Lydia Philippe, dans la lumière et forte, malgré les obstacles

La présidente de la FESFO, Lydia Philippe. Gracieuseté: FESFO

[LA RENCONTRE D’#ONFR]

ORLÉANS – Depuis son élection à la tête de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) en mai dernier, Lydia Philippe ne faisait pas beaucoup de bruit. La crise linguistique, déclenchée le 15 novembre, a mis l’élève de douzième année du Collège catholique Mer bleu, à Orléans, soudainement sur le devant de la scène. Un rôle qu’elle assume du haut de ses 17 ans, malgré les vicissitudes de la vie. La jeune leader a perdu ses deux parents au cours des derniers mois.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

« Vous étiez assez discrète avant le début de la crise linguistique. Samedi 1er décembre, vous étiez à la grande manifestation d’Ottawa, avec tous les autres leaders et prononciez un discours devant 5 000 personnes. C’était un grand moment probablement?

Oui. La jeunesse m’avait accordé cette confiance. Je voulais bien faire ce discours. Ça m’a pris une bonne semaine, pour m’asseoir, l’écrire, le faire vérifier. Camille Sigouin [coordonnatrice des communications à la FESFO] m’a appuyé pour cette préparation, et Michel Menezes [directeur général de la FESFO] me préparait en route. C’était vraiment sorti du fond de mon cœur. Je voulais parler avec la force de la jeunesse, malgré les difficultés, montrer qu’il va toujours pleuvoir, mais que le soleil va ressortir.

5 000 personnes quand même… Vous étiez prête pour le moment?

Quand je suis arrivée à l’hôtel de ville, je voyais les gens qui commençaient à arriver devant la scène, mais dès que j’ai mis le pied sur le podium, je me sentais confortable de parler devant cette foule. Originalement, j’étais timide, mais la FESFO m’a permis de vaincre cette timidité.

Il y a trois semaines, les annonces de Doug Ford ont pris tout le monde par surprise. Vous vous rappeliez où vous étiez ce jour-là?

J’étais en train de faire du bénévolat, quand on m’a appelé du bureau de la FESFO. On m’a dit que quelque chose se passait. J’étais sans mot, j’allais pleurer… Je suis allée au bureau… J’étais abasourdie. J’ai donné une coupe d’entrevues…

Est-ce que cette crise linguistique vous a donné tout à coup plus de responsabilités à la tête de la FESFO?

Je dirais que oui. J’ai commencé mon mandat en pensant que ça allait être calme, que mon mandat allait être tourné vers les dossiers du vote à 16 ans et celui de la santé mentale. Depuis le 15 novembre, les membres de la FESFO m’envoient des messages tous les jours. Les journées sont vraiment comme un go go. Je surveille tous les médias sociaux.

Vous êtes devenue l’une des leaders du mouvement de La Résistance avec la crise. Vous le réalisez?

On est le porte-parole de la représentation. Quand j’ai appliqué pour le poste, j’ai pris conscience de ce qui pourrait arriver. On prend ça au jour le jour.

Comment se déroule une journée normale à titre de présidente de la FESFO?

J’ai parfois des entrevues entre les dîners et les pauses. C’est dix heures de travail supplémentaire par semaine… Je dois faire des correspondances avec le Conseil de représentation. Avec la crise linguistique, j’ai maintenant beaucoup plus de rencontres.

Lydia Philippe lors de son discours à la manifestation d’Ottawa, le 1er décembre. Archives #ONfr

En tant que Franco-Ontarienne, comment vous sentez-vous après ces annonces?

Personnellement, je voulais déménager à Toronto et être transférée à l’Université de l’Ontario français en 2020. En tant qu’élève francophone, c’est vraiment dur de s’établir dans une ambiance bilingue. J’aurais voulu une ambiance à 100 % francophone.

Pensez-vous que les francophones peuvent sortir vainqueurs de ce bras-de-fer avec Doug Ford?

En voyant ce qui s’est passé le samedi 1er décembre, plus de 14 000 personnes, c’est un premier pas. On n’abandonne jamais, on est résilient, fort, persévérant. On continue et on va sortir vainqueur….

Vainqueur politiquement ou devant les tribunaux?

(Rires). Bonne question. Peut-être, parce que c’est la première fois que je vis un mouvement si fort, alors je ne sais pas quoi répondre. Le gouvernement, je pense, va écouter les besoins… J’espère.

Parlons un peu de votre parcours. Comment passe t-on d’élève à présidente de la FESFO?

Pendant longtemps, je ne connaissais pas la FESFO. En dixième année, mon animateur culturel m’a introduit à un forum Ta région, ton impact! pour « comment faire une étape dans la communauté »…. J’ai commencé à faire plusieurs événements comme les Jeux franco-ontariens puis j’ai décidé, l’an passé, de postuler en tant que représentante de la région d’Ottawa sur le Conseil de représentation. J’ai été élue. La FESFO a changé beaucoup de choses dans ma vie.

Avez-vous des exemples?

