Les relations entre la France et l’Ontario : une occasion manquée?

Selon la chroniqueuse, Aurélie Lacassagne, l'Ontario et la France auraient un intérêt commun à se rapprocher. Montage, Pixabay

[CHRONIQUE]

Le deuxième tour des élections présidentielles, qui se déroule le dimanche 7 mai en France, représente une bonne occasion de s’interroger sur les relations qu’entretiennent notre province et ce pays. Nul n’est besoin de rappeler les liens historiques qui unissent ces deux entités, pourtant il semble bien que les célébrations entourant les 400 ans de présence française en Ontario, en 2015, n’aient pas été plus loin que quelques gestes symboliques.

AURÉLIE LACASSAGNE
Chroniqueuse invitée

Quel est l’état des relations bilatérales ces dernières années? Il y a bien eu, en novembre 2014, la signature d’ententes en matière d’éducation, principalement pour développer des ressources pédagogiques en français. C’était un pas dans la bonne direction, mais cela manque d’ambition.

Le domaine de l’éducation apparaît clairement comme un secteur où les accords devraient être plus nombreux. Il faudrait entre autres promouvoir les échanges scolaires au niveau secondaire; l’Ontario a un accord de reconnaissance de crédits et de facilitation d’échanges avec la région Rhône-Alpes pour les étudiants universitaires, mais il faudrait multiplier ces ententes avec d’autres régions, faciliter l’accès des étudiants français et ontariens dans les domaines techniques et d’apprentissage au niveau collégial, créer un fonds pour des équipes de recherche scientifiques conjointes, inciter les universités ontariennes à emboîter le pas à l’Université d’Ottawa qui, après que le Québec a abandonné le tarif préférentiel pour les étudiants français, s’est jeté sur l’occasion en minorant ses frais.

Dans le domaine commercial, la France est le 12e partenaire de l’Ontario avec une balance commerciale largement déficitaire pour l’Ontario. Cela signifie que la province aurait tout intérêt à être beaucoup plus proactive pour vendre ses produits de l’autre côté de l’Atlantique. Cela apparaît d’autant plus impérieux dans le contexte d’un protectionnisme croissant de la part de son principal partenaire que sont les États-Unis. Si de nombreuses grandes entreprises françaises sont bien implantées dans la province (Vinci, Bouygues, Lafarge pour n’en citer que quelques-unes), la visibilité des entreprises ontariennes en France est à la peine.

Inversement, les Ontariens en visitent en Europe se rendent en priorité en France, alors que les touristes français, à part leur traditionnelle escapade aux chutes Niagara, continuent de méconnaître les attraits touristiques ontariens. La France est le 3e pays d’origine des voyageurs au Canada, avec plus de 422 000 touristes en 2012, il existe donc un bassin dans lequel puiser. Il reste encore beaucoup à faire de marketing touristique pour vendre aux touristes français une province où le fait français existe.

Sur le plan économique, on peut donc attendre de voir si l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne va vraiment voir le jour, mais n’oublions pas que nous resterons en compétition avec de nombreux acteurs.

Soit, on peut continuer de se contenter du Plan d’action conjoint Canada-France (un accord qui existe depuis 2006, signé tous les deux ans et visant à renforcer les relations économiques entre les deux pays), un plan qui n’a pas empêché la chute ou la stagnation des échanges entre les deux pays et le déséquilibre provincial (le Québec concentrant 43 % des échanges contre 33 % pour l’Ontario), soit on pourrait aussi décider de faire de la France un véritable partenaire commercial prioritaire et négocier directement des ententes dans des secteurs clés.

 

Domaine ignoré

Le domaine qui semble être complètement ignoré par le gouvernement est pourtant le plus logique et le plus fondamental : l’immigration. Comme vous le savez, l’immigration francophone est considérée comme la seule solution viable au maintien à long terme et au développement de la communauté franco-ontarienne. Le gouvernement ontarien aura mis du temps à vouloir le comprendre mais s’est enfin décidé à établir une cible : 5% d’immigrants francophones par année.

