Mutilation génitale : « un enjeu de l’immigration francophone en Ontario »

Un grand forum francophone sur l'excision s'est déroulé au Collège Boréal à Toronto pour aborder de front le problème Crédit image: Étienne Fortin-Gauthier

TORONTO – Malgré son illégalité, l’excision est bel et bien pratiquée sur des fillettes en sol ontarien par des immigrants francophones originaires d’Afrique, selon plusieurs intervenantes au fait de cette réalité cachée. La province doit prendre ses responsabilités, selon plusieurs acteurs sociaux réunis à l’occasion d’un grand Forum francophone sur le sujet, le lundi 6 février.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« Oui, ça se passe à Toronto. Ça ne se fait pas dans les bureaux de médecins, mais plutôt derrière les portes closes. Plusieurs mamans francophones viennent aussi à nos bureaux, car elles ont peur de voir leurs filles en être victimes », explique Dada Gasirabo, directrice de l’organisme franco-ontarien Oasis Centre des Femmes.

L’excision, qui fait habituellement référence à l’ablation du clitoris, se pratique bien souvent sans anesthésie et avec des outils inappropriés, comme un couteau de cuisine ou un morceau de verre. En plus d’éliminer le plaisir sexuel, pour les femmes touchées par cette pratique, l’excision peut aussi entraîner la mort.

Bon nombre d’immigrantes francophones à Toronto et dans le reste de l’Ontario viennent de pays où l’excision est couramment pratiquée, comme le Mali, le Sénégal, la Guinée et le Djibouti.

« Une bonne partie de l’immigration francophone de Toronto est d’origine africaine et originaire de pays où l’excision est pratiquée. Ça devient un enjeu de l’immigration francophone. Il faut arrêter d’ignorer la question, comme si de rien n’était », souligne Mme Gasirabo. Difficile cependant de dire combien de personnes sont touchées par la pratique, considérant que l’excision se déroule en cachette, ajoute-t-elle.

Le Forum sur l’excision qui s’est déroulé à Toronto visait à briser le silence au sein de la communauté franco-torontoise autour de cette pratique. Des dizaines de personnes ont pris part à l’événement, dont bon nombre de spécialistes de la santé qui ont à traiter avec des femmes touchées.

Le Centre francophone de Toronto (CFT) est aussi bien au fait de cette réalité, a confirmé à #ONfr, Lise-Marie Baudry, directrice de l’organisme.

L’avocat des services juridiques du CFT a d’ailleurs pris la parole lors du Forum. « Il y a aussi des francophones qui exigent l’asile au Canada, car ils subissent de la pression pour faire subir l’excision à leur fille. Ces parents décident de quitter leur pays pour protéger leur enfant », a expliqué Sacha Cragg-Gore.

Gestes politiques exigés

Dada Gasirabo interpelle les dirigeants politiques ontariens. Il y a un manque de ressources, insiste-t-elle. « Il faut en parler pour voir ce qu’on peut faire pour soutenir ces femmes et responsabiliser nos leaders politiques pour qu’ils nous aident. Il y a aucun leader qui voudrait voir sa fille se faire exciser. Ils ont le devoir d’agir pour les autres », a-t-elle soutenu.

« Il y a un manque de sensibilisation et un manque d’éducation pour les immigrantes francophones qui arrivent ici. Pour l’éradiquer, il faut accueillir les femmes avec ouverture et leur offrir du soutien. Il faut aussi donner un appui psychologique à celles qui ont été excisées », dit Mme Gasirabo.

Le consul de France à Toronto, Marc Trouyet, a d’ailleurs fait savoir que l’État français a modifié sa législation en fonction des pratiques d’une partie de sa population immigrante. « Cette réalité de l’excision que vous connaissez au Canada, on la connaît aussi en France. Nous avons développé des outils juridiques. Aujourd’hui, les auteurs des excisions sont passibles d’une peine de dix ans de prison et jusqu’à 30 ans de prison si l’enfant décède », a-t-il soutenu. Le pays aurait aussi mis en place différentes mesures pour sensibiliser les citoyens et leur offrir les soins psychologiques appropriés.

Les observations faites pendant ce Forum sur l’excision ne resteront pas lettre morte, selon Gilles Marchildon, directeur de l’organisme franco-torontois Reflet Salvéo. « Nous allons prendre des notes et exprimer ces besoins au système de santé de la province en faisant des recommandations aux réseaux locaux de santé, les RLISS, qui accordent le financement et font de la planification à l’échelle régionale », a-t-il assuré.