Nominations et hauts dirigeants unilingues : Ottawa doit rectifier le tir, conclut le CLO

Montage ONFR+. Photo Mary Simon: Crédit image: Sgt Mathieu St-Amour, Rideau Hall Source : Bureau du secrétaire du gouverneur général / gg.ca

Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge conclut dans son rapport que le fédéral fait erreur en nommant des personnes à de hauts postes de la fonction publique qui ne parle pas les deux langues officielles. Son rapport de 2021-2022 est marqué par un record de plaintes reçues en grande partie liée au discours et l’unilinguisme de Michael Rousseau ainsi que de la nomination d’une gouverneure générale unilingue anglophone.

Au total, il aura reçu 4 037 plaintes jugées recevables en lien avec des postes de la haute gestion, soit plus du double par rapport à 2017-2018.

« Nous comptons au Canada de nombreux leaders qui croient aux langues officielles, mais force est d’admettre que ces meneuses et ces meneurs sont encore trop rares. J’espère sincèrement, alors que j’amorce la seconde moitié de mon mandat, que nos dirigeantes et nos dirigeants comprendront le message que la population canadienne et moi-même leur lançons », écrit Raymond Théberge dans son document annuel.

Capture d’écran du rapport du commissaire aux Langues officielles 2021-2022.

Ce dernier demande au cabinet Trudeau de modifier sa trajectoire en mettant en place des mesures « ciblées et durables » pour encourager le bilinguisme quand il nomme des fonctionnaires.

« Je pense que trop souvent on voit le français comme une langue seconde au sein de l’appareil fédéral. Je pense qu’on doit renforcer les critères de sélections autour de ces postes-là et d’en assurer une meilleure conformité », réclame-t-il.

Jusqu’à présent, la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor a refusé d’ouvrir la porte à de telles obligations. En conférence de presse, M. Théberge a affirmé qu’il fallait y avoir une exigence du bilinguisme pour l’accès aux postes de la haute fonction publique, via C-13 ou une autre loi.

Le commissaire somme notamment l’un des deux comités parlementaires sur les langues officielles, celui du Sénat ou de la Chambre des Communes, de se pencher sur la question des obligations.

« Je souhaiterai que les résultats de cette réflexion soient intégrés dans le projet de Loi C-13 », dit-il, signifiant qu’il serait quasi impossible pour C-13 d’être adopté d’ici la fin juin comme le souhaitent les libéraux.

Plaintes records

Le commissaire souligne aussi que 2021-2022 aura été son année la plus marquée en nombre de plaintes avec 5 409, mais précise que ce n’est pas juste à cause de « l’événement Michael Rousseau ».

« Mis à part cet incident particulier, le nombre de plaintes en vertu de la partie IV demeure relativement élevé et comparable à celui des dernières années. »

Depuis quatre ans, le nombre de plaintes de la part de citoyens ne cesse d’augmenter.

Capture d’écran du rapport du commissaire aux langues officielles 2021-2022.

Le Commissariat aux langues officielles n’a pas suffisamment de ressources humaines ou financières à l’heure actuelle pour pouvoir répondre aux nouveaux pouvoirs qu’ils lui sont concedés dans la réformes de la Loi sur les langues officielles, selon le principal interessé.

« On regarde à une augmentation importante. Il y a des expertises qu’on n’a pas présentement au commissariat qu’il va falloir aller chercher à l’extérieur. »

Un récent rapport du directeur parlementaire du budget (DPB) suggérait que le fédéral ignorait combien de ressources seraient nécessaires pour mettre en place son propre projet de loi.

Réactions

Malgré les multiples questions, Ginette Petipas Taylor refuse catégoriquement de dire si son gouvernement envisage d’imposer ou non le bilinguisme dans la haute fonction publique. « La présidente du Conseil du Trésor (Mona Fortier) est en train d’effectivement, à ce point-ci, évaluer la formation linguistique que les employés sont en train de prendre, puisqu’on veut s’assurer que cette formation va être la meilleure formation disponible à nos employés et pour nos hauts fonctionnaires. »

La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor.
La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor. Crédit image : Stéphane Bédard.

