« Les francophones doivent créer une francophonie d’affaires »

Hosni Zaouali, président du Conseil de la coopération de l'Ontario. Gracieuseté

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

Hosni Zaouali est le président du Conseil de la coopération de l’Ontario (CCO). L’organisme travaille à la promotion, au développement et à l’innovation des coopératives et des entreprises sociales en Ontario.

LE CONTEXTE :

L’arrivée de Doug Ford au pouvoir en juin 2018 a remis le terme des « affaires » au centre du vocabulaire du gouvernement provincial. Pour les Franco-Ontariens, cette thématique d’une francophonie d’affaires est encore obscure.

L’ENJEU :

Avec son alliée, la Société Économique de l’Ontario (SEO), le CCO tente de promouvoir une francophonie d’affaires. Pour M. Zaouali, c’est aujourd’hui le moment idéal pour parler davantage de « francophonie économique » et passer la vitesse supérieure dans la conquête des marchés.

« Quel est le rôle du Conseil de la coopération de l’Ontario?

L’idée, c’est que le système capitaliste est bancal et arrive à ses limites. Il y a de plus en plus de disparités entre riches et pauvres, avec des systèmes qui ne sont pas viables financièrement. Il faut repenser ce capitalisme démocratique. Notre solution, c’est donc l’entrepreneuriat social, et que l’argent et les revenus ne soient pas la seule clé du succès de l’entreprise. 

Notre rôle, c’est donc de faciliter la grosseur et la croissance des entreprises. On les aide par des subventions, de l’aide au niveau administratif et aussi la mise sur pied d’un accélérateur d’affaires et d’un incubateur. 

Concrètement, qu’est ce qu’un incubateur et un accélérateur?

L’un des plus gros défis pour les créateurs d’entreprise, c’est l’isolement. Ces aventuriers économiques sont constamment confrontés à des gens qui leur disent que leur idée ne marchera jamais.

La création d’un incubateur permet à ces entrepreneurs francophones d’être entourés d’autres entrepreneurs et de recevoir de l’appui concret, notamment au niveau du financement, de la vente, du marketing, de la stratégie, etc. Sans ces incubateurs, le processus de création d’une entreprise serait beaucoup plus lent : les entrepreneurs se sentiraient moins stimulés et les appuis seraient plus difficiles à identifier, car ils sont très fragmentés.

L’accélérateur, lui, est destiné aux entrepreneurs qui ont déjà créé leur entreprise et cherchent à la faire croître. Gérer une entreprise de trois personnes est complètement différent que de gérer une entreprise de 300 personnes. Cet accélérateur est là pour aider cette croissance.

Est-ce qu’il y’a une carte à jouer pour les entreprises francophones de l’Ontario?

Oui, totalement! Il y a quelques semaines, on a eu l’officialisation du Brexit. On a une guerre commerciale avec la Chine. Nous avons des problèmes au Moyen-Orient et au Proche-Orient. Le monde est de plus en plus compliqué. Avant, la porte d’entrée pour les États-Unis, c’était l’Angleterre, pour tacler l’Europe. Aujourd’hui, les Américains sont déboussolés. Les Franco-Ontariens ont donc une carte à jouer. 

En Afrique, la population va jouer. Il va y a voir énormément de choses dans très peu de temps. Les Franco-Ontariens peuvent donner accès aux Canadiens anglophones et aux États-Unis à cette Afrique. Ils doivent montrer qu’ils peuvent être là!

Le rôle du CCO est aussi de travailler avec les entreprises anglophones. Comment perçoivent-elles cet aspect francophone?

Pour les anglos, la francophonie intimide, il y a un côté « barricades ». Avec la SÉO, on leur parle du bilinguisme. Encore une fois, il y a une carte à jouer, et il ne faut pas rater le train.

L’un des grands débats, c’est de savoir si nous devons nous inspirer ou pas de ce que les anglophones ont fait. Les anglophones ont fait de très bonnes choses, avec un capital-risque, du financement… Ils ont mis Toronto sur la map. Nous devons travailler avec eux!

Outre le bilinguisme, quels sont les atouts de cet entrepreneuriat franco-ontarien?

On a accès aux États-Unis. Toronto est la 3e ville en terme de population et d’innovation en Amérique du Nord, si l’on fait exception de Mexico. Toronto est la deuxième plaque financière après New York. En sport, les Raptors ont mis Toronto sur la carte partout en Afrique.

Les  leaders franco-ontariens n’ont-ils pas assez fait preuve d’esprit entrepreneurial?

Il faut que l’on commence à changer une certaine mentalité. Avant, c’était très difficile de survivre culturellement. Il faudrait plus penser : « Ok, on baisse les barricades, mais on se positionne non plus en tant que population défavorisée, mais comme une population innovante et créatrice de revenus ».

Si on arrive à faire changer les mentalités, le monde est en notre faveur. On pourrait donner un véritable élan à la population franco-ontarienne.

À votre avis, est-ce que la francophonie ontarienne se base trop sur un modèle de subventions, comme certains le reprochent? 

Disons qu’il ne faut pas qu’un changement de mentalité au niveau de la population. Les bailleurs de fonds ont besoin de croire à la compétence économique de la population francophone. Si on a les subventions pour la survie culturelle de la francophonie, c’est très bien, mais il faut penser qu’on pêchera, dans ce cas, toujours nous-mêmes!

J’ai conscience que le message que je donne n’est pas optimiste, mais pessimiste. Mais si les francophones veulent s’en sortir, ils doivent créer une francophonie d’affaires, et qu’on se prenne en main socialement. Si les francophones avaient un pouvoir économique, on aurait jamais saboté l’Université de l’Ontario français (UOF) et le poste de commissaire aux services en français de François Boileau.

Le gouvernement Ford est-il ouvert, selon vous, à cette francophonie d’affaires?

Il faut que chacun prenne ses responsabilités… Si le gouvernement voit des initiatives, il répondra présent. S’il ne voit rien se passer, mettez-vous à sa place, il ne veut pas réanimer une francophonie d’affaires qui n’a jamais existé. »