Les Franco-Torontois inquiets face à la vague de crimes dans les transports en commun

Transports en commun de la CTT.
La station de métro King de la CTT.

TORONTO – La vague de violence et d’attaques criminelles contre les usagers et le personnel du réseau de transports en commun CTT (Commission de transport de Toronto) fait couler beaucoup d’encre. Si l’opinion est divisée quant aux mesures à adopter, le sentiment d’insécurité, lui, semble faire l’unanimité au sein de la communauté francophone de Toronto. Des parents ont fait part de leurs inquiétudes à ONFR+.

Pas plus tard que ce mardi, d’une altercation impliquant une arme blanche à la station Union résultait l’arrestation de trois personnes. La semaine dernière, une femme d’une vingtaine d’années se faisait poignarder au visage et à la tête dans le tramway de la ligne Spadina et un adolescent de 16 ans se faisait poignarder dans l’autobus. Les derniers d’une longue série. 

L’annonce conjointe de la Ville et de la police de Toronto, du déploiement quotidien de 80 policiers dans les transports en commun, a suscité de nombreuses réactions sur la façon de répondre aux causes multifactorielles de ce phénomène. 

Mesures immédiates : collaboration entre la CCT, la Ville et la police de Toronto 

Le 26 janvier dernier, dans une annonce conjointe avec la CTT et la police de Toronto, le maire John Tory, a annoncé le déploiement immédiat de 80 policiers chaque jour sur le réseau de transport en commun CTT, en réponse à la vague de violence qui sévit. 

Le chef de la police Myron Demkiw s’est également exprimé sur cette décision : « Notre présence dans les transports, le métro, les tramways, les bus de la ville, aide les opérateurs et usagers à se sentir plus en sécurité et plus à l’aise. Ils me l’ont eux-mêmes dit. » 

Lors d’une entrevue avec ONFR+, le porte-parole de la CTT, Stuart Green, a précisé que la priorité derrière ces mesures était de rétablir la sécurité. Il a ajouté que des mesures additionnelles comme le recrutement de 50 agents spéciaux de sécurité seraient aussi mises en place cette année. 

Une équipe de sécurité communautaire constituée de 20 personnes sera déployée pour faire de la sensibilisation auprès des sans-abri et répondre à leurs besoins immédiats. Les superviseurs en chef CTT recevront une « formation à la désescalade » pour soutenir le personnel des stations CTT. Les nouvelles mesures impliquent également une présence accentuée du personnel sur le réseau et l’ajout de caméras de surveillance dans les stations de métro et dans les véhicules.

Intervention de la police à la station College, le jeudi 26 janvier 2023. Crédit image : Sandra Padovani

Durant cette même annonce conjointe avec la ville et la police, le PDG de la CTT Rick Leary a déclaré que « nous ne connaissons pas les causes derrière cette violence mais elles sont complexes ». 

« Il est important de rappeler que des millions de personnes se déplacent en toute sécurité chaque jour sans incident, mais que même un seul cas par jour n’est pas acceptable », a également souligné M. Green. Il a toutefois rappelé que la CTT ne pouvait pas répondre à elle seule à ce problème plus global avec, entre autres, les problématiques de santé mentale et d’usage et d’addiction aux substances.

Des parents franco-torontois témoignent

Manon Moreau, étudiante infirmière et maman d’une enfant de 3 ans, ne se sent plus en sécurité dans les transports en commun, particulièrement en tant que femme : « C’est la raison pour laquelle j’ai acheté une voiture. Comme ça au moins ma fille et moi ne sommes pas confrontées à des personnes instables et dangereuses dans le métro. »

« Je prenais pourtant les transports en commun tous les jours avant. Mais l’élément déclencheur a été cette femme brûlée vive dans l’autobus en juin dernier. Je me suis dit que c’était terminé », ajoute celle qui habitait à Londres avant de venir à Toronto, il y a six ans. « Les transports en commun y étaient très sécuritaires là-bas comme ici. Mais depuis la pandémie, tout a changé à Toronto. »

Manon Moreau, étudiante infirmière torontoise évite les transports à cause de la montée de l’insécurité. Gracieuseté

