Légère éclaircie au Bureau de la traduction

OTTAWA – Trois ans après avoir fait les manchettes, le Bureau de la traduction a opéré un nouveau virage, assure son président-directeur général, Stéphan Déry. Mais la route est encore longue pour redorer le blason de l’institution, estiment plusieurs intervenants.

C’était le premier dossier en langues officielles à secouer le gouvernement libéral. Quelques mois seulement après avoir été élus, Justin Trudeau et les siens devaient gérer la crise du Bureau de la traduction.

En cause, la décision du gouvernement libéral de Jean Chrétien, en 1995, de faire du Bureau de la traduction un organisme de service spécial
devant s’autofinancer que les institutions et ministères fédéraux pouvaient utiliser à leur guise. Une décision ayant entraîné une lente érosion de l’institution fondée en 1934, selon l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP).

Manque de ressources, abolition de 400 postes par attrition entre 2012 et 2016, le syndicat lançait un cri d’alarme, il y a trois ans. Arrivé en mai 2017, M. Déry assure que beaucoup a été fait depuis.

« Nous avons fait beaucoup de progrès dans la dernière année et demie. Aujourd’hui, nous assurons près de 70 % de la traduction gouvernementale. On aide les ministères à s’acquitter de leurs obligations en matière de langues officielles. On fait valoir notre expertise et de plus en plus de ministères le voient et le comprennent. »

M. Déry dit avoir remis clients et employés au cœur du mandat. Sa vision : l’apport des technologies, le renouvellement de la main d’œuvre, des liens renforcés avec les clients en mettant l’emphase sur la qualité et un modèle d’affaires révisé pour faire du Bureau de la traduction un « centre d’excellence en services linguistiques ».

Une approche qui semble s’éloigner de la logique économique opérée par les gouvernements libéraux et conservateurs successifs précédents et qu’appliquait la prédécesseure de M. Déry.

« La traduction n’est pas une marchandise et la logique économique qui a prévalu pendant de trop nombreuses années a fait des pots cassés qu’il sera difficile de réparer », estime le jurilinguiste et président de l’Association canadienne des juristes-traducteurs (ACJT), Louis Fortier. « On a longtemps surfé sur la réputation internationale du Bureau de la traduction, mais on a arrêté d’investir dans les années 80 et aujourd’hui, ce n’est plus un centre d’excellence. »

Leadership efficace

La présidente de l’Association Internationale des Interprètes de Conférence (AIIC), Linda Ballantyne, estime que l’arrivée de M. Déry a permis de « passer d’une politique de la porte fermée à une politique de la porte ouverte ».

« M. Déry a appliqué fidèlement le programme du gouvernement libéral en matière de qualité des services tout en mettant au point une méthode nouvelle pour l’acquisition des services d’interprètes de conférence pigistes, ainsi qu’un plan pour la téléinterprétation. (…) Sous son leadership, l’acquisition des services des interprètes pigistes pour le bureau s’effectue non pas en fonction du prix le moins cher, mais plutôt en fonction du meilleur choix possible. Nous croyons que cela contribuera à restaurer le prestige du Bureau de la traduction. »

Récemment, le Bureau de la traduction annoncé également la signature d’un nouveau partenariat avec l’Association canadienne des écoles de traduction (ACET) – après ceux signés avec l’Université de Saint-Boniface et l’Association des traducteurs, terminologues et interprètes du Manitoba (ATIM) – permettant aux étudiants de dix universités qui offrent un baccalauréat ou une maîtrise en traduction d’acquérir une expérience pratique en traduction sous la direction d’un encadreur du Bureau.

« Ces partenariats permettront de tirer parti des forces et de l’expertise de toutes les organisations concernées afin de renouveler la main-d’œuvre de professionnels de la langue. Grâce à ces efforts, le Bureau de la traduction contribue à la vitalité de l’industrie langagière au Canada », explique M. Déry.

Léger réinvestissement

Le budget du Bureau de la traduction a aussi connu un léger réinvestissement si on se fie à l’augmentation de son budget de 14,6 millions de dollars en 2017-2018. Cette somme demeure toutefois inférieure de plus de 38,4 millions de dollars au budget de 2012-2013.

Il reste donc encore du travail au gouvernement pour suivre les recommandations qu’avait faites le comité permanent des langues officielles en juin 2016, suggérant notamment un réinvestissement.

M. Fortier dénonce un manque de vision du fédéral et juge que la route est encore longue pour « redonner ses lettres de noblesse » à l’institution, comme s’y était engagé le gouvernement en réponse à la crise.

Poser des gestes concrets

Pour la directrice des communications de  l’ACEP, Katia Thériault, le gouvernement Trudeau doit poser des gestes concrets.

« Les traducteurs sont débordés et la charge de travail, en raison des nombreux départs à la retraite, n’a pas été encore adéquatement traitée. Nous pressons le gouvernement de ne pas tarder à prendre des mesures adéquates, au plus vite, pour permettre le recrutement de nouveaux employés afin de pallier à la demande croissante et d’éviter les burn-out. »

Car malgré les déclarations de bonnes intentions, les effectifs du Bureau de la traduction restent encore très éloignés de ceux d’avant 2012. En 2017-2018, l’institution comptait 1 154 employés, soit cinq de plus que l’année précédente. En 2012-2013, ils étaient 375 personnes de plus.

De son côté, l’AIIC demande que soient prises des mesures pour assurer un niveau de qualité élevé et constant d’interprétation partout au gouvernement et insiste sur l’importance d’améliorer les programmes de formation et de perfectionnement pour les interprètes  et de faire un effort pour valoriser faire connaître la profession.

« Ça prend du courage pour redorer le blason du Bureau de la traduction et c’est le gouvernement qui doit l’avoir. Depuis trois ans, le premier ministre n’a pas eu cette préoccupation. Ça ne semble pas l’intéresser », estime M. Fortier.