Michèle Alderton, une retraite consacrée aux francophones de Red Lake

La présidente de l'Association francophone de Red Lake, Michèle Alderton. Archives #ONfr

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

RED LAKE – Toute sa vie, Michèle Aderton a subi les conséquences d’être une francophone en milieu minoritaire. Alors que l’heure de la retraite sonnait, il y a quelques années, elle a décidé de prendre le taureau par les cornes et de poser des gestes pour la sauvegarde de la francophonie de Red Lake. Portrait d’une militante francophone… sur le tard.

« Si on vous connaît maintenant comme l’une des leaders francophones de Red Lake, vous êtes plutôt originaire de la grande région de Hearst. Que vous rappelez-vous de votre jeunesse là-bas?

J’ai grandi dans le petit village Hallébourg. À l’époque, il y avait environ 300 personnes dans la petite communauté. Avec les autres villes des alentours, on surnomme toute cette région « le Petit Québec ». C’était vraiment francophone à fond!

Vous avez ensuite déménagé et expérimenté pour la première fois la vie dans un environnement plus anglophone, comment est-ce que ça s’est passé?

J’avais 15 ans, quand on a déménagé à Geraldton. J’ai été obligée de faire ma 12e année seulement en anglais. Je n’étais pas assez bonne pour étudier en anglais. Et à cette époque dans cette région, les francophones n’étaient pas très bien vus. Le concept de bilinguisme au Canada était tout nouveau et les anglophones étaient réticents. Les gens avaient beaucoup de ressentiment et disaient qu’on leur rentrait le français dans la gorge. J’ai trouvé ça très difficile, car l’atmosphère était très mauvaise.

Michèle Alderton vit à Red Lake depuis 1979. Crédit image : Gracieuseté

Après cette expérience, ça vous a pris un peu de temps avant de vous enraciner quelque part. Vous vous cherchiez?

Oui, j’ai quitté Geraldton. J’ai été vivre à Montréal. Mais les Québécois n’acceptaient pas non plus très bien les Franco-Ontariens. On était vu comme des traîtres, car nous n’étions pas séparatistes. Ironiquement, j’ai décidé de m’envoler vers l’Ouest. Et c’est à Banff que j’ai trouvé un milieu qui acceptait le français et la diversité. Ça m’a donné la piqûre pour le monde et m’a amené à partir en Europe, où j’ai ensuite rencontré mon mari dans une auberge de jeunesse. Il rêvait de se marier à une francophone, moi je rêvais d’un anglophone! Nous sommes toujours ensemble!

Vous avez ensuite décidé de vous établir ensemble à Red Lake. Mais un couple bilingue comporte son lot de défis, n’est-ce pas?

Absolument! Les couples exogames, ce n’est pas simple. Nous avons eu deux fils et je voulais qu’ils parlent français. Mais je voulais aussi qu’on se comprenne tous dans la maison et mon mari ne parlait pas français. J’étais tourmentée par ce problème et un jour, je me suis résignée : j’ai commencé à parler à mon fils en anglais. Je me souviens encore de cette journée fatidique. Je laissais de côté une partie de moi.

Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur cette décision?

Je réalise que je n’aurais pas dû faire ce choix. Mes garçons ne parlent pas français. À l’université, ils ont réalisé leur malchance. L’un était à Montréal, l’autre à Ottawa. Ils ont alors rencontré des anglophones bilingues et c’était très gênant d’admettre qu’ils avaient une mère francophone, mais qu’ils ne pouvaient parler leur langue maternelle. Je réalise que j’aurais dû leur imposer le français. Mon fils aîné a entre temps appris la langue, mais il ne se considère pas parfaitement bilingue. Par contre, je tente de corriger le passé en apprenant le français à mon petit-fils.

Votre désir de dynamiser la francophonie de Red Lake découle d’un autre regret, qui aura finalement été le moteur de votre implication. Expliquez-moi.

Oui, quand je suis arrivée à Red Lake, j’ai obtenu le poste de directrice du Centre patrimonial. C’était un travail passionnant où je pouvais mettre toutes les cultures de l’avant. Mais il y avait de la résistance concernant les francophones. Donc, pendant mon mandat, j’ai mis toutes les cultures de l’avant, sauf la culture francophone! En prenant ma retraite, je me suis dit que j’allais réparer cela et que j’allais redécouvrir ma francophonie.

