« On essaye d’avoir la main sur n’importe quelle situation », dit une infirmière à Hamilton

Christine Gagnon mène un travail d'enquête pour retracer les cas et appuie la prévention dans les foyers de soins de longue durée. Gracieuseté

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

Christine Gagnon est infirmière en santé publique à la Ville de Hamilton. Redéployée pour contrer la COVID-19, elle enquête au sein de la cellule de crise sur le traçage des cas et la prévention des éclosions.

LE CONTEXTE :

Avec près de 600 cas, dont 27 décès, la 5e ville de l’Ontario s’en sort mieux que d’autres (16e rang sur 35 territoires), mais la situation dans les foyers de soins de longue durée reste explosive avec 12 éclosions détectées.

L’ENJEU :

Alors que la courbe des cas s’infléchit et que la province amorce un déconfinement progressif, éviter une nouvelle vague de contamination est capital pour la Santé publique locale qui intensifie ses efforts de prévention dans les foyers.

« On parle beaucoup des infirmières en première ligne dans les hôpitaux et les centres d’aînés mais très peu dans la santé publique. En quoi consiste votre rôle exactement?

Je travaille habituellement avec le programme scolaire au Département de santé et sécurité communautaire. Concrètement, je soutiens les besoins en santé des écoles francophones à Hamilton. J’ai aussi créé, depuis un an, un réseau régional d’infirmières pour optimiser les messages clés de la santé publique en français.

La fermeture des écoles et la lutte contre la COVID-19 ont-elles chamboulé vos missions?

Oui. Comme toutes les infirmières des autres départements (scolaire, tabac, sexualité, etc.), j’ai été redéployée pour prévenir et freiner la propagation du virus. J’ai intégré, début mars, l’équipe de gestion de cas au sein de laquelle j’ai enquêté sur les cas positifs signalés par nos laboratoires de santé publique.

Comment se déroule ce travail d’enquête, en coulisse?

On téléphone à chaque personne atteinte de COVID-19 et on fait une évaluation de risque quotidienne durant la période de surveillance. On mène aussi une enquête sur chaque cas possible, en faisant un retraçage de toutes les personnes avec lesquelles ces malades potentiellement contagieux ont été en contact.

Est-ce que vous donnez également des conseils ou des directives?

On s’assure que les gens comprennent ce que veut dire l’isolement à domicile et on leur explique les mesures de protection personnelle, comme se laver les mains et limiter les contacts avec les autres. Contrôler la propagation, ça commence dès la maison. On répond aussi à leurs besoins essentiels en vérifiant qu’ils ont accès aux produits de première nécessité.

Mais depuis deux semaines, vous avez été à nouveau redéployée. Dans quelle équipe?

Oui, je travaille maintenant dans la cellule des éclosions. On porte nos efforts sur les foyers de soins de longue durée et les maisons de retraite. On essaye d’avoir la main sur n’importe quelle situation. C’est un gros travail de communication avec les directeurs de ces foyers.

Pourquoi la situation est si tendue dans les foyers de soins de longue durée, à Hamilton?

Quand il y a du monde dans un même édifice, le risque de propagation est plus large, surtout si ce sont des personnes plus sensibles au virus. Au-delà des directives de distanciation, on s’assure que les fournisseurs de soins ont assez d’équipement de protection pour se protéger et protéger les résidents.

Malgré les récentes éclosions en foyers, la ville de l’acier s’en sort bien mieux que d’autres. À quoi attribuer ce phénomène?

La communication est une des clés pour freiner l’épidémie. Nos équipes travaillent très bien ensemble. Le médecin hygiéniste en chef, les infirmières et les autres personnels de santé publique communiquent constamment ensemble et avec les communautés.

Christine Gagnon a été redéployée pour contribuer au plan de protection de Hamilton contre le coronavirus. Gracieuseté

Avez-vous eu des décisions graves ou difficiles à prendre dans l’urgence de la situation?

Pour des raisons de confidentialité, je ne peux pas donner d’exemples mais à chaque obstacle, on travaille ensemble, en équipe, pour évaluer le risque et faire le meilleur choix pour la communauté. On est guidé par nos officiels de santé publique. On prend leurs recommandations très au sérieux.

Avez-vous été déjà confrontée à une telle crise auparavant, au cours de votre carrière?

Non, pas de pandémie, mais mes expériences aux urgences d’hôpital et dans un bloc opératoire pour les soins cardiaques m’y ont préparée. C’est un autre type de crise, mais c’est une dynamique similaire. J’aime me mettre à jour sur les nouveautés en santé, soutenir, prévenir, protéger la communauté, en adoptant une approche compréhensive de la situation.

Ces deux derniers mois ont-ils été physiquement et mentalement compliqués à encaisser?

Cette pandémie a changé la nature du rôle de tout le monde. Il a fallu être très flexible. On connaît tous des moments stressants dans la vie. J’ai des amis qui travaillent dans les hôpitaux et les centres d’évaluation. On se parle, on se demande si ça va. Il y a toujours quelqu’un sur l’épaule de qui s’épancher. Le bien-être, c’est très important. Je fais des pauses et des marches quand je peux. Ça permet de rester positif et de continuer.

Est-ce que la Ville de Hamilton fait suffisamment d’effort pour communiquer dans les deux langues officielles en temps de crise?

À mon niveau, dans le domaine scolaire, je peux vous dire que, par exemple, toutes les écoles francophones ont eu les informations nécessaires au tout début de l’épidémie, avant même les fermetures. Les francophones doivent avoir accès à l’information nécessaire. La Ville dispose de services de traduction et s’appuie sur les documents déjà traduits de la Santé publique de l’Ontario et de celle du Canada. On est toujours là pour partager en français si les gens le demandent.

Quel rôle imaginez-vous avoir dans le déconfinement et le retour des élèves en classe?

Il n’y aura pas de retour à la « normal » mais une nouvelle normalité. Des changements faits pendant la pandémie vont peut-être restés après. Il y a encore beaucoup d’inconnus, y compris pour les écoles. Je prends les choses les unes après les autres.

Quelles leçons faudra-t-il tirer de cette crise pour mieux nous préparer à la prochaine ou mieux nous occuper des aînés, des plus fragiles?

Il ne faudra surtout pas relâcher nos efforts de protection et de surveillance. Le coronavirus était un nouveau virus qui a demandé qu’on s’adapte, mais, quand on va sortir de cette pandémie, on reprendra nos efforts contre les autres risques. Nos équipes travaillent fort pour préserver nos aînés et éliminer les risques quotidiennement. On parle souvent de la première ligne, mais on est du monde en arrière-scène à essayer d’éviter que tout commence et que ça devienne un gros problème. »