadienne au Québec qu’une minorité au sens où l’entendent les Franco-Ontariens et les Acadiens », argumente M. Allard sur Facebook.

Même son de cloche pour l’historien franco-albertain, Denis Perreaux : « Je respecte les Anglo-Québécois, mais je ne vois pas notre résistance et leur résistance comme les mêmes ».

La FCFA ne commentera pas

Certains s’étonnent du silence des autres organismes porte-parole dans ce dossier, à commencer par celui de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada.

« Y a-t-il y a une division dans la société civile francophone? Une francophonie qui promeut le rapprochement avec le Québec et une autre qui promeut un rapprochement avec les anglophones du Québec? Quelle est la cohérence de l’ensemble du mouvement francophone aujourd’hui? », s’interroge le chercheur acadien Éric Forgues.

Signe d’une division? Contactée par ONFR+, la FCFA a indiqué qu’elle n’émettrait aucun commentaire dans ce dossier.

Des appuis

Mais face à l’incompréhension et aux dénonciations de certains internautes, la politologue au Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard contextualise cette entente.

« Certains Québécois ont la mémoire courte et la critique facile. Ce sont eux qui se présentent encore et encore contre nos communautés devant les tribunaux pour tenter de limiter nos droits, notamment scolaires. Et après on se surprend qu’on se cherche d’autres alliés. »

Une référence notamment à la cause juridique de la Commission scolaire francophone du Yukon sur la gestion des admissions scolaires, en 2015, à laquelle le gouvernement du Québec s’était opposé, craignant qu’une victoire franco-yukonnaise ne bénéficie aux Anglo-Québécois.

À Gatineau, Jacques Boudreau voit d’un bon œil la volonté de rapprocher les deux communautés de langue officielle en situation minoritaire.

« Je crois que cette évolution des choses est naturelle, car en 2019, les minorités des deux langues officielles ont beaucoup en commun. »

Un avis que partage Anick, Montréalaise originaire de la Colombie-Britannique. 

« Il serait peut-être temps d’écrire notre histoire au lieu de vivre dans les querelles du passé. (…) La seule chose que je vois, c’est une annonce haut et fort que les francophones devraient être mieux traités, et que les Anglo-Québécois également. »

Heidi Pospisil dresse un parallèle entre la situation des Anglo-Québécois et la bataille des Franco-Torontois pour des écoles de langue française.

« C’est une question de droits linguistiques. Veux, veux pas, les Anglo-Québecois ont les mêmes droits constitutionnels que les Franco-Ontariens et les autres francophones du Canada. »

À noter qu’au moment de publier cet article, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal n’avait pas répondu à nos demandes d’entrevue.