Michel Pagé, tête d’affiche des francophones de North Bay

Michel Pagé, président des Compagnons des francs loisirs. Archives ONFR+

[LA RENCONTRE D’#ONFR]

NORTH BAY – À North Bay, Michel Pagé est de tous les événements francophones. Cette fin de semaine, c’est encore lui, entre autres, qui pilote le 56e Carnaval d’hiver de la ville. Un événement considéré comme le rendez-vous annuel pour les plus de 6 000 francophones de l’endroit. Rencontre avec ce leader communautaire dont La Résistance franco-ontarienne occupe aussi une bonne partie de ses tâches.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

« Si l’on dit de vous que vous êtes une figure de proue pour les francophones de North Bay, est-ce que le terme vous va?

Vous vous trompez! Plusieurs gens assument des rôles de leadership. Je joue, par exemple, divers autres rôles en tant que président des Compagnons des francs loisirs, directeur d’école, et présentement fondateur du comité de La Résistance dans le Nipissing.

Racontez-nous un peu comment justement s’est formé ce comité de Résistance?

Le mouvement a débuté avec les annonces du gouvernement… Ici, dans la région du Nipissing, il n’y avait pas d’organisme pour représenter la francophonie car Les Compagnons, nous avons un mandat culturel mais apolitique.

J’ai vu à ce moment qu’il y avait quand même un besoin. J’ai alors offert mon appui à l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), et c’est à ce moment là que j’ai choisi d’ouvrir un rassemblement. À la première rencontre, le mercredi 21 novembre, il y avait une soixantaine de personnes. À ce moment-là, j’ai présenté la situation, j’ai invité les gens à se mettre en comité.

La raison d’être, c’était alors la manifestation du 1er décembre. On avait prévu 200 personnes seulement, on était 800! C’était un beau témoignage de notre communauté franco-ontarienne que l’on avait sous-estimée.

Sous-estimée, mais par qui?

Quand je parlais aux médias et que j’annonçais 200 personnes, les gens étaient très surpris… J’étais très confiant. J’ai eu l’honneur aussi d’animer cette manifestation. Mon camion servait d’estrade. Je pouvais voir des gens très loin, plein, plein… Lorsqu’on a chanté le Notre place, j’ai eu des frissons. L’un des plus beaux moments communautaires de ma vie (Ému)! Ça a été tout un moment!

Quel est l’impact des décisions de Doug Ford, annoncées le 15 novembre, dans une communauté comme North Bay?

Au premier plan, il y a le concept qu’on nous enlève des services, des possibilités et des options. Ça envoie le message aux gens que les francophones ne sont pas si importants. Ça enlève l’importance de ce qui est une langue officielle, au même titre que l’anglais. Au Canada, nous n’avons pas une grosse langue, et une petite langue, mais deux langues officielles!

Le leader communautaire, Michel Pagé, lors de la manifestation le 1er décembre. Gracieuseté : Joel Ducharme

Pour les élèves de North Bay, qu’est-ce que ça fait de ne pas avoir encore d’université de langue française?

Les élèves qui diplôment de notre région se rendent présentement à l’Université Laurentienne ou à l’Université d’Ottawa, mais on sait que le nombre de programmes en français y est limité. On doit avoir l’option d’aller étudier dans une université de langue française, et d’en avoir la gestion.

Deux mois après les manifestations du 1er décembre, que se passe-t-il pour le comité de La Résistance Nipissing?

On travaille avec l’AFO. On se rencontre régulièrement pour décider ce que l’on veut faire sur la scène locale… Je pense que l’objectif est réussi.

Maintenant, c’est plus une question de longue haleine. On veut s’assurer que les gens continuent de parler de nous. Le premier objectif, c’était la manifestation, maintenant, c’est conserver l’intérêt des francophones alors que sur la scène provinciale, c’est de mettre la pression sur le gouvernement.

Justement, le député de Nipissing n’est autre que Vic Fedeli, le ministre des Finances. L’avez-vous rencontré depuis les annonces du 15 novembre?

Personnellement, non (Rire). Mais dans nos gestes, on parle avec lui. On a participé à la campagne de vœux de l’AFO. [L’organisme avait enjoint les Franco-Ontariens d’envoyer une carte postale à un député conservateur du gouvernement de l’Ontario avec l’idée de rétablir le Commissariat aux services en français ainsi que le financement de l’Université de l’Ontario français]. On sait que c’est un homme occupé (Rire)!

Depuis 2006, la région ne possède plus d’ACFO locale. Quelles sont les conséquences de tout cela aujourd’hui?

