Le regard des Sénégalais en Ontario sur les élections dans leur pays

Montage #ONfr

[TÉMOIGNAGES]

Le visage politique du Sénégal changera peut-être dans quelques semaines. Des millions de Sénégalais se rendront aux urnes, ce dimanche, pour élire un nouveau président. Un premier tour de scrutin qui sera aussi suivi du côté de l’Ontario par la communauté sénégalaise. #ONfr a rencontré quatre Sénégalais établis en Ontario depuis plusieurs années, pour connaître leur opinion sur la question et cerner leur vie quotidienne loin du pays d’origine.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Mouhamadou Lo (région de la capitale nationale)

Plus que jamais, Mouhamadou Lo suivra avec intérêt les nouvelles de ce dimanche. Ce résident de Gatineau, qui travaille à Ottawa comme planificateur financier, connaît très bien la politique sénégalaise. « Le vote est personnel », répond-t-il quand on l’interroge sur son choix même si « le discours de Ousmane Sonko séduit ».

Ils seront effectivement cinq en lice pour obtenir un mandat de cinq ans à la tête d’un pays composé d’environ 40 % de francophones. Parmi eux : le président sortant Macky Sall, Issa Sall, Idrissa Seck, Madické Niang, et donc, Ousmane Sonko.

Observateur, Mouhamadou Lo refuse pour autant de jeter la pierre aux autres candidats. « Le président actuel a beaucoup fait, il a quand même donné le Plan Sénégal Émergent (PSE), mais on tarde à voir les fruits de ses efforts, la pauvreté gagne du terrain. Même s’il n’est pas candidat, l’ancien président Wade a beaucoup fait aussi. Il fait partie de ces figures emblématiques, et il reste une bête politique à 92 ans! »

À la sempiternelle question de savoir ce qu’il lui manque de la capitale du Sénégal, Dakar, dont il est originaire, M. Lo étonne : « La chaleur bien sûr, mais aussi la frustration de ne pas mettre nos talents au service de notre pays d’origine. J’aimerais, avec la nouvelle technologie, trouver une formule et aider à travers la formation, les projets, pas seulement faire de l’assistanat comme envoyer de l’argent. »

Lorsqu’il rentre chez lui, le soir, Mouhamadou Lo se remet souvent au travail pour Convergence Culturelle Africaine. Cette association composée de 95 % de Sénégalais œuvre pour une meilleure intégration des immigrants au Canada. « L’objectif reste de mieux vivre au Canada. »

Khady Ndoye (Toronto)

Khady Ndoye, la trentaine, est une heureuse résidente de Toronto depuis six ans. Pas question pour elle de quitter le Canada. « On a ici cette liberté d’être la personne qu’on souhaite être. Ce n’est pas le cas ailleurs. Bien que Sénégalaise, je suis née et j’ai grandi en France. Là-bas, par exemple, pour la photo du CV, je me sentais mal d’avoir les cheveux crépus. »

La jeunesse de Khady Ndoye ne s’est pas déroulée seulement en banlieue parisienne. L’été, c’était souvent le Sénégal qui était choisi comme lieu de vacances. « La nourriture, les gens, l’atmosphère, c’est très différent à Toronto. Certains fruits sénégalais comme le madd, je n’arrive pas à les trouver ici, à Toronto. De même, il n’y a pas dans cette ville un restaurant sénégalais. Donc, je vais à Montréal pour en trouver! »

Khadi Ndoye, résidente de Toronto. Gracieuseté : Khadi Ndoye.

Mais pourquoi au final avoir choisi Toronto? « Déjà pour la pratique de l’anglais, et je voyais plus d’opportunités d’immigrer à Toronto. Quand je partais, on me disait que le marché de l’emploi était saturé à Montréal. Aujourd’hui, je travaille d’une certaine façon en français puisque je suis professeure de français et d’espagnol dans une école privée chinoise. »

Pour les élections ce dimanche, Khady Ndoye ne votera pas directement à l’Ambassade du Sénégal. Elle le fera grâce à une procuration envoyée à sa sœur.

