L’heure du grand départ pour Natalie Bernardin

Natalie Bernardin (à droite) en marge du Gala Trille Or, en mai dernier. Crédit image: Louis-Charles Dumais sur Facebook APCM

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

OTTAWA – En 2010, elle avait fait le choix de quitter Saint-Boniface pour prendre les rênes de l’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM), à Ottawa. Neuf ans plus tard, c’est l’heure du grand départ pour Natalie Bernardin, partie vers de « nouveaux défis », comme le veut l’expression consacrée. Pour ONFR, la directrice générale sortante revient sur son parcours et ses convictions pancanadiennes manifestement forgées dans ses origines franco-manitobaines.

« Mardi, on apprenait que vous vous apprêtiez à quitter vos fonctions de directrice générale de l’APCM début 2020, pourquoi ce choix?

La décision se prépare depuis longtemps. Ça fait 20 ans que je travaille dans l’industrie de la musique, mais plus spécifiquement avec les chanteurs. J’avais le goût de me lancer en affaires. Avant, j’étais jeune, et ne connaissais pas assez l’industrie. À l’APCM, j’ai développé cet amour pour les artistes en chanson-musique.

Dans le timing, quand je suis arrivée à l’APCM, on avait une certaine mission. Aujourd’hui, la stabilité de l’équipe est là, et donc je laisse l’APCM entre de bonnes mains.

Et maintenant concrètement, vous allez faire quoi?

Je lance une entreprise privée en booking. Je vais représenter une demi-douzaine d’artistes à partir du mois de janvier. Mon boulot, ça va être de parler avec les diffuseurs et les salles pour faire le booking.

Quasiment dix ans à la tête d’un organisme, c’est beaucoup…

Oui, peut-être. En venant en Ontario, je m’étais dit de faire ce boulot-là pendant cinq ans. Après un an, tu ne connais pas les rouages de l’organisme, mais dix ans, je trouve ça long, mais si cela se passe bien, il y a des moyens de rester. Plus de 10 ans, c’est tout de même trop long, car ça demande de la créativité, de l’innovation, une énergie et une capacité à renouveler les idées. L’équipe qui va rester possède toutes ces capacités.

Sous votre leadership, l’APCM est redevenue l’unique propriétaire du Gala Trille Or. Qu’est-ce que cela signifie?

Ça s’est fait de façon très saine. On était co-propriétaire de l’événement avec Radio-Canada, ce qui amenait des avantages financiers, mais aussi des défis. Par exemple, on était contraint par les exigences de Radio-Canada. On était à la merci des diffuseurs pour la question de diffusion, c’est à dire que s’il n’y avait pas de nominés aux Trille Or en Colombie-Britannique, nous n’avions pas d’assurance que le Gala serait diffusé dans cette province. Nous, on voulait une diffusion nationale, même s’il n’y avait pas de nominés.

En 2017, la première année de diffusion où l’APCM était seule propriétaire nous a mis avec un déficit très important qu’on est en train de relever en ce moment. Aujourd’hui, le partenariat avec Unis TV est primordial, car ils achètent les droits de diffusion. Ce n’est pas le partenariat avec Unis qui coûte cher, c’est la diffusion nationale. Les coûts dans la préparation de tout ça reposent sur l’APCM.

Qu’est-ce que cette diffusion apporte à l’APCM?

Cela apporte une liberté au niveau artistique. La réalisation repose sur nous et la diffusion est importante pour notre leadership. On réussit à percer dans les marchés importants comme le Québec, qui a accès au Gala Trille Or.

À l’avenir, pourrait-on voir le Gala Trille Or se dérouler sur une fréquence annuelle? Rappelons que pour le moment, celui-ci se déroule tous les deux ans.

(Rires). Je pense que oui. Absolument! Il y a tellement de talents et de beaux projets qui sortent! Le Gala vient stimuler cette production-là. Là où le défi se trouve, c’est au niveau financier. Est-ce que le Gala Trille Or peut se permettre d’être produit à chaque année? Ça prend des ressources!

Source : Facebook Natalie Bernardin

La deuxième réalisation de l’APCM sous votre leadership, c’est d’avoir rapatrier les artistes de l’Ouest et de l’Acadie dans le giron de l’organisme.

Les artistes de l’Ouest étaient déjà membres de l’APCM, mais ils n’avaient pas accès à toutes les catégories aux Trille Or. Ça a été un gros champ de bataille d’amener les artistes à avoir un dialogue entre eux. Ça a duré trois ans pour finalement arriver à une décision quasi-unanime du membership. En ouvrant les catégories aux artistes de l’Ouest et de l’Acadie, ça a permis d’élever d’une coche la qualité du Gala.

Pourquoi ces résistances?

L’APCM a été créée en Ontario et basée en Ontario. Dans les années 90, l’APCM a commencé à distribuer pour les artistes de l’Ouest. Ils sont devenus membres. Quand on parle d’ouvrir quelque chose comme le Trille Or, un événement très précieux, avec les membres ontariens qui étaient là il y a 30 ans passés, il y a tout de suite un débat à savoir qui perd quoi, qui gagne quoi. C’était vraiment important de permettre aux membres de dialoguer sur la question. Je ne voulais pas prendre une décision importante, avec un pourcentage de la membriété qui aurait dit ne plus vouloir adhérer à l’association.