C’est plus dur de consolider notre message politique, mais la mise sur pied de cette Résistance va peut-être remettre sur pied un organisme politique dans la région. L’AFO est prête à nous aider. Sans ACFO, des questions de représentation se posent. On s’est souvent demandé qui va aller à l’hôtel de ville et parler en notre nom. C’est un manque….

Comment se porte les Compagnons des francs loisirs qui est devenu, par la force des choses, l’organisme représentant les francophones ici à North Bay depuis la fermeture de l’ACFO?

On veut s’assurer qu’il demeure en bonne santé. On est en train de se demander quoi faire avec l’édifice. À un moment donné, il faut se demander si c’est toujours viable de le garder. Les consultations publiques ont été faites, on a une firme qui nous appuie dans cette analyse, et nous attendons leurs résultats pour prendre une décision.

En fait, l’édifice nous appartient, mais il est vieillissant, et demande plusieurs rénovations. Il commence à montrer son âge. L’édifice comme tel est dans une situation déficitaire. C’est comme une auto que tu ne fais que réparer, mais il a une place émotionnelle. Ce ne sont pas des décisions qui sont faciles, car l’émotion s’en mêle!

Comment on explique qu’il y a plus de 6 000 francophones à North Bay, ce qui n’est pas rien, mais que cette communauté est, à première vue, assez discrète?

C’est intéressant, car dans les communautés minoritaires, les villages principalement francophones, comme Nipissing Ouest ou Hearst, sont plus faciles à voir. Nous, on est dissimulé, mais c’est seulement quand nous sommes à ces rassemblements-là, comme le Carnaval ou la manifestation du 1er décembre, qu’on s’aperçoit de nous. On a un beau réseau, on a tendance à l’oublier, car nous sommes dans une grande mer anglophone.

Vous êtes né à North Bay, y avez grandi, et finalement, hormis pour vos études, êtes toujours resté dans cette ville. Pourquoi?

J’ai été chanceux de trouver un poste ici, en 1996, dans l’enseignement. J’avais fait des demandes à des conseils scolaires partout en province, et partout au pays. J’avais fait même une entrevue, par téléphone, à l’Île-du-Prince-Édouard, et c’était près que je déménage là-bas. Toutes les options étaient ouvertes….

J’ai débuté finalement ma carrière comme enseignant à l’École Secondaire Catholique Algonquin, et en 2001, je suis passé à la direction des écoles au sein du Conseil solaire catholique Franco-Nord.

Vous êtes né dans les années 70, voyez-vous des changements notables dans la francophonie à North Bay depuis cette époque?

Ce n’est pas la même francophonie que j’ai connue jeune, on voit des changements. Mais ce que j’ai vu le 1er décembre m’a confirmé que lorsque l’on arrive à l’essentiel, les gens sont fiers de leur communauté…. Lorsqu’on nous pousse, on est là!

Mais quels sont ces changements?

(Longue réflexion). Toute la question immigrante est venue changer le visage de la francophonie. Lorsque j’étais jeune, on avait plusieurs familles nées ici… Ces familles pionnières se sont transformées, on a accueilli des familles de la province, du Canada et du monde. Ce ne sont pas les mêmes familles.

Il y a une belle population immigrante aujourd’hui, venue de Côte d’Ivoire, qui nous arrive régulièrement… des beaux échanges avec cette communauté.

Si vous deviez nous dire le défi principal des francophones de North Bay, lequel ce serait?

Le défi, c’est l’assimilation, et ce n’est pas nouveau, et c’est difficile du fait de notre univers minoritaire. Lorsque les gens sortent de la communauté, ils sont perdus dans les communautés anglophones. Certains vont à l’école française, et après ne parlent plus la langue, on perd des soldats…. Ma mère est native de North Bay, mon père est arrivé a 12 ans. Mes parents qui sont encore vivants me disent que les défis sont les mêmes que dans les années 60, avec les élèves qui parlent anglais à l’école, et la difficulté de conscientiser les gens. »


LES DATES-CLÉS DE MICHEL PAGÉ :

1972 : Naissance à North Bay

1996 : Diplôme de l’Université Laurentienne, entre en poste comme enseignant à l’École Secondaire Catholique Algonquin

2001 : Conseiller pédagogique pour le Conseil solaire catholique Franco-Nord, directeur d’école l’année suivante 

2014 : Élu président des Compagnons francs loisirs

2018 : Fondateur du comité Résistance Nipissing 

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada