Loi 62 : la condamnation de l’Ontario décryptée par des politologues

La première ministre de l'Ontario, Kathleen Wynne. Crédit image: Maxime Delaquis

TORONTO – Avec la campagne électorale qui arrive à grands pas en Ontario, la condamnation unanime par les députés de Queen’s Park de la Loi sur la neutralité religieuse du Québec n’est pas un geste anodin, estime une politologue. Selon elle, il s’agit d’un geste à saveur électoraliste.

JEAN-FRANÇOIS MORISSETTE
jmorissette@tfo.org | @JFMorissette72

Laure Paquette, enseignante à l’Université de Lakehead, estime que la manœuvre, initié par le Parti libéral de l’Ontario (PLO), se veut un geste pour séduire certaines tranches d’électeurs.

« Il y a des minorités religieuses qui vont être particulièrement rassurées par les propos tenus par Mme Wynne (…) C’est toujours inquiétant pour eux de voir pareil manifestation dans le pays qu’ils habitent », a-t-elle expliqué en entrevue avec #ONfr.

Mme Paquette note qu’il devait y avoir également une certaine volonté de la part de la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, de mettre le chef du Parti progressiste-conservateur (Parti PC) de l’Ontario, Patrick Brown, dans l’embarras face à une certaine tranche de son électorat, moins favorable aux accommodements raisonnables. 


« Il est possible qu’il y ait certains députés qui se soient exprimés par conviction pure, mais je les soupçonne tous d’être électoralistes parce qu’il y avait des points à marquer à divers niveaux avec des déclarations qui ne coûtent pas cher et qui peuvent aller chercher la faveur de beaucoup d’électeurs ontariens » – Laure Paquette


Mme Paquette convient également qu’il s’agit d’un événement très rare de voir une telle condamnation en chambre législative.

« Les commentaires sur les projets de loi des autres provinces sont généralement faits être applaudis (…), mais des déclarations de ce genre à l’Assemblée, c’est autre chose », souligne-t-elle.

Ceci dit, la politologue ne croit pas que cette sortie publique de Queen’s Park va nuire aux relations avec le Québec puisque les liens économiques entre les provinces voisines sont trop forts.

L’image de terre d’accueil

Caroline Andrew, politologue à l’Université d’Ottawa, ne doute pas qu’il y ait une volonté électoraliste de la part de Mme Wynne. Toutefois, elle estime qu’il y a plus dans le calcul politique de la première ministre ontarienne.

« Il y a surement des réelles préoccupations de la part de Mme Wynne, car son gouvernement fait beaucoup de publicités autour de l’immigration », a-t-elle expliqué.

Pour Mme Andrew, avec cette condamnation, la première ministre Wynne a voulu défendre l’image de terre d’accueil dont elle fait la promotion depuis plusieurs années déjà.

La chercheuse ajoute que certains députés ont probablement donné leur aval à cette condamnation parce qu’il y avait une réelle inquiétude de la part des résidents de leurs circonscriptions.

« C’est rare que l’on voit autant des gens se montrer contre un projet », s’étonne-t-elle aussi.

Tout comme Mme Paquette, Mme Andrew doute que cette action nuise à la relation avec le Québec en raison des liens économiques.

Difficile de passer le test de la Charte

Pour Charles-Maxime Panaccio, un professeur à la faculté de Droit de l’Université d’Ottawa et spécialiste dans le domaine de la protection constitutionnelle des droits fondamentaux, croit pour sa part que la Loi québécoise serait difficile à appliquer en Ontario.

Selon lui, il y a des « problèmes » avec la loi québécoise et croit qu’il y a de « bonnes » chances qu’elle soit jugée inconstitutionnelle.


« La loi pose problème avec la liberté de religion et la protection contre la discrimination, mais (…), il y a aussi la question de l’application et la loi est mal conçu à cet effet » – Charles-Maxime Panaccio


M. Panaccio estime également que l’intention derrière la loi sur la neutralité de l’État n’est pas garantie et peut-être interprétée comme « discriminatoire ».

Une condamnation unanime

Fait rare, jeudi 19 octobre, les députés de Queen’s Park ont unanimement condamné la loi sur la neutralité religieuse adoptée par le gouvernement du Québec.

« Forcer les gens à se montrer le visage lorsqu’ils se déplacent en autobus et empêcher le port du niqab pour les femmes lorsqu’elles vont à la bibliothèque va nous diviser. Nous devrions être en mesure de vivre nos vies et aller où l’on veut sans peur d’être discriminé », a indiqué Mme Wynne à Queen’s Park.

Selon elle, cette loi va affecter « de manière disproportionnée » des femmes qui sont déjà marginalisées et les pousser davantage vers l’isolation.