Mobiliser nos énergies sur nos défis, non sur Emmanuella Lambropoulos

Le premier ministre Justin Trudeau, et la députée Emmanuella Lambropoulos. Source: Facebook Emmanuella Lambropoulos

[ANALYSE]

OTTAWA – « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Emmanuella Lambropoulos connaissait manifestement peu la portée de l’adage de l’auteur Albert Camus. En niant le déclin du français dans sa propre province, la députée québécoise de Saint-Laurent s’est attiré les foudres de l’opposition à la Chambre des communes, mais aussi d’une partie de sa formation libérale.

Dernier acte de ce feuilleton long d’une semaine : Mme Lambropoulos a quitté le comité des langues officielles, où elle siégeait depuis deux ans. C’est sur ce même groupe que l’élue avait commis l’indéfendable la semaine dernière, mettant en doute le déclin du français au Québec.

À la dénégation de ces faits pourtant relayés depuis des années par des études sérieuses se greffait le ton volontiers léger de Mme Lambropoulos. Les air quotes utilisés sur le mot déclin ajoutaient au malaise.

Les réactions ont dépassé le Québec. Interrogés par ONFR+, les députés franco-ontariens Marie-France Lalonde et Francis Drouin ont reconnu l’erreur de leur collègue, en plaidant l’indulgence, mais aussi de « se concentrer sur les vraies choses ».

Comparaison pertinente mais avec des limites

Toute comparaison sur le déclin du français entre la Belle Province et l’Ontario n’est pas raison, même si l’Ontario français connaît aussi une tendance déclinante. À Ottawa, il suffit de comparer les artères francophones de Vanier dans les années 60 à aujourd’hui pour se le persuader.

N’en déplaise aux jovialistes, le français était la « première langue officielle parlée » de 4,1 % d’Ontariens en 2016, contre 4,3 % en 2011 et 4,5 % en 2006. À Cornwall ou Windsor, villes à la frontière américaine, l’assimilation est encore plus forte.

Mais la situation au Québec ne peut être vue comme un miroir.

Dans la grande majorité des endroits, le nombre de locuteurs francophones au Québec reste supérieur aux anglophones. Par ailleurs, la province unilingue francophone possède ses propres lois pour protéger le français, et une capacité à choisir ses immigrants. Autant d’outils pourtant insuffisants à enrayer le déclin démographique du français, particulièrement à Montréal.

Les Franco-Ontariens sont moins bien lotis, même si dans l’Est ontarien, et certaines parties du Nord de l’Ontario, les francophones sont majoritaires. Il s’agit davantage d’assurer une survivance culturelle et de demeurer une minorité forte et influente.

Dans ces conditions, constater la cacophonie libérale au Québec à la suite des propos d’une députée insensible ne doit pas détourner les francophones en milieu minoritaire des vrais objectifs.

Des objectifs nombreux pour les francophones

Pendant qu’Emmanuella Lambropoulos parle, personne ne sait quand la Loi sur les langues officielles sera modernisée, de même la Loi sur les services en français en Ontario, ni si les Franco-Ontariens bénéficieront du retour à l’indépendance du commissaire aux services en français, si l’Université de l’Ontario français réussira son démarrage en 2021…

En accordant trop d’importance au propos de la députée de Saint-Laurent, on oublie que l’immigration francophone reste cruciale en Ontario. En cela, la pandémie a dressé de nombreux obstacles qui retardent les dossiers de candidatures à l’immigration.

Enfin, pendant qu’Emmanuella Lambropoulos parle, le dossier de la survie du Campus Saint-Jean n’est toujours pas réglé. La seule institution postsecondaire francophone en Alberta n’a aucune garantie qu’elle pourra encore accueillir des étudiants dans les prochaines années.

Mobiliser nos regards et nos énergies sur les défis actuels, davantage que sur Mme Lampropoulos, c’est simplement résister au déclin inéluctable de la francophonie.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 21 novembre.