L’École secondaire catholique Garneau ou l’émergence d’un patrimoine moderne franco-ontarien

École secondaire Garneau
La forme de l'École secondaire catholique Garneau est inspirée d'une pyramide aztèque. Crédit image: Diego Elizondo

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

[CHRONIQUE]

Cette chronique paraît au moment où débute le second semestre des écoles secondaires de la province. Rien de nouveau à l’École secondaire catholique Garneau d’Orléans, dans l’Est d’Ottawa, car l’école qui fête cette année son 50e anniversaire de fondation fonctionne selon un calendrier semestriel depuis son ouverture, en 1972. C’était l’une des nombreuses nouveautés scolaires de l’école de l’époque, qui s’incarnait tant dans la pédagogie que dans une architecture originale, éclatée et innovatrice.

Alors que ma chronique précédente portait sur le 100e anniversaire de l’église catholique de Saint-Joseph d’Orléans, symbole historique de la localité, cette chronique peut être perçue comme une suite officieuse. De Saint-Joseph à Garneau, deux institutions franco-ontariennes d’Orléans franchissent le cap d’anniversaires importants et consolident leurs places dans le patrimoine franco-ontarien.

Suite à l’adoption des lois provinciales 140 et 141 en 1968, les Franco-Ontariens ont obtenu leurs écoles secondaires publiques de langue française. Dans l’Est d’Ottawa, le comité consultatif de langue française du Carleton Board of Education – composé notamment des militants franco-ontariens Vincent Barsona et de Rolande (Soucie) Faucher – réussit à convaincre sans heurts, en 1970, le conseil scolaire de construire sa première école secondaire francophone à Orléans.

Elle portera le nom de Garneau, choisi en l’honneur selon toute vraisemblance de François-Xavier Garneau (1809-1866), premier historien national du Canada français. Ce nom rappelle aussi et surtout l’École primaire Garneau (1888-1969) de la Côte-de-Sable d’Ottawa.

C’est la firme d’architecte Schoeler, Heaton, Harvor, Menendez d’Ottawa qui dessine les plans de l’établissement de style expressionniste, s’inspirant de l’extérieur de Glen Ogilvie Public School d’Alex Heaton à Blackburn Hamlet (1968). Le cofondateur de la firme, Paul Schoeler, est un architecte né à Toronto en 1923 de parents français, qui fera carrière à Ottawa.

En ligne avec la mode psychédélique de l’époque

Les écoles secondaires Garneau et Charlebois contribueront pour beaucoup dans la consolidation de la réputation de cette firme reconnue pour ses bâtiments au style expressionniste et progressiste. Fait tout à fait nouveau (mais qui peut nous paraître comme allant de soi aujourd’hui), les architectes sondent le pouls des élèves pour connaître leurs souhaits quant à la configuration de l’école.

Ils veulent entre autres se départir du modèle dominant des écoles aux longs corridors impersonnels et oppressants, aux plafonds bas, comme l’architecture fonctionnaliste scolaire de l’époque en produisait en masse. Les architectes conçoivent alors, au centre de l’école, une grande rue intérieure (un « mail »), haute de deux étages qui traverse tout le bâtiment. Cette véritable colonne vertébrale de l’édifice sert de lieu d’échange, de rencontre et de convergence. Les casiers, jugés encombrants, bien qu’utiles, sont relégués au sous-sol pour dégager l’espace.

Les couleurs de l’école sont éclatées et multicolores en vogue avec la mode psychédélique de l’époque : murs bleus et tapis mauves. C’était du jamais vu pour une école et cela tranchait nettement avec le style austère des écoles de style fonctionnalistes construites jusqu’alors et dont les dimensions et formes du bâtiment n’avaient que pour souci l’efficacité.

L’intérieur de l’École secondaire Garneau dans les années 1970. Crédit image : Schoeler & Heaton Architects

À l’extérieur, l’École secondaire Garneau est formée de murs de béton, recouverts d’aluminium peint, en forme de trapèze qui descendent en pente du toit jusqu’au sol. Ses fenêtres sont de type meurtrière.

Les architectes ont incorporé l’aluminium dans la construction pour souligner la francophonie. Ces derniers avaient justifié leur choix en raison du fait que le Québec est l’un des plus grands producteurs d’aluminium au monde.

Rappelons que la construction de l’École secondaire Garneau survient avant l’apparition du symbole par excellence de la communauté, le drapeau franco-ontarien, hissé pour la première fois trois ans plus tard à Sudbury.

L’École secondaire Charlebois dans la même veine architecturale

Bâtie par le prolifique promoteur Daoust Construction au coût d’environ 3,5 millions de dollars, l’école mixte de type semestrielle, qui a pour devise « Apprendre pour devenir » ouvre ses portes en septembre 1972 avec 684 élèves (surnommés « Gaulois ») de la 9e à la 11e année et compte 40 enseignants.

