Macdonald : des Noirs francophones de l’Ontario prônent « le dialogue »

Crédit image: La Presse canadienne/Graham Hughes

Trois jours après la destruction de la statue de John A. Macdonald à Montréal, les réactions continuent d’affluer… et de diviser. ONFR+ s’est entretenu avec des leaders de la communauté noire franco-ontarienne pour connaître leur position. 

Samedi dernier, l’image de la statue de John A. Macdonald, premier premier ministre du Canada et figure controversée de l’histoire, à terre et décapitée, a fait le tour des médias sociaux.

Les auteurs de la destruction participaient à une manifestation au centre-ville de Montréal pour demander une meilleure répartition des fonds de la police.

« Je n’appuie pas une destruction dans le sens du vandalisme », exprime Julie Lutete, présidente de la Coalition des Noirs francophones de l’Ontario.

« J’appuie une approche où les gouvernements doivent avoir une oreille attentive aux communautés noires et autochtones, pour voir ce que l’on fait des statues. On doit avoir une approche d’écoute, et prendre des décisions qui intéresseraient les deux communautés. »

L’organisme mis sur pied en 2018 qui représente les communautés noires francophones de l’Ontario estime qu’il faut aller au-delà de la destruction de la statue.

« Depuis le début des mouvements antiracistes consécutifs à la mort de George Floyd aux États-Unis, on a continué à tuer des Noirs, et les gens continuent de manifester. Si on doit voyager un jour aux États-Unis, on ne sait pas ce qui peut nous arriver en tant que Noir. Ça affecte vraiment notre moral! »

Le président de la Cocot, Jean-Paul Idikay. Source : YouTube Université d’Ottawa

Condamnation de l’acte d’une poignée de manifestants, c’est aussi le maître-mot du président de la Communauté congolaise du Grand Toronto (la Cocot), Jean-Paul Idikay.

« En soi, il faut respecter, ce sont des symboles. Chez nous au Congo, nous avons de statues, il y a une histoire, et il ne faut pas faire du vandalisme. Notre association congolaise aime la paix. Je suis contre ce genre de vandalisme. Les immigrants vont devoir connaître l’histoire. Ce n’est pas à nous d’arrêter l’histoire du Canada. »

Mais le président de la Cocot prévient aussitôt : le système doit être changé.

« Nous voulons qu’il y ait un état des lieux des politiciens sur le rôle de la police, qu’ils changent leur position… Sinon une véritable guerre peut commencer, qui s’ajouterait aux défis déjà vécus avec la pandémie. Si rien n’est fait, nous risquons de plonger dans le chaos. »

Pour son compatriote Buuma Maisha, président de la Communauté Congolaise du Canada Ottawa-Gatineau, toute action doit se faire « dans la légalité » avant tout.

« On peut se dire qu’une telle question sur Macdonald touche à la représentation de l’identité canadienne. Mais en même temps, avec de l’information contextualisée, on peut se dire qu’il y a une partie de l’histoire qui accorde aussi le crédit de Macdonald, que c’est un personnage icone de l’identité canadienne. »

Bien connu des militants ethnoculturelles francophones en Ontario, Jean-Marie Vianney se montre plus mesuré sur le symbole représenté par John A. Macdonald.

« Ce geste de déboulonner cette statue, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Peut-on vraiment critiquer un geste d’un jour, alors qu’il y a des gestes d’oppression qui ont été posés pendant des siècles? »

M. Vianney enfonce le clou.

« Je ne suis pas certain qu’en Allemagne, les gens accepteraient des statues de gens qui ont fait du mal à la communauté juive. Si un parc porte le nom d’une personne que je ne veux pas nommer, ça serait un scandale! »

Restaurer la statue? 

Reste que la statue de John A. Macdonald sera restaurée et remise en place, a affirmé le premier ministre québécois, François Legault, lundi après-midi.

« Je pense qu’il ne revient pas aux politiciens seuls de prendre les décisions. Ce n’est pas au premier ministre Legault de décider, de même ce n’est pas au premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, de dire qu’il faut maintenant ériger la statue en Alberta », laisse entendre M. Vianney.

Le leader Jean-Marie Vianney. Archives ONFR+

Pour M. Maisha, la reconstruction de la statue est possible, mais uniquement avec un dialogue solide à la base.

« L’idée d’abord, c’est d’enseigner. La question, ce n’est pas d’avoir ou de ne pas avoir la statue, mais il faut, avant toute démarche, informer les Canadiens pour ceux qui se sentiraient exclus par la construction d’une statue. Avec de l’information et du background, la souffrance des gens pourra ainsi être considérée. »

De son côté, Julie Lutete de la Coalition des Noirs francophones de l’Ontario voit la reconstruction de la statue « comme une solution », mais prévient-elle, il faut « que les élus mettent en place des instructions au niveau de la police pour éviter de tuer des Noirs », au risque sur le long terme « de détruire nos communautés ».

Des politiciens « pas représentatifs du problème »

François Legault, mais aussi le premier ministre Justin Trudeau, les leaders fédéraux Erin O’Toole, Yves-François Blanchet et Jagmeet Singh, sans oublier la mairesse de Montréal, Valérie Plante, les différents élus ont tous réagi à la destruction.

Des prises de position dans les médias trop fortes, selon M. Idikay.

« La majorité des politiciens ont condamné, mais ils sont Canadiens. Ceux qui revendiquent, ce sont des immigrants. Les politiciens ne sont pas représentatifs du problème, et ils n’apportent aucune solution. Pendant qu’ils parlent, les policiers continuent à être dans leur bon droit. »

Pour M. Maisha, les réactions des politiciens sont dictées par certains intérêts.

« Ils réagissent selon ce que leur bloc électoral veut entendre. Reste que certaines personnes peuvent se sentir exclues ou vexées. »