L’université en ligne ne disparaîtra pas de sitôt

Participer aux cours derrière son ordinateur de façon interactive est devenu un enjeu. Crédit image: mixetto / E+ via Getty Images

Si tout se passe comme prévu, la rentrée universitaire de septembre pourrait bien se faire en présentiel pour de nombreux étudiants ontariens, mais la façon d’enseigner et d’étudier risque de ne plus jamais être la même. Le mode d’enseignement virtuel créé en réponse à la COVID-19 a imposé une énorme courbe d’apprentissage aux étudiants et aux professeurs, et certaines universités n’ont pas l’intention de faire marche arrière. 

Lorsque Baye Diop repense à sa première année à l’Université Laurentienne, l’image qui lui vient en tête est celle de sa chambre. L’étudiant sénégalais est arrivé à Sudbury en août 2020 avec de grandes ambitions pour son expérience universitaire. Mais en raison de la pandémie, il s’est plutôt retrouvé cloisonné dans son logement, à suivre ses cours en mode virtuel. 

« Je faisais mes cours en ligne, dans ma chambre. C’est comme si je me trouvais au milieu de nulle part. Je n’avais pas envie d’étudier. J’avais envie de dormir. »

L’étudiant en administration des affaires explique qu’il était pourtant un élève studieux, toujours présent et qui avait de bonnes notes au Sénégal. Mais il a senti sa motivation fondre face au format d’enseignement en ligne mis en place par son université.

Baye Diop, étudiant en administration des affaires à l’Université Laurentienne. Gracieuseté. 

« Je ne connaissais personne de mon programme. J’avais de la misère à me concentrer en classe et de la misère pour comprendre. J’avais besoin de cours en présentiel pour mieux m’adapter. C’était tellement difficile. »

Le désespoir qu’a vécu Baye Diop face à l’apprentissage virtuel est loin d’être isolé. Selon Robert Grégoire, directeur général du Réseau d’enseignement francophone à distance du Canada, le virage vers l’enseignement en ligne en réponse à la pandémie « a illustré les pires façons de faire des technologies ».

« La télévision éducative, un héritage d’une autre époque avec lequel on est encore pris » – Robert Grégoire

« On a soudainement observé l’avènement de la ‘‘télévision éducative.’’ C’est ma caricature de l’enseignement transmissif, où tu as un expert qui s’installe devant un groupe et qui parle. C’est un héritage d’une autre époque avec lequel on est encore pris. » 

Robert Grégoire fait référence au format de cours simplement balancé sur une plateforme numérique, comme Zoom par exemple, où l’étudiant se retrouve à devoir écouter passivement son professeur à l’écran. 

« On a mis en lumière cet acte qui n’engage pas l’élève et ne le met pas au cœur de ses apprentissages. Donc il y a beaucoup de monde qui décrochent. » 

Il croit toutefois que les technologies sont un incontournable qui peut aider à faire évoluer l’éducation, et qu’elles sont là pour rester. 

Mais tout est dans la façon qu’on en fait usage. 

Des universités forcées de se réinventer

Aline Germain-Rutherford n’oubliera jamais ce mois de mars 2020, lorsque les couloirs de l’Université d’Ottawa se sont vidés du jour au lendemain. La vice-provost aux affaires académiques explique que l’université avait dû arrêter ses cours en réponse à la pandémie qui venait d’éclater, le temps que les professeurs fassent le saut au virtuel. 

« Ça a été un gros choc. On avait une semaine pour transformer tout ce qu’on faisait en présentiel, en ligne » se rappelle-t-elle. « J’applaudis le travail de ces professeurs, car pour certains, ce n’était pas facile du tout. Ils n’avaient jamais utilisé ces technologies de cette façon. » 

Aline Germain-Rutherford, vice-provost, affaires académiques à l’Université d’Ottawa. Gracieuseté. 

L’université a rapidement dû former ses professeurs pour les aider à maîtriser les différents outils numériques disponibles. Les professeurs se sont tournés vers des plateformes de visioconférence comme Zoom, Adobe Connect et Teams, ainsi que des outils de gestion d’apprentissage comme D2L, une plateforme qui permet notamment aux étudiants d’accéder à du contenu, de donner de la rétroaction et de collaborer. 

Une fois l’aspect technologique apprivoisé, il a fallu développer des approches pédagogiques engageantes et interactives, un travail qui se poursuit à ce jour. Les étudiants sont davantage appelés à être actifs, en travaillant par exemple sur des projets de groupe en ligne qu’ils présentent à leurs pairs en échange de rétroaction.