Construite simultanément avec l’École secondaire Garneau, mais dans le quartier Alta Vista d’Ottawa, l’École secondaire Charlebois (une autre école secondaire publique de langue française et pionnière de cette époque) est l’œuvre des mêmes architectes.

Le bâtiment scolaire a les mêmes attributs que Garneau, avec son fameux mail distinctif, ses casiers au sous-sol et son caféterium (salle polyvalente qui sert à la fois de cafétéria et d’auditorium). L’École secondaire Charlebois va faire forte impression tant chez le grand public que chez les spécialistes en architecture et se méritera une prestigieuse médaille Massey en architecture.

 L’École secondaire Charleboiset son fameux mail intérieur, en 1975. Gracieuseté.

Comme si, après des années de luttes et d’attente pour obtenir leurs écoles secondaires financées par les deniers publics de l’Ontario, les Franco-Ontariens rêvaient en trois dimensions en se faisaient construire des édifices grandioses.

Dans la région d’Ottawa, à partir du moment que l’Ontario permet le financement d’écoles secondaires publiques de langue française, ce sont trois écoles secondaires qui seront construites entre 1971 et 1972, dont Garneau et Charlebois. Les autres avaient étaient converties de bâtiments déjà existants. Bien plus qu’un établissement d’enseignement, « cette maison s’ouvre à la collectivité » comme l’indique la plaque d’inauguration de l’école, Garneau devient rapidement un important pilier de la francophonie d’Orléans.

Le MIFO est fondé 21 février 1979 à Garneau, suite à un projet d’élèves d’un cours d’économie de la 13e année. Le Théâtre du Village naîtra aussi à Garneau. En outre, l’ouverture du Centre culturel du MIFO (1985) à ses côtés et sur la même rue que l’École intermédiaire Léo-D.-Côté (1969-2003) créé un « espace francophone » qui accueille les premiers Jeux franco-ontariens de la FESFO en 1994.

L’École secondaire Garneau, un patrimoine moderne

Conçue en pleine effervescence architecturale au Canada et symbole franco-ontarien d’une époque où la communauté franchit un pas de plus pour l’égalité scolaire, l’École secondaire Garneau n’est pas un bunker et ne l’a jamais été, contrairement aux nombreuses légendes urbaines et mauvaises langues.

Les architectes s’inspirent plutôt de l’architecture d’une pyramide de l’Amérique aztèque de l’époque précolombienne.

Maintenant qu’elle a officiellement franchi le cap d’un demi-siècle d’existence, cette école peut, à l’instar d’autres bâtiments d’importance du début des années 1970, être considérée comme du patrimoine moderne. En général, le consensus dans le milieu veut que des bâtiments peuvent être considérés patrimoniaux deux générations après leur apparition, soit 40 ans.

Malheureusement, le patrimoine moderne (celui construit après la Seconde Guerre mondiale et particulièrement dans les années 1960 et 1970) a mauvaise presse, souvent incompris, méprisé ou ignoré.

L’Ontario français doit pourtant en tirer une grande fierté, tant ces bâtiments témoignent d’une époque d’avancée, de changements profonds et de nouveauté. L’architecture n’aura jamais été aussi débridée et expérimentale, catalysée au Canada par les retombées durables et profondes d’Expo 1967.

En effet, le patrimoine ne saurait se résumer à des églises du 19e siècle et à des maisons bourgeoises. D’autant plus que l’école, ancienne comme moderne, tient un rôle primordial dans l’existence de la communauté franco-ontarienne.

Reconnaissant son importance, la ville d’Ottawa a ajouté entre 2016 et 2019 l’École secondaire catholique Garneau à son registre du patrimoine, tout comme l’ancienne École secondaire Charlebois. L’article 27 (1.2) de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario permet aux municipalités d’inscrire, dans le Registre du patrimoine municipal, les propriétés non désignées ayant valeur ou caractère de patrimoine culturel. Cette inscription permet de protéger provisoirement dans les cas où leur propriétaire demanderait un permis de démolir.

Si le propriétaire souhaite démolir un édifice ou un ouvrage sur une propriété inscrite dans le Registre, la loi l’oblige à déposer un préavis de 60 jours pour faire connaître son intention de démolir. Une étude est faite et une décision est prise entre accorder le permis de démolition ou désigner officiellement le bâtiment en vertu de la Loi sur le patrimoine.

Une première reconnaissance pour cette école d’environ 1000 élèves qui compte de nombreux illustres Franco-Ontariens parmi ses quelque 9 000 élèves diplômés, laquelle est devenue catholique en 1989 et comprend le niveau intermédiaire depuis 2003.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.