L’étudiante infirmière pointe du doigt les conséquences de la consommation de méthadone. « J’ai travaillé tout l’été en hôpital et cette réalité était saillante. C’est le travail de la province de prendre en charge ce problème sous-estimé. Les agressions se font principalement par des personnes ayant une santé mentale instable. Les effets secondaires de cet opioïde très fort sur des personnes un peu fragiles sont catastrophiques, comme le développement de troubles schizophréniques. Un des soucis du Canada est de prescrire trop d’opioïdes et c’est le constat de nombreuses infirmières. » 

« Les personnes souffrant de problèmes mentaux ont été laissées de côté » – Alexandra Bernard, résidente torontoise

Alexandra Bernard, professeure et maman elle-aussi, déplore quant à elle ces situations de violence devenues « banales » qui ne font pas la une des médias mais qui participent bien à ce sentiment d’insécurité. « Nous vivons en plein centre et dès qu’on sort il y a en permanence quelqu’un qui hurle dans la rue. L’autre jour, en sortant du métro, j’ai vu une femme sur le sol, un élastique à la jambe, qui se faisait une injection de drogue dure. » 

« Ma fille de 15 ans a eu de nombreux problèmes », renchérit-elle. « L’an dernier dans le tramway en rentrant de l’école, un homme lui a craché dessus car il n’aimait pas les femmes. Hier soir un homme dans la rue lui a dit « Cours ou je te tue » à 16h. Elle est rentrée à la maison en courant. Nous sommes très inquiets. On ne sait jamais ce qui peut se passer dans les transports », raconte-t-elle. 

« Les personnes souffrant de problèmes mentaux ont été laissées de côté », déplore-t-elle. « Ça fait un an et demi que la situation s’est aggravée de façon notoire. La présence des policiers va rassurer les usagers mais il faut aider ces personnes en détresse. » 

Un autre parent franco-ontarien témoigne également sur la question de la prise en charge : « Je pense qu’il faudrait plus de ressources en santé mentale et certaines personnes devraient être institutionnalisées, pour bénéficier de vrais soins, alors qu’en ce moment on les laisse ressortir faute de moyens. »

L’escalator du blâme, du municipal au fédéral

Interrogé sur les raisons qui le poussent à investir dans la présence policière plutôt que dans les services sociaux d’urgence, le maire John Tory répond que la Ville a investi un très gros montant pour le Toronto Community Crisis Service. « Il ne s’agissait pas de choisir soit l’un soit l’autre, nous investissons des deux côtés », précise-t-il. 

« La ville de Toronto a augmenté le budget 2023 du Toronto Community Crisis Service de 6,067 millions de dollars par rapport à 2022, soit 17,050 millions de dollars et a augmenté le budget de 2023 pour le Shelter Support and Housing Administration Funding de 79 millions dollars, soit 707 millions de dollars. »

John Tory a renvoyé la balle en déclarant que « recevoir un soutien financier supplémentaire à d’autres niveaux gouvernementaux serait utile pour investir sur d’autres volets sociaux et sur la santé mentale ». 

« Le maire a proposé une solution pansement : il nous faut embaucher des policiers à temps plein dédiés » – Doug Ford

Le premier ministre ontarien Doug Ford a réagi dès le lendemain de l’annonce des mesures prises par la Ville, qu’il estime insuffisantes : « Nous devons continuer à embaucher plus de policiers. J’ai comparé et par rapport à 2012, nous avons actuellement 500 policiers de moins. Depuis 2018 nous avons octroyé à la Ville de Toronto plus de 250 millions de dollars pour les services de police et 27 millions de dollars  ne serait-ce que l’année dernière. Cette année, nous allons ajouter 42 millions de dollars au budget de la police. »

« Le maire a proposé une solution pansement : il nous faut embaucher des policiers à temps plein dédiés », a déclaré Doug Ford vendredi dernier.

Le premier ministre a ensuite lui-même renvoyé la balle au fédéral en blâmant le système judiciaire actuel, qui serait la partie immergée de l’iceberg : « Nous ne pouvons pas avoir des policiers qui arrêtent un jour des criminels pour qu’ils soient libérés dès le lendemain. C’est un appel au gouvernement fédéral, un appel au système judiciaire qui relâche ces personnes dans la nature. » 

Un appel à la réforme du système judiciaire en lien direct avec la lettre commune de janvier 2023 du premier ministre de l’Ontario et de ses homologues des provinces et territoires demandant à Justin Trudeau de réviser les droits des accusés en liberté sous caution : « Le système judiciaire doit empêcher de sortir toute personne qui présente une menace pour la sécurité publique. »