Les étudiants du Campus Saint-Jean sont inquiets

Des étudiants au Campus Saint-Jean. Source: Site Web Corridor Patrimoine, culture et tourisme francophone Canada. Gracieuseté

EDMONTON – Les menaces qui planent sur les programmes du Campus Saint-Jean inquiètent ses étudiants. Mais la seule institution postsecondaire en français de l’Alberta se veut rassurante sur son avenir.

« Je dois finir mes études en mai prochain, mais je ne sais pas si je vais pouvoir, car certains de mes cours risquent d’être annulés », explique Natalie Herkendaal.

L’étudiante en 4e année du programme de sciences, qui souhaite travailler en astrophysique, ne sait pas de quoi son avenir sera fait. Également présidente de l’Association des universitaires de la Faculté Saint-Jean (AUFSJ), elle dit ne pas être la seule dans cette situation, alors que le campus Saint-Jean pourrait couper jusqu’à 44 % de ses cours, selon les chiffres avancés par l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA).

« Je pense à tous les étudiants qui sont encore au secondaire et qui veulent étudier en français. On risque de limiter encore leurs options », regrette-t-elle.

Natalie Herkendaal, étudiante en 4e année du programme de sciences. Gracieuseté

Alors qu’elle s’apprête à entrer en 4e année du programme d’arts, Clara Davoine dresse un portrait sinistre de la situation à Saint-Jean.

« Avant la polémique, on voyait déjà des cours disparaître. Mes options pour compléter ma mineure en littératures et ma majeure en histoire ont diminué. Et ça risque de s’aggraver avec les compressions budgétaires du gouvernement. J’ai de fortes craintes que ma graduation soit repoussée d’un semestre ou plus. »

Le Campus Saint-Jean tente de rassurer

Les défis financiers du Campus Saint-Jean ne sont pas nouveaux. Mais combinées avec un financement fédéral gelé depuis plusieurs années, les compressions budgétaires provinciales de 13,3 % jusqu’en 2021, puis celles annoncées de 13 % pour 2021-2023, placent la seule institution postsecondaire francophone à l’Ouest du Manitoba dans une mauvaise posture.

« Nous recevons beaucoup de questions de parents et d’étudiants inquiets. Ils se demandent si les programmes vont disparaître. Mais nous avons présenté un plan pour que tous soient maintenus et que les étudiants puissent graduer comme prévu », assure toutefois le doyen, Pierre-Yves Mocquais à ONFR+.

Présenté à l’administration centrale de l’Université de l’Alberta, dont dépend le Campus Saint-Jean, il prévoit notamment de suspendre 77 cours pour la rentrée d’automne 2020, sans pouvoir dire quand ceux-ci seront rétablis.

« On propose de rassembler des cours momentanément, comme le cours de psychologie avec celui de psychopédagogie, par exemple. On a fait de gros efforts, comme toutes les facultés. Ça a été un exercice laborieux. Ce n’est pas une solution pérenne, mais ça nous permet de sauver l’intégrité des programmes. »

Confiant en son plan, M. Mocquais reconnaît toutefois que celui-ci nécessite l’autorisation pour le Campus Saint-Jean de pouvoir puiser dans son fonds de réserve, ce qu’une directive provinciale interdit pour le moment.

« Mais il n’y a pas d’autres moyens, car sinon, ce ne serait pas viable de supprimer presque la moitié des cours. La décision est entre les mains de l’administration centrale et du gouvernement », dit-il.

Un endroit unique

Frustrés par la tournure des choses, les étudiants insistent sur l’importance du Campus Saint-Jean.

« Je viens d’une école de langue française, à Calgary. Ma mère est allée à Saint-Jean quand elle était jeune. C’est une institution qui me donne l’occasion, comme femme francophone, de pouvoir m’épanouir dans le domaine que j’aime, les sciences, et de vivre en français », dit Mme Herkendaal. 

« Depuis que j’ai cinq ans, je sais que je vais aller au Campus Saint-Jean » – Clara Davoine

Pur produit de l’école d’immersion, Ahdithya Visweswaran vient d’une famille immigrante d’Inde où personne ne parle français.

« Mais pour mes parents, la langue et la culture françaises étaient importantes pour apprendre l’autre moitié culturelle et patrimoniale du Canada », explique l’étudiant de 19 ans qui termine sa première année en éducation.

Dans un excellent français, il raconte avoir insisté pour retourner au programme d’immersion quand ses parents s’inquiétaient qu’il puisse perdre son anglais.

« Apprendre uniquement l’anglais ne m’aurait donné qu’un aspect du Canada », dit-il.

Ahdithya Visweswaran, étudiant au Campus Saint-Jean. Gracieuseté

Aujourd’hui, son rêve est d’enseigner en français.

« Le Campus Saint-Jean me permet de voir et de comprendre les enjeux de la francophonie albertaine. La situation actuelle me fâche, car nous sommes nombreux à dépendre du Campus pour pouvoir poursuivre nos études en français. »

S’il ne pense pas que son programme sera affecté, tant la demande de professeurs de langue française est forte, il constate le stress que cela génère sur ses amis.

« On espère que le gouvernement albertain fera quelque chose, sinon il faudra déménager ou aller étudier en anglais. »

Les Verts interpellent le gouvernement Trudeau

L’avenir du Campus Saint-Jean préoccupe jusqu’au parlement fédéral. Un peu plus tôt cette semaine, la députée du Parti vert du Canada, Jenica Atwin, a demandé à la ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, d’intervenir.

« Nous travaillons à bien identifier le problème et à trouver des solutions durables », lui a assuré Mme Joly qui a apporté un soutien prudent au Campus Saint-Jean.

La campagne « Sauvons Saint-Jean » a suscité de nombreuses réactions à travers le pays. Le Réseau des cégeps et des collèges francophones du Canada (RCCFC) s’est notamment dit préoccupé et une lettre circule, qui a recueilli plus de 850 signatures, « pour préserver la mission du Campus Saint-Jean ».

Clara Davoine, 4e année du programme d’arts. Gracieuseté

Mme Herkendaal insiste sur l’importance de maintenir la pression sur la province. Une aide du fédéral serait aussi bienvenue, juge Mme Davoine.

« Le gouvernement Trudeau semble respecter les langues officielles, mais ses décisions ne sont pas toujours en notre faveur pour des questions d’intérêt politique. On a parfois l’impression d’être oublié. Une petite frange très vocale des électeurs du gouvernement provincial réagirait fortement à une aide. Le fédéral doit donc nous appuyer avec des fonds extraordinaires. »