Notre moment Obama

Le chef libéral Justin Trudeau en campagne.

[CHRONIQUE]
Le Canada vient d’avoir son moment Barack Obama. Plus précisément, il vient d’en finir avec son moment George W. Bush. Le règne austère de Stephen Harper a pris fin le lundi 19 octobre, comme il le devait, après neuf longues années, dont les dernières étaient caractérisées particulièrement par un mépris des médias et de la vie privée.

SERGE MIVILLE
Chroniqueur invité
@Miville

Les conservateurs se sont défaits à eux seuls, et la population canadienne s’est mobilisée pour s’en débarrasser. Avec un taux de participation de 7% plus élevé que lors des dernières élections, il était clair que le pays cherchait à prendre une nouvelle direction.

Les conservateurs ne cessent d’indiquer que le problème avec leur campagne était qu’ils n’ont pas réussi à bien communiquer leur message. C’est faux. En prenant le vote en perspective, les conservateurs n’ont perdu que 232 000 voix par rapport aux dernières élections. Comparons ceci à la perte d’un million de votes pour les néo-démocrates et le gain de plus de 4 millions de votes pour les libéraux, on comprend vite que ce n’est pas une question de message et de communications. Les gens en avaient marre et ont concentré leur vote auprès du parti qui se présentait comme l’antithèse.

Le fait est que les conservateurs ont beaucoup de difficulté, à l’extérieur de leur base électorale, à convertir. Les chiffres ne mentent pas : ils ont perdu 5% de leur vote alors que près de 3 millions d’électeurs de plus se sont présentés aux urnes. Ajouté à la saignée néo-démocrate, ce vote a été massivement du côté des libéraux qui, enfin, obtient une majorité comparable à celle des conservateurs de 2011 avec une proportion égale du vote.

Les Canadiens ont certes voté contre un parti. Ils ont cherché par tous les moyens et, dans les Maritimes et à Terre-Neuve, ils ont écrit une page d’histoire. Jamais dans l’histoire du pays un parti n’a raflé la totalité des sièges dans l’est du pays. Or, le rouge libéral bat fièrement sur la côte atlantique. L’ensemble du Canada français a d’ailleurs jeté son dévolu sur l’équipe Trudeau. Les francophones semblent s’êtres retournés au bercail alors qu’Acadie-Bathurst et Moncton, le Québec dans sa majorité, Prescott-Russell, Ottawa, Sudbury, Saint-Boniface et quelques régions d’Edmonton ont voté rouge.

En écartant les conservateurs du pouvoir, les Canadiens ont choisi l’espoir. C’est que Justin Trudeau, en affirmant sans cesse qu’il allait rompre avec les politiques de ses prédécesseurs et d’en finir avec le cynisme a su convaincre les électeurs qu’il était le porteur de l’espoir après tant d’années d’obscurantisme. Les gens veulent redorer le blason du pays à l’international; ils se cherchent une sécurité d’emploi pour eux et leur famille; ils ont souhaité une bouffée d’air frais. Trudeau personnifie le désir d’un bon nombre de Canadiens pour ce changement.

 

Des bémols

C’est le moment Obama du Canada. Pour le moment, Trudeau livre la marchandise. En promettant un conseil des ministres ayant une parité hommes-femmes et en invitant les chefs de partis pour participer à la conférence de Paris sur le climat, le nouveau premier ministre joue bien ses cartes et réussit, pour le moment, à maintenir la confiance que les Canadiens lui ont donnée.

Mais il y a toujours des bémols. Trudeau a voté en faveur de la loi C-51 qui est une lamentable atteinte à la vie privée des Canadiens. Il a été si vague dans ses promesses pour réformer cette loi, qu’il est impossible pour le moment de connaître quelle voie va emprunter le nouveau gouvernement sur ce dossier. L’entente de libre-échange transpacifique est toujours sur la table. Il est demeuré vague sur son adoption. Il faudra regarder de près le dossier qui a été caché des électeurs lors de la campagne. Qu’en est-il, d’ailleurs, du remaniement du mode du scrutin? Trudeau a réitéré sa promesse, mais c’est cet ancien mode qui lui a permis d’obtenir une majorité de sièges aux communes avec seulement 39,6 % du vote. Le cynisme veut qu’il refuse d’apporter ce changement si nécessaire pour notre démocratie.

Enfin, Trudeau vit présentement une jolie lune de miel. Elle ne saura durer.

La défaite des néo-démocrates était totale le 19 octobre, sauf pour une lueur d’espoir. Ils ont réussi, malgré toutes les indications en 2011, à maintenir des sièges au Québec. C’est une importante victoire après une telle défaite amère. Le Québec n’a aucune tradition néo-démocrate, et a réussi, malgré une poussée de libéraux, à maintenir quelques sièges dans la province, dont un à Sherbrooke et quatre sur l’île de Montréal. Il est vrai que la pathétique affaire du niqab leur a nui quelque peu.

On n’a qu’à regarder les endroits où l’on a voté Bloc québécois et conservateur pour constater où le niqab a su convaincre. Cela dit, la perte massive du vote francophone, notamment en Acadie et au nord de l’Ontario, leur fait mal. Le parti devra réfléchir au cours des prochaines années et songer sérieusement à nouer avec sa tradition sociale-démocrate.

Peu importe notre allégeance politique, il est temps de donner la chance au coureur. C’est le cas pour chaque régime politique. Il faut mettre de côté la partisanerie au lendemain des élections et analyser les décisions du parti avec la froideur qu’exige l’esprit critique. Justin Trudeau a promis la lune. Avec une majorité, il peut y arriver. Son programme a donné l’espoir aux Canadiens, il n’a pas le droit de les décevoir.

 

Serge Miville est candidat au doctorat en histoire à l’Université York.

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