Mandat élargi pour le Programme de contestation judiciaire?

La Cour suprême du Canada. Archives ONFR+

OTTAWA – Le nouveau Programme de contestation judiciaire (PCJ) doit voir le jour en 2017. Et si le gouvernement libéral suit les recommandations du comité Justice et droits de la personne, son mandat pourrait être considérablement élargi, comme le souhaite depuis plusieurs années la communauté francophone à l’extérieur du Québec.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Invitée à participer aux travaux du comité en avril dernier, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada n’aura obtenu que partiellement gain de cause. Mais plusieurs de ses recommandations, ainsi que celles des juristes spécialisés en droits linguistiques, ont été retenues dans le rapport final du comité Justice et droits de la personne.

Les députés y reconnaissent l’importance du PCJ, souhaitant l’améliorer pour le rendre plus efficace et transparent, tout en proposant de passer par une loi pour en garantir la pérennité et faire en sorte que tout gouvernement qui souhaiterait l’annuler soit obligé d’obtenir l’approbation du parlement.

« Il y a des points très positifs dans ce rapport. En le consacrant dans une loi, il sera plus difficile de faire vivre au PCJ les rebondissements que nous avons connus », se réjouit la présidente de la FCFA, Sylviane Lanthier.

Créé à la fin des années 70 pour aider les communautés de langue officielle en situation minoritaire à financer des poursuites en justice pour clarifier et affirmer leurs droits linguistiques, le PCJ a connu un parcours chaotique. Son financement a été éliminé en 1992, rétabli en 1993, puis de nouveau supprimé en 2006, avant qu’une entente hors cour ne permette la création du Programme d’appui aux droits linguistiques (PADL).

Le comité recommande d’élargir le mandat du PCJ pour y inclure les contestations fondées sur la Loi sur les langues officielles, les obligations linguistiques énoncées dans d’autres lois fédérales et la contestation de lois provinciales et territoriales à condition que les causes aient une portée et des répercussions nationales.

« Le PCJ ne finance pas à 100 % les causes, mais il est très important pour constituer un fonds de démarrage et il favorise un meilleur accès à la justice », selon l’avocat Mark Power, qui a défendu de nombreuses causes linguistiques. « Ouvrir ce programme à la Loi sur les langues officielles serait très positif car les droits linguistiques les plus intéressants sont dans cette loi. Cela pourrait, par exemple, permettre de financer une cause qui clarifie l’obligation pour le gouvernement de fournir des services bilingues ‘là où la demande est importante’ ou encore de s’attaquer aux manquements récurrents en matière de services en français à l’aéroport d’Ottawa… »

Quelques inquiétudes

La présidente de la FCFA reste toutefois préoccupée par certaines recommandations formulées par le comité. Son organisme plaidait pour la création d’une fondation indépendante ne gérant que la partie des droits linguistiques avec des fonds indépendants, le comité propose plutôt de conserver les deux volets du PCJ – les droits linguistiques et les droits à l’égalité – au sein d’un même programme, afin d’éviter des coûts supplémentaires.

« Il aurait été préférable de les séparer, car ce sont deux types de droits différents et que cela peut créer des problèmes de gestion. Il va être important que les comités d’experts, qui détermineront les causes éligibles à du financement, soient distincts », indique Mme Lanthier.

L’avocat Me Power ne s’en inquiète pas outre mesure, à condition de bien diviser l’enveloppe financière. Son inquiétude réside plutôt dans la pérennité du programme, malgré l’idée de voter une loi.

« Une loi, c’est toujours mieux que le statu quo, mais elle peut être abrogée. De même, quand le financement n’est pas indépendant, il suffit de couper le budget pour tuer un programme. Un organisme indépendant, avec des moyens financiers indépendants, aurait permis de mieux garantir le programme. »

Le président de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc. (FAJEF), Daniel Boivin, anticipe des difficultés dans le recrutement des experts qui siégeront sur les comités, sachant que ces derniers devraient ne recevoir aucune rémunération pour leur travail.

« Ça va être un défi, car non seulement ces experts ne pourront pas être payés, mais en plus, ils ne pourront pas défendre les causes présentées pour éviter tout conflit d’intérêt. »

Autre source d’inquiétude, la recommandation du comité d’abriter la nouvelle mouture du PCJ dans les locaux d’un ministère ou d’un organisme fédéral, comme la Commission des droits de la personne.

« Ce point-là nous préoccupe, car cela pourrait nuire à l’indépendance du programme », explique Mme Lanthier.

Une inquiétude que semble partager la sénatrice franco-manitobaine Raymonde Gagné qui, le 13 décembre, lançait à la Chambre haute : « Je crois qu’il y a lieu de s’attarder plus longuement sur cette proposition. Le gouvernement peut-il bien loger un programme qui finance des recours à son encontre? », s’interrogeait-elle.

Le gouvernement plutôt ouvert

Fait non négligeable, les différents intervenants interrogés par #ONfr reconnaissent, tout comme il est spécifié dans le rapport du comité, que la nouvelle mouture du PCJ, si elle est adoptée en l’état, nécessitera des fonds supplémentaires. Le gouvernement s’est déjà engagé à restaurer le PCJ assorti d’un budget d’approximativement 5 millions $.

« Il est certain que si cette somme doit être partagée entre les deux volets, elle risque d’être insuffisante. Le PADL avait lui-même déjà des difficultés à financer toutes les causes… », insiste le professeur de l’Université de Moncton et avocat spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet.

Dans sa réponse au comité, présentée à la chambre le 13 décembre, le gouvernement s’est montré plutôt ouvert à ces recommandations, assurant vouloir garantir l’indépendance et la pérennité du programme. Toutefois, il est demeuré vague sur les détails alors que le mandat du PADL arrivant à échéance le 31 mars 2017.

« Le gouvernement doit bouger vite, car on ne peut pas se retrouver dans une situation de vide. Il va falloir qu’il précise rapidement les détails du nouveau programme », prévient Me Doucet.

Pour Me Power, la question sera avant tout financière.

« La vraie question sera de savoir combien le gouvernement est prêt à mettre dans le programme compte tenu de la conjoncture économique? »