« C’est dans cette direction qu’on forme nos professeurs. On a appris que l’enseignement en ligne à distance n’est pas uniquement de prendre ce qu’on fait en présentiel et de le mettre en ligne. Il y a une valeur ajoutée qu’on apprivoise de plus en plus », explique Aline Germain-Rutherford.

« Ça nous a obligés à penser autrement » – Aline Germain-Rutherford

Elle souligne que même avant la pandémie, l’Université d’Ottawa envisageait déjà un virage vers une plus grande offre de cours en ligne et davantage de flexibilité. Mais la crise sanitaire a précipité le tout, et l’Université d’Ottawa n’a pas l’intention de retourner en arrière. 

« Ça nous a obligés à penser autrement. Grâce à la vaccination, on commence à parler de l’après-COVID-19. Même si les gens ont encore du mal à le concevoir et à l’accepter et en ont marre de la COVID-19 et veulent revenir à la normale, l’université ne pourra jamais revenir à ce qu’elle était avant. On est en train de se redéfinir complètement. »

Si tout va comme prévu, la rentrée en septembre à l’Université d’Ottawa pourra se faire de trois façons. Les étudiants auront le choix de suivre des cours en personne sur le campus, en ligne, ou encore en mode hybride. L’université est en train d’équiper toutes ses salles de classe de manière à pouvoir enseigner aussi bien aux étudiants sur place qu’à ceux qui se joindront en ligne. 

La vice-provost aux affaires académiques assure que les étudiants à distance seront actifs dans leur apprentissage, que ce soit en participant à des sondages spontanés durant les cours par exemple, ou en intervenant via des forums de chat. Il y aura des assistants à l’enseignement qui seront là pour s’assurer que les étudiants à distance participent et que leur contribution soit entendue. 

L’université s’attend à ce qu’environ 50 % des cours soient offerts en présentiel durant le semestre d’automne 2021. Ainsi, la grande majorité des étudiants devrait avoir accès à au moins une activité sur le campus, que ce soit un cours ou un laboratoire.

Et c’est un format que l’université compte conserver à long terme. Selon Aline Germain-Rutherford, des sondages menés auprès des étudiants et des professeurs durant la dernière année ont démontré un intérêt grandissant pour l’option de l’enseignement à distance. 

La flexibilité des cours en ligne

Maya Ouellet fait partie de ces étudiants qui se sont habitués au format des cours en ligne. Elle vient de terminer sa première année en sciences de l’activité physique à l’Université d’Ottawa, et bien qu’elle n’ait pas rencontré autant de nouvelles personnes qu’elle l’aurait souhaité, elle dit avoir apprécié la flexibilité que lui offrait le mode virtuel. 

Maya Ouellet, étudiante en sciences de l’activité physique à l’Université d’Ottawa. Gracieuseté. 

« Souvent, les cours sont enregistrés. Ça me donnait la chance de faire autre chose. Je fais beaucoup de gymnastique, donc les cours virtuels et enregistrés me permettaient de les écouter plus tard. »

Selon les sondages, c’est un format qui semble aussi plaire aux étudiants plus âgés qui ont d’autres obligations, ou encore aux professionnels qui cherchent à approfondir leurs connaissances en s’inscrivant à des microprogrammes. 

Le format virtuel permet aussi à l’université de créer des partenariats inespérés. La Faculté des sciences sociales est justement en train de développer des cours en ligne en collaboration avec des universités en Afrique francophone, notamment au Cameroun, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. 

« Ça veut dire avoir des classes plus diversifiées, car on peut avoir des étudiants d’ailleurs, d’autres provinces ou d’autres pays. Ça apporte des perspectives très diverses », souligne Aline Germain-Rutherford. 

Pour elle, la crise sanitaire aura permis à son université de faire un bond de géant dans le développement de sa vision et l’évolution de la pédagogie, mais sans oublier bien sûr tout le stress et la souffrance engendrés par la pandémie et les mesures de confinement. L’université a d’ailleurs renforcé ses services en santé mentale offerts aux facultés et aux étudiants durant la crise, un autre legs de l’ère COVID-19. 

« On ne l’oublie pas du tout, mais on apprend de ça. On voit bien l’avenir. » 

La suite de notre grand dossier Les universités à la croisée des chemins, mardi 13 juillet : Université Saint-Paul : « Si rien ne change, on va être contraint à la fermeture »