La nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue par Trudeau jugée invalide

La lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick, Brenda Murphy. Source: Facebook gouvernement du Nouveau-Brunswick

Le gouvernement Trudeau a manqué à ses obligations linguistiques et constitutionnelles en nommant une lieutenante-gouverneure unilingue au Nouveau-Brunswick, concluent les tribunaux.

En septembre 2019, Brenda Murphy, qui parle seulement anglais, avait été nommée par le gouvernement fédéral malgré le fait que le Nouveau-Brunswick soit une province bilingue. Cette décision a été rendue ce jeudi, après que la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) ait porté en appel la décision du fédéral quelques mois après la nomination de Mme Murphy.

La juge en chef Tracey Deware de la Cour du Banc de la Reine écrit dans sa décision que « le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick doit être bilingue et capable de s’acquitter de toutes les tâches requises de son rôle en anglais et français ».

« Si des membres de l’une des deux communautés linguistiques constitutionnellement reconnues sont incapables d’interagir directement, dans leur langue, avec le chef d’État, comment pouvons-nous considérer qu’il y a, dans un tel cas, égalité des deux communautés linguistiques? À mon avis, nous ne le pouvons pas », écrit la juge Deware.

Cette dernière laisse au gouvernement le choix de décider des prochaines étapes, signalant que ce n’est pas à elle de décider si Mme Murphy peut garder son poste. Le contraire invaliderait les lois votées et en vigueur depuis la nomination de celle-ci en septembre 2019.

« La Cour est très consciente du chaos qui pourrait découler d’une ordonnance déclarant la nomination de la lieutenante-gouverneure Murphy inconstitutionnelle et donc frappée de nullité », peut-on lire.

La décision est sous révision, affirme le gouvernement.

« Nous prendrons le temps d’examiner la décision et de réfléchir aux prochaines étapes, mais nous restons déterminés à protéger et à promouvoir la langue française partout au pays et à favoriser la dualité linguistique », a indiqué Chantalle Aubertin, l’attachée de presse du ministre de la Justice David Lametti.

La SANB s’est réjouie de cette décision, affirmant qu’elle envoie un signal clair au gouvernement.

« C’est une excellente nouvelle pour la langue française et les communautés francophones en situation minoritaire », a réagi son président Alexandre Cédric Doucet.

Le président de la SANB, Alexandre Cédric Doucet. Gracieuseté : SANB

Ce dernier espère qu’il s’agit de la dernière étape dans le processus.

« J’espère qu’ils ne vont pas utiliser l’argent des Canadiens pour porter la décision en appel (…). Avec la quantité d’Acadiens et de francophones issus des minorités francophones au caucus et au cabinet, je ne pense pas que le gouvernement fédéral va envoyer ce message-là à la communauté francophone et acadienne du pays. »

Brenda Murphy est la première homosexuelle nommée à ce poste. Justin Trudeau avait défendu sa nomination à l’époque arguant qu’elle s’était « engagée à améliorer son français ». Elle avait été nommée par le Bureau du Conseil privé à la suite d’une recommandation du premier ministre.

Nécessaire le bilinguisme

La juge Dewar a rabroué les arguments du fédéral comme quoi la nomination de Mme Murphy n’était pas institutionnelle, car il s’agit d’une personne en « une simplification grossière d’une question complexe ».

« Une telle réponse semble faire fi de l’importance du rôle de lieutenant-gouverneur et violer les protections constitutionnelles accordant aux citoyens néo-brunswickois le droit d’interagir avec leur gouvernement dans la Iangue de leur choix. »

Le discours du trône et l’interaction avec les citoyens sont des exemples que donne la juge en chef pour déterminer que l’exécution des tâches d’un lieutenant-gouverneur doit se faire dans les deux langues. Elle souligne aussi la nature singulière du poste.

« Il n’y a qu’un chef d’État. Le juge en chef de la province peut intervenir afin de remplir les fonctions essentielles du lieutenant-gouverneur lorsqu’il est à l’extérieur de la province ou malade. Toutefois, il ne peut le faire si personne n’occupe cette charge. En cas de vacance à cette charge, le juge en chef n’est pas autorisé à agir. Encore une fois, cela témoigne du rôle hautement singulier et unique du lieutenant-gouverneur. »

Pas la première

Pour les avocats représentant la SANB, le gouvernement Trudeau a omis trop facilement les caractéristiques linguistiques d’une province constitutionnellement bilingue.

« La juge dit même dans son jugement que le même raisonnement s’appliquerait si le lieutenant-gouverneur ou la lieutenante-gouverneure était unilingue francophone. Elle mentionne toutefois au passage que cette situation-là ne s’est jamais produite », précise l’un des avocats représentant la SANB, Darius Bossé, de Jursites Power.

Ce n’est pas la première fois qu’une nomination des libéraux fait controverse. L’été dernier, la nomination de Mary Simon avait suscité des réactions comme en font foi les 1 300 plaintes reçues au Commissariat aux langues officielles. La nomination de la première gouverneure générale autochtone parlant l’inuktitut et l’anglais. Pourrait-il y avoir un lien à faire?

« Il faudrait poser la question au ministère de la Justice… mais quand on lit le jugement, c’est évident que le raisonnement de la juge gravite énormément autour de dispositions qui sont spécifiques et uniques au Nouveau-Brunswick. Le jugement d’aujourd’hui n’encadre que l’exercice de discrétion du premier ministre vis-à-vis du Nouveau-Brunswick », soutient Darius Bossé.

Ce n’est pas la première fois qu’une nomination du gouvernement Trudeau soulève la controverse rappelant celle de la gouverneure générale du Canada Mary Simon.Source : Bureau du secrétaire du gouverneur général / gg.ca