Paul-François Sylvestre, fierté gaie et francophone

L'auteur Paul-François Sylvestre. Grcieuseté.

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

TORONTO – Il est l’un des écrivains les plus prolifiques de l’Ontario français. À 70 ans, Paul-François Sylvestre ne s’arrête pas d’écrire. En marge du défilé de la Fierté gaie de Toronto ce dimanche, rencontre avec l’auteur dont l’œuvre mêle la libération homosexuelle, et le combat des Franco-Ontariens.  

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

« C’est le défilé de la Fierté gaie de Toronto ce dimanche. Comment percevez-vous cet événement?

Je serai à Toronto depuis 21 ans au mois d’août. Quand je suis arrivé, c’était tout nouveau pour moi, je ne pense pas qu’il y avait eu des marches de ce genre à Ottawa. C’est devenu l’une des plus grosses Fiertés nord-américaines. On a dit souvent que ce sont des gars tout nus qui se promènent, qui veulent montrer leurs muscles et leur langue, mais il y a aussi le fait que des milliers de personnes se massent le long de la rue Yonge pour applaudir.

C’est une sensibilisation qui se fait. Pour moi, ça a autant sa place que le Festival Caribana, et ça fait partie de la réalité. Beaucoup de politiciens y sont. On a vu Trudeau, Horwath, mais je ne pense pas que Ford y sera cependant. Les LGBT ne sont pas un problème politique, mais une réalité de la société canadienne-torontoise-ontarienne.

Votre littérature est empreinte du thème de l’homosexualité. D’ailleurs, votre premier livre en 1976 s’intitulait Propos pour une libération (homo)sexuelle. C’était assez novateur pour l’époque?

C’était une première. On n’avait jamais vu en Ontario français quelqu’un publier un livre ouvertement gay et le signaler. J’ai fait une première en étant le premier francophone en Ontario à parler ouvertement de l’homosexualité.

C’était donc difficile à cette époque?

L’homosexualité avait été légalisée en 1969. Je vais être franc, je n’ai jamais souffert de discrimination, comme francophone ou comme personne homosexuelle. Mais ce n’était pas évident. Les gens m’ont dit par après qu’ils étaient reconnaissants que j’ai brisé la glace, mais je n’avais pas cette impression. J’étais fier de qui j’étais, doublement minoritaire, francophone en Ontario et personne ouvertement homosexuellle.

Est-ce que cette identité doublement minoritaire que vous évoquez a été difficile à porter?

Je n’ai jamais trouvé difficile d’être francophone. Je viens de Saint-Joachim, un village francophone, où tout était en français, catholique, sans messe bilingue. Mes parents m’ont envoyé à Ottawa pour le cours classique, le pensionnat, l’école secondaire et l’Université d’Ottawa, tout en français. À l’Université d’Ottawa, en six ans, je n’ai jamais parlé en anglais, peut-être juste dans un cours.

J’ai travaillé ensuite au Secrétariat d’État qui est devenu Patrimoine canadien. Je m’occupais des minorités linguistiques, tout en français, donc je n’ai jamais senti que c’était difficile d’être franco-ontarien. Et puis, je dois dire que j’ai découvert mon homosexualité très très tard. J’avais environ 25 ans quand j’ai mis le doigt dessus. J’avais fréquenté une collègue, on jouait au tennis, mais on était des amis. Ce n’était pas une relation amoureuse.

Parlez-nous un peu de votre coming out. Comment cela s’est passé?

Ça n’a pas été facile avec mes parents. Je l’ai dit d’abord à ma mère. Sa première réaction a été de me dire « N’en parle pas à ton père, il n’est pas prêt. » Ça a pris du temps avant qu’il le sache, peut-être six mois ou un an. Je me suis joint à un groupe gay sur Ottawa qui se réunissait tous les vendredis soirs. J’y suis allé, j’ai vu d’autres francophones, d’autres gays. Je n’ai eu alors aucun rejet.

Quand mon livre est paru, mon père a dit que j’avais trainé son nom dans la boue, parce qu’il était écrit Sylvestre sur le livre. Par après, les choses se sont replacées. J’ai écrit d’autres livres qui n’étaient pas gays, dont un roman sur la contrebande. Il m’a dit qu’il avait bien aimé ça. Mon père ne me prenait jamais dans ses bras, ne me disait jamais « je t’aime ». Papa avait été élevé dans une famille de 11 enfants où les expressions ne s’exprimaient pas.

Votre essai Penetang :  L’école de la résistance, publié en 1980, a reflété d’ailleurs ce climat difficile envers les homosexuels?

Oui, tout à fait. Quand les éditions Prise de parole a publié mon livre, j’avais déjà publié pour les homosexuels. L’histoire de la crise de Penetang était mon premier livre franco-ontarien. Ils (Prise de parole) ont juste refusé d’écrire sur le livre « du même auteur » pour décrire mes précédents livres, car cela aurait signifié qu’ils mettent « homosexuel ». Ils estimaient que leur public, sous-entendu Le Nord, n’était pas prêt.

Depuis 1976, vous avez publié des essais, des romans, des ouvrages de non-fiction, et même un peu de poésie. Comment se déroule votre processus d’écriture?

J’écris de manière impulsive. Certains gens disent qu’ils mettent dix ans à écrire un livre. Moi, je ne mets jamais plus d’un an. J’écris de façon intense. Pour le livre L’Ontario français au jour le jour : 1 384 éphémérides de 1610 à nos jours, je me suis lancé comme ça dedans, trouvé chaque jour une histoire, je ne faisais que cela du matin au soir pendant deux à trois mois. Quand j’écris, je ne peux pas garder un intérêt autre. J’ai juste hâte de voir le livre prendre forme. Je n’écris pas pour l’argent, mais j’écris d’abord pour moi.