Oui… Quand j’ai été élue représentante de la région d’Ottawa, une journée avant la première rencontre du Conseil de représentation, ma mère est décédée. J’avais 15 ans, je ne savais pas quoi faire… Les membres du Conseil de représentation m’ont aidé à prendre le positif de la situation… La FESFO est devenue une seconde famille… Mon père est aussi décédé avant la première réunion du Conseil de représentation, cette année. Grâce à la FESFO, ça m’a donné un soutien.

Comment avez-vous tout de même trouvé la force?

Lorsqu’on assiste à un atelier de la FESFO, on dit toujours que tout ce qui arrive est une leçon, et qu’il y a toujours quelqu’un qui nous attend à la fin. Le 30 novembre, avec ma tante, j’ai lancé une fondation, en hommage à ma mère. Cette fondation Fabiola œuvre pour la sensibilisation aux toxicomanies et à la santé mentale.

On travaille dans la communauté pour contrer les toxicomanies et la santé mentale, et trouver des professionnels pour aider les gens qui sont dépendants, à la drogue, à l’alcool…. Ma mère avait toujours voulu changer le monde, mais elle n’a pas eu la chance de voir son souhait se réaliser. Elle avait 34 ans lors de son décès. Mes parents sont là tous les jours avec moi, dans ma mémoire.

Quelles valeurs vous ont transmis vos parents?

Mon père m’a appris le respect, de s’entraider; ma mère, elle, m’a transmis la notion de résilience. Nous avions eu une vie difficile avec mes parents, mais ma mère m’a toujours dit que les choses qui nous affectent quand on est jeune nous rendent plus forts et meilleurs, par la suite, pour faire un changement.

Difficile dans quel sens?

J’ai toujours été sous la garde légale de ma grand-mère, pendant que mon père était Winnipeg, et ma mère à Ottawa…. J’ai toujours grandi avec ma grand-mère qui est originaire d’Haïti.

Vous portez donc cet héritage haïtien. Vous considérez-vous comme une minorité visible?

Oui. Je me sens même plus Haïtienne que Canadienne. On parle toujours en créole avec ma grand-mère. J’ai maîtrisé le créole dès l’âge de six ans. On aime se donner des blagues, manger ensemble, regarder des films haïtiens. Dans notre culture, l’important, c’est la famille. Une des choses que l’on fait beaucoup et typiquement haïtien, c’est la soupe joumou. À Haïti, on en mange pour célébrer l’indépendance. Ma grand-mère en fait pour les événements spéciaux.

Certaines voix s’élèvent pour dire que le mouvement de La Résistance n’est pas assez inclusif, qu’en pensez-vous?

Je dirais que c’est très inclusif, même si, peut-être, il n’y avait pas assez de minorités visibles dans la foule lors de la manifestation à Ottawa. Certains passaient du temps dans leur famille, je pense, mais il y avait une bonne représentation sur la scène avec Rym Ben Berrah à l’animation, les co-présidents du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) Radi Shahrouri et Kelia Wane. Beaucoup d’artistes sur la scène étaient issus des minorités visibles.

Alisha Kara (vice-présidente), Lydia Philippe (présidente) et Noémy Pitre (secrétaire-trésorière) lors de leur élection à la tête du comité exécutif de la FESFO, dimanche 20 mai. Gracieuseté : FESFO

Et maintenant, le futur, avez-vous des projets à la fin du secondaire?

J’ai appliqué pour faire science politique à l’Université d’Ottawa. Après, j’aimerais être députée fédérale ou provinciale.

Avez-vous des modèles politiques?

Quelqu’un qui m’inspire, c’est Koubra Haggar [ancienne vice-présidente de la FESFO]. Je n’avais jamais vu une femme des minorités visibles, si forte et si heureuse. Elle est devenue mon modèle politique. Elle m’a appris le dossier de l’université, les divers dossiers de la FESFO…

Mais comme politicienne ou politicien au niveau provincial ou fédéral, est-ce qu’il y a une personne qui vous inspire?

Michaëlle Jean. D’une part, parce que c’est une femme haïtienne, et la voir en politique, c’est inspirant. Elle a fait du changement à Haïti.

En passant, succéder à Pablo Mhanna-Sandoval à la tête de la FESFO, est-ce difficile? On le voit tellement partout.

Pablo était pour moi inspirant, on venait du même conseil scolaire. Ce n’était pas difficile de remplir ses souliers, car il m’a guidé. Il a toujours été quelqu’un présent à la FESFO, pour le dossier d’Ottawa ville bilingue, celui de l’Université de l’Ontario français.

Pour terminer, comment voyez-vous l’Ontario français en 2050?

Je dirais que l’avenir nous appartient. On peut dire qu’avec plus de 14 000 personnes aux manifestations, et plus de 15 000 inscrites à La Résistance, les gens continuent…. L’énergie est là, et toujours là…. En 2050, on va quand même être là! »


LES DATES-CLÉS DE LYDIA PHILIPPE :

2001 : Naissance à Ottawa

2016 : Premier événement avec la FESFO

2018 : Élue présidente de la FESFO (mandat d’un an)

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.