Le premier ministre Justin Trudeau et la gouverneure générale du Canada Mary Simon.
Le premier ministre Justin Trudeau et la gouverneure générale du Canada Mary Simon. Crédit image: Sgt Johanie Maheu, Rideau Hall

La récente décision des tribunaux d’invalider la nomination de Brenda Murphy, une unilingue anglophone, comme lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick soulève une question. La nomination de Mary Simon est-elle aussi révocable? Oui, selon des experts. Basé sur cette récente décision, le poste de gouverneure générale pourrait aussi être sujet à une révision judiciaire, croient-ils.

« Maintenant, on voit qu’il semble y avoir une façon de démontrer qu’il y a effectivement quelque chose qui ne va pas dans la nomination de Mme Simon. Il y a facilement un lien à faire entre les deux », évoque le professeur associé de l’École d’affaires internationales Norman Paterson de l’Université de Carleton, Philippe Lagassé.

La question se pose selon Stéphanie Chouinard qui évoque le projet de loi de Alexandrine Latendresse en 2013 qui avait rendu obligatoire le bilinguisme de dix postes clés de la fonction publique.

« Pourquoi le poste de gouverneur général ne devrait-il pas être bilingue? » interroge la professeure au Collège militaire royal du Canada à Kingston. « Au contraire des élus ou des ministres, les hauts fonctionnaires comme la gouverneure générale ne peuvent pas être remplacés dans leurs fonctions au jour le jour. C’est justement un des éléments soulevés par la décision de la juge Dewar. »

La semaine dernière, la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick a tranché en faveur de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB). Le gouvernement Trudeau avait manqué à ses obligations linguistiques et constitutionnelles en ne nommant pas quelqu’un de bilingue à ce poste en 2019.

La lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick, Brenda Murphy, dont la nomination a été jugée invalide par les tribunaux la semaine dernière. Source : Facebook gouvernement du Nouveau-Brunswick

Nommée gouverneure générale en 2021, dans la foulée des découvertes de tombes dans des pensionnats autochtones du pays, Mary Simon parle l’anglais et l’inuktitut, mais pas le français.

« Il y a des liens très évidents selon moi, pense le professeur de droit à l’Université de Moncton, Érik Labelle Eastaugh. Le cadre juridique applicable dans les deux cas est presque identique. La seule différence est qu’il y a une disposition de la charte qui s’applique uniquement au Nouveau-Brunswick et pas au fédéral. C’est l’article 16.1 de la Charte. Ça reconnaît l’égalité des deux communautés linguistiques sur le plan collectif. »

Une décision « exagérée »

Philippe Lagassé estime que la juge en chef Tracey Deware est allée trop loin en soulignant le droit au Néo-Brunswickois d’avoir un service dans les deux langues officielles.

« Elle prend ça pour dire que la personne du lieutenant-gouverneur va à l’encontre de la Charte si elle n’est pas capable de parler à un citoyen. C’est une lecture de la Charte tellement englobante et exagérée (…). Elle va dans n’importe quelle direction dans sa décision. C’est exagéré et c’est très possible qu’une autre Cour tranche différemment », estime le spécialiste du système de Westminster.

Ce dernier croit que la juge aurait pu rendre la même décision, mais en soulignant le fait que ça va à l’encontre de la constitution et non la Charte canadienne des droits et libertés. Il rappelle que les dispositions du bilinguisme canadien et celles du Nouveau-Brunswick sont assez similaires.

« Essentiellement, elle dit que ça va contre les droits de la personne du Nouveau-Brunswick, mais pas contre ceux des Canadiens d’avoir une gouverneure générale bilingue… Ça veut dire que dans un cas les citoyens du Nouveau-Brunswick ont un droit de la Charte d’avoir un lieutenant-gouverneur bilingue, mais que dans l’autre ils n’ont pas le même droit pour la gouverneure générale du Canada. Ce n’est pas logique et c’est absurde. »

La gouverneure générale Mary Simon
La gouverneure générale Mary Simon. Crédit image : Sgt Mathieu St-Amour, Rideau Hall Source : Bureau du secrétaire du gouverneur général / gg.ca

Selon Érik Labelle Eastaugh, il n’est pas rare de voir les avocats du gouvernement formuler des recommandations juridiques assez restreintes au niveau linguistique. Ça pourrait avoir été le cas lorsque Justin Trudeau avait recommandé la nomination de la première autochtone à cette fonction au Bureau du Conseil privé.

« Toute la question est de savoir quand le premier ministre recommande quelqu’un pour le poste, est-ce qu’il doit formuler une recommandation conforme à la Charte? C’est ça le débat. Le gouvernement a prétendu que le bureau du premier ministre n’était pas assujetti à la Charte, mais la Cour a rejeté cet argument-là », explique le juriste.

Vers une contestation?

Le choix de Justin Trudeau en 2021 avait généré près de 1 300 plaintes au Commissariat aux langues officielles. Le commissaire Raymond Théberge avait statué que la nomination n’avait pas enfreint la Loi sur les langues officielles. Mais le récent développement pourrait augmenter les chances de voir le dossier devant une instance judiciaire.

« Ça pourrait encourager des individus ou des organismes compte tenu des arguments mobilisés par la Cour du Banc de la Reine. Cela dit, ça pourrait mettre les organismes de la société civile francophone dans l’embarras, car la nomination de Mme Simon avait été célébrée », rappelle Stéphanie Chouinard.

Un appel du gouvernement Trudeau dans le dossier de Mme Murphy serait bénéfique, évoque le professeur Lagassé. Ça pourrait même influencer, en plus de la gouverneure générale, la nomination d’autres postes de la fonction publique comme les juges de la Cour suprême.

« Si on suit la logique de la juge, j’ai de la misère à comprendre comment n’importe quelle institution au fédéral peut-être unilingue. »

Le gouvernement Trudeau a un mois pour signaler son intention de porter la cause en appel.