Nouvelle fermeture : une douche froide pour les restaurateurs torontois

Pascal Geffroy, propriétaire du bistrot Batifole, dans l'Est de la ville. Archives ONFR+

TORONTO – Après une semaine de tergiversation, le gouvernement Ford a finalement opté pour une fermeture généralisée des salles à manger dans la Ville reine (ainsi qu’à Ottawa et dans la région de Peel) pendant 28 jours. L’intensité de la deuxième vague de COVID-19 a obligé la table de commandement provinciale de santé publique à rapidement enclencher cette restriction, en vigueur dès minuit. Pour les restaurateurs, cette décision, la veille du week-end de l’Action de grâce et à l’approche de l’hiver, est une catastrophe.

« C’est brutal et irresponsable. On a l’impression d’être les mauvais élèves. À chaque fois, on nous montre du doigt », tempête Pascal Geffroy, le patron du bistrot Batifole, dans l’Est torontois.

« On dit que ça va sauver des gens mais, à côté de ça, on en tue d’autres. Ça va faire des dégâts psychologiques, financiers, familiaux. Ça va être un massacre. »

Il redoute que les clients ne soient incités à se tourner vers des fêtes privées, incontrôlables.

C’est pourtant une étape nécessaire selon Eileen de Villa. La recommandation de la médecin hygiéniste de la Toronto, faite un peu plus tôt cette semaine, a fait son chemin.

Face à des taux de positivité supérieurs à 10 % dans certaines zones et à une hausse des transmissions, le premier ministre a suivi les conseils de la santé publique provinciale : seuls les terrasses et les services de vente à emporter seront autorisés durant les 28 prochains jours.

Le premier ministre Ford a annoncé 300 millions de dollars d’aide aux restaurateurs. Capture écran ONFR+

« Je ne vais pas ruiner la carrière et le moyen de substance de dizaines de milliers de personnes. Ce serait totalement irresponsable », lançait, jeudi encore, Doug Ford.

Virage à 180 degrés, 24 heures (et 939 nouveaux cas) plus tard en conférence de presse : « La tendance est mauvaise et si on n’agit pas maintenant, on va se retrouver avec un scénario italien ou new-yorkais. »

Un besoin urgent de trésorerie

Le gouvernement a annoncé le prolongement des prêts aux entreprises, une aide de 300 millions de dollars, ainsi que des reports d’impôts pour aider les restaurateurs a passé le cap.

« On a tellement de factures à payer qu’on ne sait pas comment on va faire », se désole Marc-Élie Lissade, le propriétaire du Boukan. Son restaurant caribéen a ouvert en décembre dernier, dans le quartier des Beaches.

« On est en négatif. On ne gagne pas d’argent et on fait des rabais. Alors si ces aides n’arrivent pas rapidement, on va fermer. »

Le chef Pascal Geffroy devant sa brasserie, Batifole. Crédit image : Rudy Chabannes

« Beaucoup de rouvriront jamais », craint pour sa part Pascal Geffroy, car, contrairement à la première vague épidémique, les bars et restaurants n’ont plus les reins assez solides pour faire face.

« On a tous vécu pendant cinq mois sur nos trésoreries. Mais maintenant, sans trésorerie, je le sens très mal. Ça va être une catastrophe, car cette aide n’a rien à voir avec celle du Québec où les restaurateurs sont dédommagés à 80 % de leurs frais fixes. »

« Avec le temps qui refroidit, servir à l’extérieur va être impossible », juge le propriétaire du Batifole qui regrette que les efforts de la majorité des restaurateurs partent en fumée à cause d’une minorité de contrevenants.

« On punit tout le monde alors que certains font n’importe quoi. Il faudrait faire plus de contrôles dans les restaurants qui ne respectent pas les règles et laisser les autres tranquilles. »

L’hiver en terrasse : être créatif ou fermer

Avec pour seules possibilités la vente à emporter et le service en terrasse à l’approche de l’hiver, les propriétaires cherchent de nouvelles voies pour subsister.

« Fermés ou non, les restaurants ne pourront pas être sauvés », estime Jonathan Bauer, copropriétaire de Pompette, une enseigne du quartier italien, lancée en mars dernier, alors que la pandémie montait en puissance.

« La réalité, c’est que les clients ne sont pas nombreux », observe-t-il. « Depuis deux semaines, la fréquentation repart à la baisse au fur et à mesure que les cas augmentent et que les températures baissent. On va faire un dernier gros service ce soir et ensuite passer la journée de demain à repenser notre plan d’action, se remettre en question. »

Jonathan Bauer, copropriétaire de Pompette et Marc-Élie Lissade, propriétaire du Boukan. Gracieuseté

M. Bauer envisage un concept de boutique.

« Ce qui est remis en cause, c’est que les gens ne portent pas de masque dans les restaurants, donc si on transforme la salle à manger en boutique de vin et épicerie, ça serait plus facile de poursuivre notre activité », explique le chef alsacien qui réfléchit également à un service en terrasse dans un esprit de Noël avec vin chaud et autres surprises.

Plus que jamais, les restaurateurs s’apprêtent à passer un hiver douloureux. « Le but est de réagir vite en fonction des nouvelles directives pour avoir un impact commercial », appréhende Jonathan Bauer. « L’hiver sera long. On va faire en sorte qu’il le soit le moins possible et être prêt pour le printemps suivant. »