Mulroney demande sa juste part au fédéral pour l’Ontario français

La ministre des Affaires francophones de l'Ontario, Caroline Mulroney. Archives ONFR+

OTTAWA – En attaquant le gouvernement fédéral, coupable selon elle de sous-financer la francophonie ontarienne, la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney, reprend un argument… de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO).

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Critiqué de toute part en Ontario et au Canada, le gouvernement progressiste-conservateur change de stratégie. Mardi, en mêlée de presse, la ministre Murloney a accusé le gouvernement fédéral de sous-financer les francophones de l’Ontario. Un argument qu’elle avait déjà utilisé lors de sa conversation téléphonique avec la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly, le 23 novembre.


« On fait notre part, on s’attend à ce que le gouvernement fédéral fasse sa part aussi » – Caroline Murloney, ministre des Affaires francophones


« Selon l’entente provinciale-fédérale, l’Ontario reçoit 2,78 $ pour chaque francophone contre 7,31 $ pour le Nouveau-Brunswick et 35,71 $ pour le Manitoba. Depuis cinq ans, le fédéral a investi 7 millions $ par l’entremise de cette entente, alors que l’Ontario en a investi près de 13,2 millions $ », avait-elle expliqué.

Mercredi, la ministre a persisté au micro d’#ONfr et tenté de préciser sa pensée.

« Je ne sais pas si on peut trouver la moyenne pour que tous les francophones à travers le Canada reçoivent le même montant. C’est une question qu’on va devoir discuter avec le fédéral. »

La ministre Joly n’a pas semblé convaincue par cet argument, même si elle s’est dite ouverte à la négociation.

« On ne va pas commencer à privilégier une communauté par rapport à une autre. Si on avait une approche seulement per capita, on n’aurait pas une approche pour les services au pays qui seraient équitables pour tous. On doit toujours protéger et offrir des services pour une petite communauté de 100 personnes en Alberta, par exemple, comme pour une communauté qui peut avoir 100 000 personnes. On doit tenir compte des deux. »

Mme Mulroney n’a pas toutefois pas confirmé si, en cas d’un nouveau calcul fédéral à la faveur de l’Ontario, son gouvernement reviendrait sur ses récentes décisions qui touchent la francophonie ontarienne.

« Ce n’est pas une question de coupe, si le fédéral veut donner de l’argent à la province, je serais très contente de leur en parler », a-t-elle simplement commenté.

Détourner l’attention

Selon les recherches d’#ONfr, les chiffres de Mme Mulroney proviendraient de l’entente provinciale-fédérale sur les services en français. À ce titre, le gouvernement fédéral y versait, en 2016, 2,54 $ par personne en Ontario, 34,17 $ au Manitoba et 6,02 $ au Nouveau-Brunswick.

« Mais les chiffres de Mme Mulroney ne sont pas clairs », estime la politologue de l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal. « En ne se basant que sur l’entente qui concerne les services dans la langue de la minorité, elle oublie toutes les autres ententes. »

L’Ontario obtient ainsi, par exemple, 33,5 % de la somme totale des transferts fédéraux pour l’enseignement dans la langue de la minorité et de la langue seconde. Ottawa verse aussi aux provinces du financement dans les infrastructures éducatives et communautaires et le dernier Plan d’action pour les langues officielles prévoit une somme de plus de 62 millions $ sur cinq ans pour le recrutement et la rétention des enseignants pour la langue de la minorité et l’apprentissage de la langue seconde.

« La province a aussi la possibilité de faire des demandes de financement pour des besoins spéciaux, comme la création d’une université de langue française », souligne Mme Cardinal.

À l’heure actuelle, aucune demande de financement pour démarrer le projet d’université franco-ontarienne n’a été déposée auprès du gouvernement fédéral, ni par les libéraux ontariens, ni par leurs successeurs, a-t-on confirmé à #ONfr.

« Le gouvernement Ford n’a pas fait cette demande parce que sinon ça l’engagerait formellement », juge la politologue. « Le gouvernement ontarien veut détourner l’attention et mettre la pression sur le fédéral, avec qui il n’est pas ami, en oubliant ses propres obligations linguistiques. »

Une demande de l’AFO

Reste qu’à la défense de la ministre ontarienne, la méthode de calcul du fédéral demeure opaque et qu’en matière d’aide pour les services en français, il est vrai qu’une somme égale de 1,4 million de $ est versée à chaque province par année, sans tenir compte de la taille de la population francophone.

Sa demande d’une meilleure répartition des fonds fédéraux rejoint celle que faisait l’AFO avant le dévoilement du Plan d’action pour les langues officielles. En novembre 2017, l’organisme porte-parole des Franco-Ontariens demandait de doubler l’enveloppe budgétaire destinée aux organismes, mais aussi de revoir le mode de calcul du financement fédéral, en tenant davantage compte du fait que l’Ontario héberge près de 54 % de la population francophone canadienne vivant en situation minoritaire.

L’AFO souhaitait que l’Ontario obtienne le tiers du financement de Patrimoine canadien, sans sabrer dans les sommes investies dans les autres provinces.

Le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, Carol Jolin. Archives #ONfr

« L’AFO comprend que l’Ontario reçoive moins per capita que les autres provinces, dont les plus petites. Par contre, le renouvellement du Plan d’action [pour les langues officielles] est le moment propice pour que le gouvernement du Canada établisse un meilleur équilibre dans son financement entre les provinces », précisait son président Carol Jolin.

L’organisme a refusé la demande d’entrevue d’#ONfr.

« C’est certain que la revendication de Mme Mulroney rejoint celle de la communauté. L’AFO demande depuis longtemps un réajustement de l’enveloppe. Mais en faisant ça, la ministre Mulroney tente surtout d’instrumentaliser cette demande pour se soustraire à ses propres responsabilités », estime toutefois Mme Cardinal.

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada avait refusé de commenter la proposition de l’AFO, à l’époque. À la suite des propos de Mme Mulroney, l’organisme maintient le silence et préfère insister sur le fait que la francophonie canadienne est unie derrière l’Ontario français, avec des événements de soutien prévus vendredi et samedi dans au moins huit provinces.

Article écrit en collaboration avec Étienne Fortin-Gauthier.


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