L’Ontario met à jour l’éducation sexuelle

TORONTO – L’Ontario a soufflé la poussière sur son curriculum d’éducation sexuelle pour la première fois depuis une quinzaine d’années, le lundi 23 février. Le nouveau document se veut mieux adapté à la réalité des jeunes d’âge scolaire. Et cette fois, la province dit qu’elle n’a pas l’intention de céder aux groupes de pression.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Le nouveau Programme-cadre révisé d’éducation physique et de santé, qui englobe l’éducation sexuelle, s’inspire grandement d’une première ébauche abandonnée en 2010 sous l’impulsion de groupes religieux et de parents inquiétés qu’on veuille aborder avec des enfants de 8 ans des thèmes comme l’homosexualité ou la masturbation.

Cinq ans après cette première tentative, les libéraux de Kathleen Wynne croient qu’il est plus que temps d’« aligner » l’éducation sexuelle dans les écoles élémentaires et secondaires de l’Ontario sur ce qu’enseignent déjà les autres provinces.

« C’est bien le curriculum qui sera enseigné dans nos écoles à compter de septembre », a insisté Liz Sandals, ministre de l’Éducation, lors d’un point de presse à Queen’s Park, le 23 février. « La sécurité de nos enfants dépend de notre capacité à leur fournir la meilleure information à propos de leur santé et de leur bien-être. »

« Sextage »

Le ministère de l’Éducation souhaite ainsi qu’on enseigne les règles du consentement dès la 2e année et l’homosexualité, à partir de la 3e année. La puberté s’insérerait dans le programme dès la 4e année, soit deux ans plus tôt qu’à l’heure actuelle. Les dangers des médias sociaux et du « sextage » seraient abordés dès la 7e année.

« Nous constatons, à la lumière de données de la santé publique, que l’âge de la puberté diminue constamment. Nous devons composer avec le fait que nos enfants arrivent à la puberté beaucoup plus vite qu’avant », a fait remarquer Mme Sandals. « Et ce que la police, l’aide à l’enfance et la santé publique nous disent, c’est que les enfants doivent apprendre à communiquer (plus jeunes) les parties de leurs corps au cas où (…) ils seraient victimes d’abus. »

L’actuel curriculum d’éducation sexuelle de l’Ontario date de 1998.

La rédaction du nouveau curriculum découle de l’« une des consultations les plus vastes » jamais entreprises par la province, a fait savoir Mme Sandals. Des parents, des élèves, des universitaires et plus de 70 organisations dans le secteur de la santé y auraient mis leur grain de sel.

Objections

Or, pour un député de l’opposition à Queen’s Park, la consultation avec les parents ne fait que commencer.

« C’est une farce », a dénoncé Monte McNaughton avant même d’avoir vu le nouveau curriculum. « Le vrai processus de consultation commence aujourd’hui », a-t-il ajouté avec défiance. « Je crois que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. Ce n’est pas à la première ministre, spécialement Kathleen Wynne, de dire aux parents qui est approprié pour l’âge de leurs enfants. »

Candidat à la chefferie du Parti progressiste-conservateur, M. McNaughton promet d’être la voix de « milliers de parents » qui, selon lui, s’opposent à une réforme de l’éducation sexuelle dans la province. « Il n’y a rien de définitif », a lancé l’élu de Lambton-Kent-Middlesex, près de London, à la sortie du point de presse de la ministre de l’Éducation, le 23 février.

Tentative de diversion

Le chef progressiste-conservateur par intérim, Jim Wilson, est apparu pour sa part plus modéré. Le dévoilement à ce moment-ci du nouveau curriculum d’éducation sexuelle n’est rien d’autre, à ses yeux, qu’une tentative de diversion de la part des libéraux.

« Les libéraux essaient de changer de poste. Ils veulent détourner notre attention de leurs scandales. C’est toujours ce qu’ils font », a pesté M. Wilson à sa sortie de la période de questions à Queen’s Park. « Nous ne tomberons pas dans le panneau. »

Le chef de l’opposition a dit à son tour vouloir sonder les parents, mais pas nécessairement pour faire échec au nouveau curriculum.

« Ça ne fait aucun doute que le curriculum doit être mis à jour. Ça ne faisait aucun doute qu’en 2015, nous ne devons plus nous servir d’un curriculum qui date de 1998 », a avancé la chef néo-démocrate Andrea Horwath. « Ceci étant dit, il y a des enjeux majeurs dont nous devons nous occuper, ici, à la Législature. Il y a de grandes questions par rapport à l’intégrité de ce gouvernement et du bureau de la première ministre. »

Une affaire de « contraventions apparentes » à la loi électorale lors d’une récente élection partielle à Sudbury a, en effet, monopolisé les débats à l’Assemblée législative, le 23 février.

Les conseils scolaires favorables

De leur côté, les conseils scolaires francophones de l’Ontario ont accueilli favorablement les changements à l’éducation sexuelle.

« Nous sommes très satisfaits de la décision du Ministère, estimant que nos élèves méritent de prendre des décisions éclairées », a partagé Denis Labelle, président de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario, à #ONfr. « Ces derniers sont soumis à des situations aujourd’hui qui n’existaient pas auparavant, et les médias sociaux renforcent ce phénomène. L’enjeu est important en Ontario du fait que nous avons une province avec une grande diversité. Il y a donc plus d’aspects à comprendre. »

« Nous sommes rassurés par cette mise en œuvre. Les temps ont changé. Nous sommes heureux que la composante catholique ait été prise en compte, notamment par les références aux valeurs de la foi et de respect des différentes », a fait valoir Benoit Mercier, directeur général de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques. 

Les deux groupes de conseils scolaires ont indiqué qu’une formation sera entreprise très rapidement pour fournir des « outils » aux enseignants afin qu’ils soient prêts dès septembre. 

La province s’attend néanmoins à un certain ressac. Mais cette fois, pas question de reculer.

« J’anticipe qu’il y aura des membres de plusieurs religions qui s’objecteront. C’est bien possible », a reconnu Mme Sandals. « Mais le curriculum est le curriculum », a-t-elle fait tomber, ajoutant du même souffle que les parents mécontents de la réforme « auront toujours l’option » de retirer leurs enfants des cours d’éducation sexuelle.