Seulement, il manque un plan d’action digne de ce nom pour atteindre cette cible. Or, les Français ont la bougeotte! Non seulement, les jeunes Français (mais aussi les moins jeunes) veulent émigrer, mais en plus, ils veulent immigrer avant tout au Canada.

Alors, pour une très grande majorité d’entre eux, le Canada est synonyme de Québec et c’est dans cette province qu’ils atterrissent en grand nombre.

Il faut pourtant souligner deux éléments. Primo, rien n’empêche l’Ontario de développer une stratégie d’attraction particulière pour les Français. Deuxio, l’Ontario pourrait bénéficier encore plus que ce n’est déjà le cas du désenchantement que connaissent beaucoup d’immigrants français après leur arrivée au Québec. Selon les estimations, la moitié d’entre eux repartent durant les deux premières années et les principales causes citées sont le système d’éducation et le système de santé (l’Ontario n’a pas grand chose de plus à offrir côté éducation, mais a un système de santé plus performant que le Québec).

Nul doute que nous pourrions accueillir certaines de ces personnes. Cela se fait déjà en partie, puisque les migrations secondaires d’immigrants reçus au Québec et qui viennent en Ontario après existent, mais il s’agit de trajectoires individuelles qui ne sont pas motivées par une stratégie provinciale d’attraction précise.

Il me semble que l’on rate une occasion en or d’attirer des immigrants francophones bien formés, sans pour autant contribuer à la fuite des cerveaux, une véritable plaie pour les pays africains. On piquerait des cerveaux français, mais les conséquences sur l’avenir de la France seraient de moindre importance.

Quels que soient les résultats des élections de dimanche, le bassin d’immigrants français potentiels ne risque pas de se tarir. Il faut même souligner que l’élection de Marine Le Pen créerait un débordement important et, à n’en pas douter, de nombreuses demandes d’asile.

 

Sensibilisation

Finalement, le dernier domaine dans lequel on pourrait envisager une collaboration est celui de la sensibilisation à la diversité, qu’elle soit « ethnoculturelle », de genre, d’orientation sexuelle, de capacité, et la prévention de la radicalisation.

Ne faisons pas l’autruche, l’Ontario est également aux prises avec certaines formes de radicalisation, notamment parmi les plus jeunes. Mais la province a quand même su au fil des années développer des politiques et des programmes favorisant le vivre ensemble qui peuvent être considérés comme des pratiques exemplaires et dont la France aurait grand intérêt à s’inspirer.

On pourrait d’ailleurs faire la même remarque en ce qui a trait aux services offerts aux femmes victimes de violence. S’il y a bien un domaine dans lequel les Franco-Ontariens ont marqué des points ces deux dernières décennies, c’est bien celui-là, même si des efforts sont encore à réaliser, notamment dans la construction de maisons de transition gérées par et pour les francophones. Il s’agit là d’un secteur où la France est terriblement en retard et où il faudrait des accords pour réaliser des transferts de connaissances. La même remarque s’applique pour l’intégration des élèves aux prises avec un handicap dans les classes.

En conclusion, il y a de nombreux intérêts mutuels à des coopérations renforcées dans de multiples domaines entre la France et l’Ontario. À date, il semble que ces deux acteurs ne se voient pas prioritaires l’un comme l’autre, mais ce n’est pas une fatalité.

L’Ontario doit diversifier ses partenaires. La communauté franco-ontarienne a tout intérêt pour son épanouissement à voir grandir le nombre d’immigrants et d’étudiants français. Et la France a beaucoup à apprendre de l’Ontario dans certains domaines… en premier lieu que le Québec n’est pas le Canada et qu’il y a plus de 600 000 francophones en Ontario.

 

Aurélie Lacassagne est professeure agrégée en sciences politiques à l’Université Laurentienne. 

Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.