Pour résumer, la première édition des Trille Or, c’était en 2001, puis nous avons ouvert une catégorie pour l’Ouest en 2011. À partir de 2017, le Gala Trille Or a permis l’ouverture des catégories aux artistes de l’Ouest canadien et avec de nouvelles catégories destinées aux artistes acadiens et aux artistes québécois.

Autre décision prise par l’APCM durant votre mandat, la fin de Ontario Pop remplacé par Rond-Point. Concrètement, le concours musical qui suivait une formation de plusieurs jours était alors remplacé par des résidences artistiques s’étalant sur plusieurs mois. Pourquoi ce choix?

Un de mes autres coups, c’est effectivement d’avoir mis fin à Ontario Pop. Ontario Pop n’arrivait pas aller chercher du financement, et c’était financé à même les ressources de fonctionnement annuel de l’APCM. C’était donc assez coûteux. Il fallait repenser le projet. Ce n’était pas vrai que les artistes après une semaine de formation éteint prêts à faire une carrière.

Quelque 19 partenaires se sont rassemblés autour de cette idée de Rond-Point. À l’inverse, Ontario Pop coûtait entre 30 000 et 45 000 $ suivant les années, et ça sortait de notre fonctionnement, avec un salaire de moins annuel. La première année qu’on avait Rond-Point, ça nous a pris moins de 5 000 $, car chacun des partenaires apportait quelque chose. On a réussi à faire ensemble que les quatre artistes sélectionnés pour Rond-Point deviennent plus forts, avec plus de liens avec les partenaires.

Vous avez vécu une grande partie de votre vie à Saint-Boniface. Comment avez-vous trouvé la communauté franco-ontarienne à votre arrivée?

En Ontario, la francophonie est très diversifiée. J’ai dû m’adapter à cette géographie francophone. Au Manitoba, tout le monde est très proche et se connaît, alors qu’en Ontario, les francophones de Sudbury, Toronto ou Ottawa sont très différents. Ici à Ottawa, quand je vais par exemple à l’AGA de l’ACFO, je rencontre des gens que je n’avais jamais vus. En arrivant en Ontario, les premiers deux ans, j’ai trouvé cela hyper difficile. Je me disais que je n’allais jamais réussir à m’accrocher et pénétrer cette communauté.

Gracieuseté : APCM

La semaine dernière, nous avions en Rencontre ONFR+ Chloé Freynet-Gagné, une autre Franco-Manitobaine, avec qui nous parlions des propos de Denise Bombardier. Chloé Freynet-Gagné avait notamment dénoncé les statistiques avancées par Denise Bombardier sur les Franco-Manitobains avant d’être invitée à Tout le monde en parle, le 13 octobre. À titre de Franco-Manitobaine, comment jugez-vous ce qu’a dit Mme Bombardier?

Ça me surprend, et ça ne me surprend pas! On nous connaît mal, on connaît mal nos accents, et nos réalités. On me reproche souvent d’avoir un accent anglophone. Les réalités sont différentes, et certaines personnes qui ne sortent jamais de leur province ne seront jamais exposées à ces accents et à cette réalité. Quand je vais en France, on me dit que j’ai un accent. Quand je dis que je viens du Canada, mais pas du Québec, les gens disent qu’ils me comprennent, parfois mieux que les Québécois! Quand Denise Bombardier dit qu’on ne nous comprend pas à l’extérieur du Québec, je trouve donc cela absurde!

Les trois filles à Tout le monde en parle [Chloé Freynet-Gagné, Stéphanie Chouinard et Caroline Gélineault] n’avaient pas de mal à s’exprimer et n’avaient pas la langue dans leur poche. Les propos de Denise Bombardier sont ridicules! Sont-ils là pour avoir des cotes d’écoute et ramener de la popularité autour d’elle? J’applaudis l’audace et le courage de ces filles-là!

La survie des artistes est aussi un thème très important. On l’a vu encore avec le cri du cœur lancé par Pierre Lapointe au Gala de l’ADISQ. Qu’en pensez-vous?

C’est très inquiétant, d’où l’importance des spectacles, car le CD n’existe plus. Le spectacle est le dernier morceau important. Vraiment, le live, le spectacle, la rencontre avec le public, c’est là où l’artiste trouve sa façon la plus importante de survivre. Il faut qu’il y ait cette volonté politique, il faut que les Spotifly, Deezer et Netflix payent des impôts dans notre pays, et payent la valeur. Jamais la musique n’a été aussi écoutée qu’en 2019, et jamais les artistes n’ont été aussi peu rémunérés. »


LES DATES-CLÉS DE NATALIE BERNARDIN 

1976 : Naissance à Winnipeg

1998 : Commence à travailler dans le secteur des arts et culture pour le Festival du Voyageur

2005 : Mise sur pied du Réseau des grandes espaces dont elle est nommée directrice générale

2010 : Devient directrice générale de l’APCM et départ pour l’Ontario

2017 : Le Gala Trille Or élargit ses nominations avec l’ouverture des catégories aux artistes de l’Ouest canadien et avec de nouvelles catégories destinées aux artistes acadiens et aux artistes québécois

2019 : Annonce qu’elle quitte ses fonctions de DG de l’APCM

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.