L’Ontario lance une stratégie de lutte contre la pénurie d’enseignants francophones

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TORONTO – Le gouvernement débloque 12 millions de dollars sur quatre ans pour, entre autres, accélérer le recrutement d’enseignants francophones. Selon les conclusions du rapport du groupe de travail sur la pénurie des enseignants dans le système d’éducation en langue française, les conseils scolaires auraient besoin de 500 professionnels supplémentaires, chaque année. La stratégie ontarienne vise à les recruter, les former et, surtout, les retenir.

Après de longs mois d’attente, le gouvernement est finalement sorti du bois : 32 des 37 recommandations contenues dans le rapport des experts ont été retenues par le ministre de l’Éducation. Stephen Lecce a vanté un « plan complet » qui va faire « prendre conscience des parcours d’enseignement en vue de recruter et de retenir des enseignants qualifiés de pays francophones et de promouvoir le bon cheminement scolaire conduisant à des programmes de formation ».

Le gouvernement compte ainsi puiser dans le vivier des écoles secondaires où naissent les vocations des futurs étudiants, mais aussi dans la manne que représente l’immigration francophone.

Il n’a toutefois pas précisé comment il opérerait le recrutement de ses futurs enseignants, dans une province qui peine à atteindre ses objectifs en immigrations francophones et à reconnaître les diplômes étrangers.

Mais l’intention est clairement d’assouplir les programmes de formation à l’enseignement et de moderniser le processus d’inscription. Une approche qui vise, du même coup, à augmenter les candidats à l’enseignement en langue seconde.

Une action simultanée contre le racisme systémique

« On veut aussi s’assurer qu’il existe un environnement propice en prenant des mesures inscrites au plan d’action de l’Ontario pour éliminer le racisme systémique », a indiqué M. Lecce. « Plus d’enseignants en français signifie plus de possibilités pour nos enfants qui voudraient apprendre le français. C’est d’une grande utilité pour les élèves, leur carrière et leur vie future. »

Le gouvernement compte s’appuyer sur la capacité de formation de l’Université d’Ottawa, de l’Université de l’Ontario français (UOF) et de La Laurentienne pour accroître le nombre de candidats aspirant à devenir enseignants.

Le ministre de l’Éducation, Stephen Lecce. Capture d’écran ONFR+

« On va inciter ces universités à prévoir plus d’options de formation virtuelle et nous soutenons l’échelonnement des compétences en créant des parcours d’accréditation pour 480 enseignants qui ont reçu des lettres de permission », a soutenu le ministre des Collèges et des Universités, Ross Romano, au cours d’une conférence marquée par l’absence de la ministre des Affaires francophones.

C’est un secret de polichinelle dans le système éducatif ontarien : des centaines d’enseignants non qualifiés se voient confier des salles de classe pour combler le manque de personnel. Loin d’être une exception, les lettres de permission intérimaires sont devenues un levier de recrutement systémique, conséquences du manque de certifications.

Plus de 500 enseignants manquant chaque année

Le groupe de travail estime que, chaque année, plus de 500 personnes non qualifiées enseignent dans cette situation. « Si aucune action n’est prise, la situation s’aggravera pour atteindre un nombre exorbitant d’environ 3 000 en 2025-2026 », alerte-t-il dans son rapport – toujours tenu confidentiel mais dont ONFR+ s’est procuré une copie.

Les experts pressent le gouvernement de financer 520 postes d’enseignants supplémentaires, de développer des programmes en plusieurs parties et virtuels, plus spécifiquement pour le cycle intermédiaire et supérieur et l’éducation technologique. Ils préconisent en outre des primes d’éloignement aux stagiaires qui choisissent le Nord et une aide financière aux étudiants en formation à l’enseignement en langue française.

Parmi les autres recommandations : élaborer un projet pilote de passerelles avec la France, éliminer le test de compétences linguistiques pour l’admission au programme de formation ou encore amplifier les activités de valorisation de la profession.

« Trop peu, trop tard », éructe l’opposition

« Trop peu, trop tard » aux yeux de Marit Stiles. La députée néo-démocrate de Davenport estime que, « à cause de l’inaction de Doug Ford, l’Ontario est loin derrière les autres provinces dans la compétition pour les mêmes effectifs d’enseignants en langue française ». Son collègue Guy Bourgouin, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’Affaires francophones, réclame du financement immédiat.

« C’est une annonce que nous attendions depuis longtemps », a souligné Isabelle Girard, directrice générale de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO), avant de tempérer : « Nous avons toujours besoin de plus détails sur le contenu de la stratégie pour une mise en œuvre avec succès ».

Isabelle Girard, directrice générale de l’ACÉPO. Capture d’écran ONFR+

« C’est un bon départ », a abondé Yves Lévesque, de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC) prévenant qu’il reste « énormément de travail à accomplir et une foule de détails à finaliser prochainement ».

Si Anne Vinet-Roy salue un rare consensus entre conseils scolaires et représentants des enseignants sur une problématique majeure, elle nuance la portée de l’annonce gouvernementale qui, selon elle, aurait dû intervenir plus tôt pour garantir de premiers changements dès la rentrée 2021.

La présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) rappelle par ailleurs que l’enveloppe de 12 millions de dollars sur quatre ans est « bien loin des 87 millions sur cinq ans » préconisés par le groupe de travail. « Il y a un manque à gagner mais selon les initiatives qui seront mises en place, il y a le potentiel d’aller chercher du financement fédéral. »

Un autre groupe de travail sera mis sur pied, dans les prochaines semaines, pour veiller à la mise en œuvre des intentions de départ et faire des ajustements, si nécessaire.