Avez-vous connu une réception plus difficile pour un livre?

Le seul livre qui a été plus difficile : Ma jumelle m’a quitté dans la dignité publié il y a deux ans. Ma sœur jumelle Paulette avait la sclérose en plaques. L’aide médicale à mourir a été demandée, mais elle ne pouvait pas, car elle n’était pas en phase terminale. Elle a été en Suisse (l’aide médicale à mourir y est autorisée), elle m’a demandé de tout raconter. Le livre n’a reçu aucun écho. C’était un sujet extrêmement délicat, peu de monde voulait en parler. Pour le Québec, ma sœur Paulette n’était pas connue du tout. Jamais on n’a vu au Canada, un livre sur le cheminement de l’aide médicale à mourir. C’est un sujet encore trop sensible.

Ces dernières années, beaucoup de librairies franco-ontariennes ont dû mettre la clef sous la porte. Quelle solution préconisez-vous pour empêcher cela?

Il faudrait une politique du livre qui oblige les conseils scolaires à acheter leurs livres dans leur région, comme le Québec le fait. Une commission scolaire à Chicoutimi ne peut par exemple pas acheter ses livres à Montréal ou Québec, mais doit les acheter au Saguenay. C’est une manne pour les libraires. Ce n’est pas le cas en Ontario. Si on avait cette politique, on aurait des librairies francophones à Windsor, Welland, Penentanguishene, Cornwall…

En général, comment voyez-vous l’avenir de la littérature dans l’Ontario français?

Je ne suis pas pessimiste. On a dit que le numérique allait faire disparaitre le livre papier, ce n’est pas le cas. C’est vrai que les éditions du Nordir ont fermé, que Vermillon est pas solide, mais est-ce qu’on avait besoin de quatre maisons d’édition à Ottawa? C’est beaucoup pour une ville. C’est sûr que la scène va évoluer. Je ne suis pas très présent sur les réseaux sociaux, mais je vois certains auteurs qui font de la poésie en ligne. C’est une forme de vitalité. À l’avenir, ce ne sera pas juste de beaux petits recueils bien reliés, bien illustrés.

Les Homosexuels s’organisent , publié en 1979. Gracieuseté.

Quels sont les écrivains qui vont ont justement le plus marqué dans votre quête littéraire?

La Quête d’Alexandre d’Hélène Brodeur, sur le grand incendie de 1916. C’est la première histoire que je lisais une histoire qui se passait en Ontario. Elle m’a inspiré, m’a donné le goût d’écrire. Il y a des auteurs, comme Claude Forand, je suis mordu, Mireille Messier, je suis un fan indéfectible. Je pense avoir tout lu Didier Leclair aussi. Je découvre des auteurs chaque année.

Dans cette carrière de plus de 40 ans, avez-vous en tête un moment particulièrement marquant?

Pour mon roman Le Mal aimé que j’ai présenté au Salon du livre de l’Outaouais, quelqu’un s’est présenté et j’ai signé le livre. Cette même personne est revenue le lendemain pour me dire qu’elle avait lu toute la nuit, et que la lecture lui avait fait bien fou. Je me suis dit que si j’avais écrit juste pour lui, ça en valait la peine.

Saint-Joachim, à quelques dizaines de kilomètres de Windsor, avait une identité très francophone. Retournez-vous parfois dans le village de votre enfance?

Je n’y retourne pas beaucoup, tout d’abord parce que je n’ai pas de voiture. Ma sœur ainée demeure juste à côté. Le village était entièrement francophone, très agricole. J’ai été élevé dans un cocon francophone. Maintenant, je ne connais quasiment presque personne. En partant à l’âge de 13 ans, il faut dire que j’ai été coupé du village, et de ma famille. Mes sœurs qui sont restées ne sont pas de culture francophone, et elles lisent beaucoup de romans de langue anglaise. Dès fois, mes sœurs me trouvent un peu fanatique, à trop insister sur mon côté francophone.

Comment voyez-vous les choses avec l’arrivée de Doug Ford au pouvoir en Ontario?

On ne peut pas reculer sur les droits de la personne. Pour les droits francophones, c’est pas mal certain qu’ils vont ouvrir une université de l’Ontario français sous Ford, mais est-ce qu’il va nommer un ou une ministre des Affaires francophones? Je ne suis pas sûr. Pour lui, l’historicité et les 400 ans de présence française en Ontario, ce n’est pas dans sa mire et dans son esprit. N’oublions pas que ce ministère a le plus petit budget.

En terminant, si vous étiez à la place de Justin Trudeau, quelle serait votre première mesure pour les francophones?

(Hésitations) J’obligerais Radio-Canada à être Radio-Canada et pas Radio-Québec. Je nommerais un conseil d’administration qui est conscient que RDI est national et pas « Montréal ». Pour la Loi sur les langues officielles, elle manque de mordant. Je donnerais des pénalités très élevées aux Sociétés de la Couronne et ministères qui font des infractions à cette loi. »


LES DATES-CLÉS DE PAUL-FRANÇOIS SYLVESTRE

1947 : Naissance à Saint-Joachim (Ontario)

1976 : Premier livre Propos pour une libération (homo)sexuelle 

1994 : Prix du Nouvel-Ontario pour l’ensemble de son oeuvre 

1997 : Déménage à Toronto

2008 : Devient membre de l’Ordre de l’Ontario puis de la Pléaide, six ans plus tard. 

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.