Au Cambodge, parler français peut ouvrir des portes et permettre d’accéder aux plus hautes sphères du pouvoir. Le premier ministre Hun Sen rêve d’ailleurs d’un pays où la jeunesse retourne au français, mais ce n’est pas gagné d’avance. Plus de 60 ans se sont écoulés depuis l’indépendance du Cambodge de la France, et certains doutent de la pertinence de s’accrocher à la langue de Molière.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER :
Le premier ministre du
Cambodge espère que la jeunesse
revienne au français.
Une fabulation irréaliste
disent plusieurs observateurs,
mais il reste que
dans ce pays d’Asie du Sud-Est,
parler français permet encore
bien souvent d’espérer
d’atteindre les plus
hautes sphères du pouvoir.
Générique d’ouverture
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER est à bord d’un tuk-tuk, un tricycle motorisé servant généralement de taxi.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER :
À Siem Reap, une ville
du nord du pays reconnue
pour les temples d’Angkor,
j’ai rencontré Socheat.
Le jeune homme termine
un double diplôme en droit
franco-cambodgien. Pour lui,
le français symbolise
l’espoir d’une vie meilleure.
SOCHEAT marche dans les rues de Siem Reap.
SOCHEAT :
Moi, quand j’étais petit,
ma famille était très pauvre
et, du coup, mon père,
il n’arrivait pas à donner
toutes les éducations.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER : Narrateur
Socheat a pu mener des études
grâce à l’aide de l’organisme
Enfants du Mékong. Cette ONG
française lui a enseigné le
français et a payé une partie
de ses frais de scolarité.
Des images de rizières sont présentées.
SOCHEAT :
Si j’avais pas eu la chance
d’être sélectionné par Enfants
du Mékong, peut-être que
je travaillerais à la rizière.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER : Narrateur
Il espère pouvoir poursuivre
ses études ailleurs
dans la francophonie
puis revenir participer
au développement du Cambodge.
SOCHEAT :
Moi, je voudrais travailler
pour le gouvernement quand
même, parfois, et donc,
il faut que je parle français.
Un extrait vidéo montre le premier ministre prendre la parole lors d’une cérémonie.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER : Narrateur
Mars 2018 : le premier ministre
cambodgien Hun Sen prend
la parole lors d’une cérémonie
de remise de diplômes
universitaires de l’Institut
national de l’éducation.
Il s’attriste de constater
que sur les 1600 finissants,
seulement 4 ou 5 sont
spécialisés en français.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER se promène dans ce qui semble être un temple.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER :
Les touristes s’intéressent
pas vraiment à la chose,
mais le Cambodge, c’est pas
une démocratie. Au cours
des dernières années, il y a eu
une grave dérive autoritaire.
Il y a pas vraiment de liberté
de la personne, il y a pas
de liberté de la presse.
Il y a même des problèmes
de corruption et de torture.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER marche vers le ministère.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER : Narrateur
Pour comprendre les déclarations
du premier ministre, direction
le ministère des Affaires
étrangères. J’ai rendez-vous
avec Yiseang Chhiv,
secrétaire d’État
responsable de la francophonie
au gouvernement cambodgien.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER est assis dans le bureau du secrétaire d’État.
YISEANG CHHIV :
Ce qui a marqué notre premier
ministre, c’est qu’il voit
une diminution drastique
du nombre de jeunes qui
apprennent le français.
C’est important parce que cette
langue doit continuer à être
étudiée et utilisée au Cambodge.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER est dans un tuk-tuk.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER :
Je m’en vais rencontrer
Thibault Bourru. C’est un
journaliste français qui vit au
Cambodge depuis un peu plus de
deux ans et il a un point de vue
un peu plus réaliste sur la
place du français dans le pays.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER rencontre THIBAULT BOURRU dans un parc.
THIBAULT BOURRU :
On est à peu près autour
de 440 000 francophones
au Cambodge. Sur 15 millions
d’habitants, c’est pas mal.
Ce qui m’embête un petit
peu, c’est cette histoire
de guéguerre entre les langues.
Le français doit se développer
en Asie parce qu’on sait
très bien que l’Asie,
c’est le continent à la mode
en ce moment. C’est là où
il y a le plus d’habitants.
Mais ici, honnêtement, je pense
qu’il faut vivre avec son temps
et, aujourd’hui, en Asie,
le français, je vois pas
ce que ça pourrait apporter
de très concret.
Une carte du Cambodge et un portrait du roi cambodgien sont présentés.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER : Narrateur
La langue française s’implante
véritablement au Cambodge
au dix-neuvième siècle de façon pas mal
imprévue. Menacé par ses deux
voisins, le roi cambodgien
Norodom Premier appelle
à l’aide Napoléon 3.
En 1863, le Cambodge accepte de
devenir un protectorat français.
Des photos d’archives du pays sont présentées.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER : Narrateur
90 ans plus tard, au terme
de négociations cordiales
avec la France, le pays
retrouve son indépendance.
Au parc, THIBAULT BOURRU témoigne.
THIBAULT BOURRU :
Dans les années 60, 50,
il y avait beaucoup, beaucoup de
Khmers qui parlaient français.
Les Cambodgiens aujourd’hui, ils
ont plutôt de bons souvenirs.
Ils sont plutôt reconnaissants
envers ce que les Français
ont pu apporter ici au Cambodge.
Des images des Khmers rouges sont présentées.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER : Narrateur
Mais en 1975, l’horreur :
les Khmers rouges prennent le
pouvoir. En moins de quatre ans,
ils tuent jusqu’à deux millions
de citoyens. Parler le français
peut être un prétexte suffisant
pour trouver la mort.
Depuis, le pays a retrouvé
la paix, mais aujourd’hui,
le français, c’est surtout
la langue de l’élite,
constate Thibault Bourru.
Dans le parc, THIBAULT BOURRU témoigne.
THIBAULT BOURRU :
Depuis, la famille royale
apprend toujours le français.
Les petits enfants qui naissent
dans la famille royale,
ils sont tous inscrits au lycée
français René-Descartes.
Après, il y a aussi dans
le gouvernement. Il y a beaucoup
de politiques qui parlent
français, qui ont peut-être
fait des études en France.
Des images du Cambodge tel qu’il est maintenant sont présentées.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER : Narrateur
En fait, la moitié des membres
du gouvernement cambodgien,
notamment les ministres et
leurs conseillers, maîtrisent
la langue française. On retrouve
aussi le français au sein
de l’élite économique. Plusieurs
investisseurs venus de France
se sont positionnés dans
le développement de nouveaux
secteurs au Cambodge.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER marche dans la ville.
ETIENNE FORTIN-GAUTHIER :
En fait, la France est le
premier pays européen actif au
Cambodge en matière économique.
Certains les voient comme des
sauveurs qui viennent développer
le pays ; d’autres comme
des profiteurs qui s’accaparent
les revenus du tourisme.
Depuis l’époque coloniale,
beaucoup de choses ont changé
au Cambodge, mais le français
demeure une porte d’entrée pour
les postes haut placés dans le
pays. Reste à voir si d’autres
jeunes Cambodgiens comme
Socheat embrasseront le rêve
francophone du premier ministre.
SOCHEAT marche dans la rue.
Générique de fermeture