Questionnée à savoir si elle serait ouverte à appuyer un amendement du Comité des langues officielles qui obligerait ces exigences, elle répond qu’elle a « bien hâte de voir tous les amendements puisse qu’on veut aller de l’avant avec le meilleur projet de loi possible ».

Le porte-parole en Langues officielles chez les conservateurs Joël Godin accueille favorablement la recommandation de Raymond Théberge.

« Je suis un défenseur du bilinguisme dans la haute fonction publique. Je suis favorable à mettre ces postes-là de hauts fonctionnaires bilingues parce que c’est le phénomène de redescendre dans la chaîne de gouvernance… Mais il faut se donner un moyen d’échappatoire s’il n’y a personne qui a la compétence (le bilinguisme) pour occuper le poste », concède-t-il, ajoutant être autant ouvert à que ça soit un unilingue francophone qu’anglophone.

Pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), le document du commissaire démontre que « ce gouvernement n’en fait pas assez pour protéger les droits linguistiques des communautés francophones ».

« Les droits linguistiques des travailleurs francophones sont violés sous ce gouvernement. Les travailleurs sont en droit de voir des changements concrets se réaliser le plus vite possible – l’inaction doit cesser maintenant », indique la députée Niki Ashton.

Les constats du commissaire sont la preuve qu’il y a urgence pour faire réformer la Loi sur les langues officielles, clame de son côté la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA).

« C’est un rapport qui souligne l’urgence d’agir et l’impatience de la population francophone de voir des changements », soutient le directeur général de l’organisme Alain Dupuis.

Pour le chef du Bloc Québécois Yves-François Blanchet, il serait « incohérent » de ne pas exiger le bilinguisme de hauts fonctionnaires de la part d’un « gouvernement qui prétend qu’il y a deux langues officielles ».

Le poste de premier ministre assujeti?

Raymond Théberge a par ailleurs ouvert la porte à assujettir le poste de premier ministre à la Loi sur les langues officielles.

« À ce moment-ci, je réfléchis à ce genre de question et je vais rendre ma position beaucoup plus claire lors de ma comparution devant les comités parlementaires. »

Dans le cas de Mme Simon, le haut fonctionnaire avait jugé non fondées les plaintes reçues, car la fonction de Justin Trudeau ne le rendait pas redevable envers la Loi.

Air Canada

Sans surprise, les manquements linguistiques d’Air Canada dans le service aux voyageurs sont mentionnés par l’ancien recteur de l’Université de Moncton.

« Le Commissariat aux langues officielles a reçu une moyenne de 80 plaintes recevables par an contre le transporteur au cours des cinq dernières années. Malheureusement, la direction de ce dernier ne réagit pas plus vigoureusement aujourd’hui qu’hier aux recommandations qui lui sont adressées dans les rapports d’enquête », dit-il en référence au rapport spécial sur le transporteur aérien d’un de ses prédécesseurs, Graham Fraser.

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Crédit image: Commissariat aux langues officielles du Canada
Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Source : Commissariat aux langues officielles du Canada

Cour d’appel fédérale vs francophones de la Colombie-Britannique

Raymond Théberge relève la cause ayant impliqué, lui-même et la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique contre le gouvernement Trudeau en Cour d’appel fédérale. Cette cause permet notamment de rétablir certaines parties de la Loi qui vise à favoriser l’épanouissement des communautés francophones du pays en milieu minoritaire.

« Les institutions fédérales devront intensifier leurs efforts au cours des prochaines années pour respecter leurs obligations de contribuer à l’épanouissement des communautés de langues officielles en situation minoritaire dispersées à travers le pays. »

Il formule d’ailleurs, à l’attention de Mme Petitpas Taylor, dans sa deuxième et dernière recommandation, « de s’assurer que les institutions fédérales sont bien informées de leurs obligations » en lien avec ce jugement.

Le dossier avait failli aller devant la Cour suprême, avant que le fédéral se retire à la dernière minute.

Cet article à été mis à jour pour la dernière fois à 15h58.