Cette coupure avec vos racines a-t-elle été difficile à vivre pendant toutes ces décennies?

Ça a été un gros vide. Je me suis sentie toujours un peu laissée de côté. Je sentais que je venais d’une autre culture. Je ne connaissais pas les mêmes émissions à la télévision, les mêmes chansons. Il y avait beaucoup de différences. J’étais entourée par une histoire qui n’était pas mon histoire. Je m’assimilais. Aussi surprenant que ça en a l’air, je ne connaissais personne à Red Lake qui parlait français, il y a encore quelques années. J’avais fait le choix de mettre ma famille en premier. Maintenant, je me retrouve.

Comment est-ce que l’Association francophone de Red Lake a-t-elle vu le jour?

Je suis tombée sur des annonces de subventions à l’intention des francophones hors Québec. Et je me suis dit que nous pourrions nous aussi avoir un groupe. Au départ, tout a commencé avec une simple réunion dans mon salon. Le message s’est passé auprès des francophones et on s’est retrouvé 14 chez-nous. Ça n’a pris que quelques minutes pour que les amitiés se forment. En 2014, on a officialisé la chose en lançant tous ensemble l’Association. J’en ai été la présidente au début, maintenant je suis l’agente de liaison communautaire et j’organise différents projets.

L’Association a pour mandat de promouvoir le bilinguisme. Pourquoi pas plutôt le fait français?

Ce n’est pas possible de vivre seulement en français à Red Lake. Nous voulons plutôt faire la promotion du bilinguisme. On a pris cette décision, il y a trois ans. Si on vantait seulement la vie en français, ça exclurait beaucoup de gens de notre association, notamment les familles exogames. Les gens ici parlent en français et en anglais. Le bilinguisme est une accroche.

La francophonie de Red Lake fait face à des défis particuliers, en raison de son économie. Expliquez-nous…

Dans la vie de Red Lake, quatre ans, c’est très long. Dans une ville minière, les gens partent et viennent. Beaucoup de gens bougent et suivent le travail. C’est difficile de bâtir une communauté francophone unie. On fait un gros travail pour accueillir les nouveaux arrivants francophones. On les invite à faire des activités et à s’installer. Car plusieurs travailleurs ne font que venir une semaine ou deux par mois et repartent ensuite, ce qui est plutôt mal vu par les locaux. Nous essayons de convaincre les travailleurs francophones de s’installer plus longuement et de faire rouler l’économie d’ici, plutôt que de partir avec leur salaire le dépenser ailleurs.

Comment est-ce que la relation entre les francophones et les anglophones a évolué au fil des ans?

Il y a eu un changement majeur. Nous sommes maintenant visibles. Il faut aussi dire que depuis 2016, le drapeau flotte au parc municipal. C’est encore mieux que d’être à l’Hôtel de Ville, car c’est plus visible. Je participe aussi aux activités de la chambre de commerce et on participe à enrichir la culture locale. Maintenant, les anglophones nous voient aller et sont curieux de connaître nos activités. Il y aura toujours des rednecks, mais c’est l’infime minorité. Il ne faut pas non plus sous-estimer notre impact économique. Notre association a eu beaucoup de succès avec ses demandes de subventions. Nous louons donc des salles dans la communauté pour faire des activités et faisons rouler l’économie! Par exemple, nous avons loué le sous-sol d’Église qui était terriblement vide. Les anglophones sont contents de nous voir arriver maintenant!

Quel est le plus grand défi de la communauté francophone de Red Lake?

Ce sont les jeunes. Il y a des jeunes qui vont à l’école française, mais quand ils arrivent en 7 ou 8e année, il y a juste deux élèves. Ce n’est pas assez pour vraiment vivre son français. Il faut prendre soin de cette jeunesse. Nous voulons nous inspirer d’autres petites communautés et voir comment ils s’y sont pris pour transmettre la langue d’une génération à l’autre. Nous voulons que les jeunes soient fiers de parler français et bien dans leur peau. On cible les enfants de 10 ans à 18 ans, car c’est là qu’ils perdent leur langue.


LES DATES-CLÉS DE MICHÈLE ALDERTON

1951 : Naissance à Hallébourg, près de Hearst

1969 : Déménagement à Geraldton

1979 : Arrivée à Red Lake

2014 : Retraite et décision de participer plus activement à la communauté francophone

2016 : Sous son impulsion, le drapeau franco-ontarien flotte au parc du centenaire à Red Lake

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada