Mireille Thomas, de Marseille à Terre-Neuve-et-Labrador

Mirelle Thomas (au centre). Gracieuseté.

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

SAINT-JEAN (TNL) – En 1964, la Française Mireille Thomas posait ses valises à Saint-Jean de Terre-Neuve, un peu par hasard. Plus de 50 ans plus tard, elle y vit toujours. Pour cette Franco-Terreneuvienne d’adoption, ses combats pour les francophones l’ont d’abord mené de la présidence de de l’Association communautaire francophone de Saint-Jean à la tête de la Fédération des francophones de Terre-Neuve-et-Labrador (FFTNL). Toujours active, Mireille Thomas a reçu, le 16 juin dernier, le prix national du leadership de la part de Fédération des aînées et aînés francophones du Canada (FAAFC), un organisme dont elle est membre. 

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

« Première question, doit-on dire St. John’s ou Saint-Jean de Terre-Neuve?

C’est la grande bagarre. Je suis interprète agréée et on ne traduit pas les noms en principe car St. John’s, c’est le nom officiel, mais tous mes amis disent Saint-Jean de Terre-Neuve, sinon on se retrouve au Nouveau-Brunswick! Ça m’est déjà arrivé quand j’ai acheté un billet d’avion!

Vous êtes présente à Saint-Jean depuis 54 ans. Qu’est-ce qui vous a amené de Marseille jusqu’ici?

J’ai épousé, en juillet 1964, un Gallois qui a été nommé ici à l’Université Memorial de Terre-Neuve, fin août, et on est arrivé en septembre. Vous parlez d’une aventure! C’était quand même du gros changement. Je ne parlais pas l’anglais. À l’époque, j’avais 20 ans. J’étais assez naïve. On disait, dans le temps, qui prend mari, prend pays. Je l’ai donc suivi mais je ne savais pas où j’allais atterrir. À l’époque, Terre-Neuve était très isolé. On avait un vol par semaine de Montréal, donc on était vraiment au bout du monde.

En 1965, vous entrez à l’Université Memorial à votre tour, où vous allez rester plusieurs années. Racontez-nous un peu cette expérience. 

(Rires) C’est ça. La première année, j’attendais un bébé, j’étais à la maison, je m’ennuyais à mort. Chez moi, on a toujours travaillé, ma mère était institutrice, mes deux parents travaillaient, ce n’était pas mon style de rester à la maison sans rien faire. Ce qui m’a poussé à sortir, c’était d’apprendre l’anglais. À Terre-Neuve, on n’avait alors aucun service en français. J’ai commencé à travailler à la bibliothèque de l’Université, c’était une façon de rencontrer les gens. Après ça, j’ai complété des cours et obtenu un baccalauréat, puis une maîtrise, et on m’a offert du travail pour l’enseignement du français langue seconde en 1967. J’y suis restée et j’ai pris ma retraite en 2005.

Vous avez eu trois enfants. Du fait que le Charte canadienne des droits et libertés n’était encore pas instaurée, ils ont donc été dans des écoles anglophones. Était-ce un crève-cœur pour vous?

Non. On y pensait même pas. D’abord, parce que mon mari était anglophone, comme les amis et les petits voisins. Moi, j’avais la chance d’aller, tous les ans, un mois en France passer mes vacances avec ma famille. Mes enfants pouvaient jouer avec leurs cousins et cousines en français.

Vous avez donc été actrice et spectatrice de la progression du français à Terre-Neuve-et-Labrador. Y’a-t-il eu des changements en 50 ans?

Quand Pierre-Elliot Trudeau [premier ministre du Canada de 1968 à 1979, puis de 1980 à 1984] nous a octroyé des fonds, plusieurs associations francophones se sont formées dans chaque région : une au Labrador, dans la Côte-Ouest et une à Saint-Jean. La fédération provinciale (La FFTNL) a été créée en 1973 et la même année, l’Association francophone de Saint-Jean [l’ancêtre de l’Association communautaire francophone de Saint-Jean] aussi. C’est ainsi qu’on a pu se rassembler et faire des projets ensemble.

Les services de santé se sont aussi développés. Terre-Neuve a en effet un accord sur la prestation de ces services avec Saint-Pierre et Miquelon. Le gouvernement provincial donne aujourd’hui des cours sur une base volontaire au personnel de l’hôpital de Saint-Jean.

La ville de Saint-Jean de Terre-Neuve. Archives #ONfr

Pourquoi ce déclic de vous engager, vous qui étiez finalement arrivée par hasard?

C’est peut-être dans ma nature, dans mon sang. Dans ma famille, on était très ouvert à l’extérieur et aux cultures. On recevait beaucoup de gens d’autres pays. C’était donc normal de ne pas rester chez moi.

Statistique Canada parle de 2 600 francophones de langue maternelle à Terre-Neuve-et-Labrador, la FFTNL a tendance à en voir plus de 3 000. Est-ce que l’on compte mal les Franco-Terreneuviens?

C’est très compliqué, car chaque communauté est formée de personnes d’origines différentes. Au Labrador, on peut dire que 100 % des francophones qui sont là sont venus du Québec pour travailler pour les compagnies minières. À Saint-Jean, il y a des gens de partout, dont beaucoup d’immigrants qui viennent de l’Afrique, alors qu’il y a trente ans, il n’y avait pas un seul noir dans toute la ville. On est quand même très différent. L’immigration se fait parce que la population a baissé en nombre. Les jeunes s’en vont, car il n’y a pas beaucoup de travail. Actuellement, le gros enjeu à Terre-Neuve, c’est d’avoir un emploi qui paye bien. En général, les immigrants sont eux bien qualifiés.

Pourquoi ce besoin d’immigration? A-t-on manqué quelque chose au niveau du français dans la province?

Il y a une génération perdue. J’ai rencontré des jeunes dont les parents ne parlent plus français. Parce qu’à l’école, on les punissait s’il parlaient français, où les prêtres étaient tous des Irlandais qui parlaient seulement en anglais. Cela fait quand même un gros défi. Certains parents essayent aujourd’hui de rattraper leur français, mais c’est difficile et très délicat. Le gros défi, c’est que les gens du Labrador ne restent pas là quand ils sont à la retraite. Ils partent pour se rapprocher de leurs enfants. Cela limite donc les projets de soins de santé pour les francophones au Labrador.

Quand je dis que nous avons des associations, beaucoup de gens me disent qu’ils n’en ont pas besoin. Ils n’ont pas l’impression de perdre leur français. Je connais des Français de France qui arrivent ici et mettent leurs enfants dans les écoles anglaises, en se disant qu’ils doivent apprendre l’anglais.

Cela vous choque?

Non. Le choix de la langue est personnel. Par contre, si dans quelques années, ils me reviennent en disant que leurs enfants ne parlent plus français, je leur dirais qu’il faut peut-être plus participer aux activités. C’est la transmission qui est importante. Quand mon petit-fils de neuf ans rentre chez moi, il sait qu’il s’adresse à moi en français. Certains vont à l’école française, rentrent chez eux, et parlent alors en anglais!

Parlons un peu des enjeux pour les aînés. À Saint-Jean, en quoi ces enjeux sont spécifiques?

L’un des enjeux est l’isolement. À l’Association communautaire francophone de Saint-Jean, il y a des personnes sur des listes, mais je m’efforce de demander des nouvelles de ces personnes. Personne ne le sait. On essaye de faire des activités. Ceux qui vivent à Saint-Jean ont appris l’anglais, c’est peut-être moins un défi que d’autres personnes qui arrivent et qui n’ont pas du tout la maîtrise de l’anglais. C’est le cas des gens de Saint-Pierre et Miquelon qui viennent ici et ne parlent aucun anglais.

À l’automne dernier, la FAAFC lançait le projet Bâtir en région éloignée pour venir en aide aux aînés francophones habitant dans de petites communautés rurales, éloignées les unes des autres. Pourquoi cette idée?

C’est certainement un important projet, car on a peu de services en régions éloignées. Par exemple dans notre province, les transports en commun sont vraiment épouvantables. On a un service d’autobus à Saint-Jean mais qui est vraiment minable. Beaucoup disent que si on a personne pour nous accompagner ou prendre un taxi, c’est un gros problème. On ne parle pas beaucoup de cela et ça contribue à l’isolement.

Parler en français, ça isole plus dans les régions en contexte minoritaire?

(Hésitation). Mon expérience est que d’une façon ou d’une autre, les francophones doivent faire l’effort de parler anglais, si personne ne parle français.

Quel effet cela fait de recevoir une récompense comme celle du 16 juin? Vous aviez déjà reçu le prix Roger-Champagne en 1996 récompensant le francophone de l’année pour la province. 

Ça fait plaisir. Mais je ne suis pas seule, et on ne fait rien toute seule. À la Fédération des aînées et aînés francophones du Canada, tout ce qu’on fait, c’est ensemble.

En terminant, si vous étiez à la place de Justin Trudeau, quelle serait votre première mesure pour les francophones?

(Très longue hésitation). Déjà, la Loi sur les langues officielles n’est pas toujours bien appliquée et c’est un problème. Elle va être regardée de nouveau avec la possible refonte, mais il faudrait déjà l’appliquer avec ce que l’on a déjà. »


LES DATES-CLÉS DE MIREILLE THOMAS 

1944 : Naissance à Marseille (France) 

1964 : Arrivée au Canada à Saint-Jean

1982 : Devient membre du comité consultatif sur le bilinguisme pour le ministère de l’Éducation de Terre-Neuve-et-Labrador

1990 : Élue présidente de la FFTNL

1996 : Reçoit le Prix Roger-Champagne qui récompense un Franco-Terreneuvien émérite

2005 : Retraite après près de 40 ans à l’Université Memorial

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada. À noter qu’il n’y aura pas de Rencontres #ONfr pour la période estivale de juillet et août.