« J’y crois fort, c’est la première fois que je suis aussi tendue pour des élections. Je suis pour Ousmane Sonko. Je pense qu’il peut amener du renouveau…. Je suis en même temps très angoissée, car il y a une effervescence derrière lui, mais les gens n’ont pas la liberté de dire qu’ils sont pour lui. On ne sait pas ce qui va se passer derrière. »

Oumar Watt (Ottawa)

Notre troisième intervenant, Oumar Watt, sera très occupé ce dimanche. Et pour cause : « Je vais siéger à un bureau de vote à Ottawa, pour surveiller le scrutin. Les Sénégalais vont aller voter, mais il n’y a pas de rassemblement prévu. »

Employé à la Société d’assurance-dépôts du Canada, Oumar Watt ne dira pas pour qu’il votera. Chose certaine, l’engagement pour son candidat est indéfectible. « On essaye de mobiliser des fonds pour la campagne, on participe financièrement au niveau des idées…. On tient des réunions, on a chacun dans son domaine participé à l’élaboration du programme. »

Comme les trois autres personnes interrogées, Oumar Watt parle de l’enjeu des ressources au Sénégal. Un thème important de la campagne puisque des gisements de pétrole et de gaz ont été découverts, il y a quelques années. « Il manque des leaders honnêtes, qui sont patriotes, et qui mettent le pays avant tout pour gérer ces ressources. Il nous manque de la bonne gouvernance, moins de corruption! »

Contrairement à beaucoup préférant Montréal ou Toronto, lui a coché directement Ottawa au moment de faire ses valises à Dakar, en 2007. « J’ai utilisé beaucoup de sites, épluché pas mal de forums pour voir les meilleurs endroits qui correspondaient à ce que j’attendais en termes de perspectives d’emploi, mais aussi un endroit bilingue pour améliorer mon niveau anglais. J’ai toujours préféré les villes de taille moyenne du type d’Ottawa. »

À savoir s’il se considère aujourd’hui comme Franco-Ontarien, la réponse ne fait pas de doute. « Oui, oui absolument… mais je suis un citoyen du monde en fait. Dans chaque pays, on trouve toujours le meilleur de ce qui est. »

Alioune Dramé (Toronto)

En mai prochain, Alioune Dramé fêtera ses dix ans sur le sol canadien. Mais rien ne le prédestinait pourtant à un destin en terre ontarienne. « Le Sénégal est un pays francophone, donc mon immigration a été faite sur la base de Québec. » Sauf qu’une fois sur place à Montréal, il déchante rapidement. « C’était compliqué et bizarre pour trouver du travail. Il y avait une touche raciste dans les entretiens. »

Dans la Ville reine, Alioune Dramé trouve rapidement du travail au Groupe Média TFO, une entreprise dans laquelle il évolue toujours, dix ans plus tard. Un environnement francophone au travail, mais aussi dans sa vie privée.

« Je suis installé avec ma femme sénégalaise et mes trois enfants. Le fait que je sois marié avec une Sénégalaise fait qu’on a la même culture, donc du coup, c’est plus facile de leur transmettre l’éducation et la culture comme les plats sénégalais, la manière de manger. »

De quoi même revendiquer sans hésitation son identité franco-ontarienne. « Ce groupe de francophones m’a permis de m’intégrer au Canada, c’est un peu comme un repère. La plupart de mes amis sont francophones, c’est le dénominateur commun. »

Pour l’élection présidentielle de ce dimanche, son choix est en tout cas déjà fait. « Je vais voter Ousmane Sonko. Il prône l’indépendance avec la France. Il veut que les Sénégalais puissent profiter des ressources. L’or et le pétrole sont sous la mainmise de la France! »

Et de conclure : « A Toronto, la communauté sénégalaise est relativement forte, d’ailleurs on a ouvert un bureau de vote, cette année, pour l’élection présidentielle. »