Pénurie des enseignants francophones : le point critique

[ANALYSE]

Des classes incapables d’accueillir des élèves faute d’enseignants disponibles. Un constat effarant auquel a été confrontée cette semaine l’École secondaire catholique Franco-Cité au cœur d’Ottawa. Autrefois inquiétante, la pénurie d’enseignants francophones en Ontario atteint un stade critique.

Heureuse coïncidence, l’annonce gouvernementale arrive à point nommé. Dans un communiqué diffusé ce mardi, le ministère de l’Éducation annonce la création d’un nouveau programme en enseignement à l’Université Laurentienne, une modification des règlements permettant d’engager plus de professeurs francophones et l’élaboration de projets comme des salons de l’emploi et un portail de recrutement pour les conseils scolaires francophones.

Une pléiade de mesures bienvenues, mais qui ont pris de court les conseils scolaires, manifestement non avertis de l’initiative.

La discrétion de l’annonce a de quoi surprendre. D’autant que pour la Journée des Franco-Ontariens le 25 septembre, le gouvernement Ford avait misé sur le « bonbon » du drapeau comme emblème provincial, et la mise en place des accents et cédilles sur les permis de conduire. Or, face à ces deux annonces, une solution à la pénurie des enseignants apparaît majeure.

Dans les coulisses, on insiste que le communiqué de presse sur les mesures était prêt depuis plusieurs mois. Les manifestations des enseignants l’hiver dernier puis la pandémie auraient retardé le dévoilement.

Différentes causes à cette pénurie

Mais comment est-on arrivé à cette pénurie critique? Tout d’abord, il faut remonter à 2015 avec le passage du programme de formation des enseignants d’un à deux ans. Conséquence : dans les deux universités de l’Ontario délivrant une formation en éducation en français, Ottawa et La Laurentienne, les inscriptions ont baissé.

Les libéraux au pouvoir ont alors négligé la fameuse « lentille francophone ». L’initiative voulait limiter les demandes d’emplois supérieurs aux offres, mais n’était pas adaptée aux francophones. Car depuis plusieurs décennies, les écoles françaises poussent à n’en plus finir. Le cap des 100 000 élèves a été franchi en 2013. Selon les données d’ONFR+, on parle d’un chiffre de 115 000 pour la rentrée 2020.

À cet écueil s’ajoute les conditions de travail des enseignants. Sur le terrain, la désaffection du métier est de plus en plus grande. La multiplication des tâches, la stagnation des salaires, le sentiment de déconsidération font fuir. Sur les cinq dernières années, plus de 20 % d’entre eux n’ont pas renouvelé leur adhésion à l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario.

La COVID-19 a rétréci un peu plus la banque d’enseignants suppléants disponibles au point de la vider à certains endroits. Devant la propagation du virus, certains enseignants sont en isolement chez eux.

Cette même banque de suppléants interroge. Beaucoup de candidats issus de l’immigration et racialisés ne peuvent y avoir accès, faute de diplôme ou de passerelles suffisantes reconnaissant leurs compétences.

Premier pas intéressant

Dans ces conditions, les mesures du ministère de l’Éducation sont encore embryonnaires et floues. Pour lutter contre la pénurie d’enseignants, il faudra un coup de barre beaucoup plus fort, et des changements structurels d’ampleur considérables.

En reconnaissant le problème, le gouvernement a cependant fait un premier pas. On en saura certainement plus dans les prochaines semaines, une fois que le comité centré sur l’enjeu de la pénurie aura remis son rapport de travail. Le temps presse. Et la seconde vague de COVID-19, synonyme de classes vides, pourrait justement nous montrer les dégâts de ce dossier non réglé.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 3 octobre.