Personnes en situation de handicap : rendre visible l’invisible

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[ANALYSE]

Ils s’appellent Mélissa, Jay ou François. Cette semaine, nous les avons rencontrés sur une série concernant le handicap. La pandémie leur a bien souvent apporté de nouvelles contraintes. Déplacements plus compliqués, distanciation sociale difficile, mais surtout un sentiment d’isolement renforcé.

Mélissa, Jay ou François ne font pas parler d’eux. Ils n’aiment pas forcément les projecteurs. Leur handicap, le défi de leur vie, ne se devine pas forcément quand on les rencontre.

Pour ne rien arranger, les associations défendant les intérêts des personnes en situation de handicap n’ont pas les moyens financiers et les ressources humaines des gros organismes canadiens. Ces groupes ne possèdent pas leurs entrées dans les cercles du pouvoir. Pas assez de leaders charismatiques, aimeront-on dire, même si les médias – lesquels peuvent fabriquer les leaders – n’accordons pas toujours au thème du handicap toute sa légitimité. Mea culpa.

Tout au long de la semaine, ONFR+ a donné la parole à ces « sans voix », oubliés par les institutions et les citoyens. Car derrière les clichés sur le handicap rappelés par le traditionnel pictogramme d’une personne en fauteuil, les déficiences sont diverses : la cécité, la surdité, l’autisme, mais aussi d’autres maux plus invisibles comme la fibromyalgie, la sclérose en plaques, les troubles psychiques, les douleurs chroniques…

Et les chiffres nous montrent que Mélissa, Jay ou François ne sont pas des exceptions. Quelque 15 % de la population canadienne présente aujourd’hui une forme de handicap. Des données sans doute sous-estimées. Toutes les douleurs et traumatismes ne sont pas classés comme des handicaps, quand bien même beaucoup restent non-exprimés par les individus.

Pour les francophones, une double discrimination

En Ontario français, les personnes en situation de handicap font aussi face au double défi de la langue. « Une double discrimination », comme nous le soulignait la professeure Anne Levesque, tant les services en français manquent sur le terrain.

À Ottawa, l’autonomie récemment obtenue du Centre Jules-Léger, et largement relayée par les médias francophones, cache, par exemple, un défi plus subtil pour la population sourde et malentendante. Depuis le début de la pandémie, la généralisation du port du masque prive de lecture labiale des millions de Canadiens en proie à une déficience auditive.

À l’extérieur du Québec, les personnes aveugles et malvoyantes ne possèdent pas une large batterie de services, mais manquent aussi d’équipement technologique ou médical disponible en français. Pour les parents d’enfants atteints d’autisme, déjà fragilisés par la réforme du gouvernement Ford en 2019, le défi est tout aussi immense.

Peu d’associations francophones

Et les associations? L’Accessibility for Ontarians with Disabilities Act alliance (AODA) autant que Réadaptation en déficience visuelle fonctionnent surtout de manière unilingue. La Loi sur les services en français (LSF), laquelle ne s’applique pas aux organismes sans but lucratif, complique l’obtention de services. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) reconnaît devoir plus travailler sur l’enjeu, tandis que le Phénix, dédié à promouvoir l’insertion en français des personnes handicapées, semble très discret.

Toujours est-il que la lentille spécifique du handicap est souvent occultée pour favoriser les thèmes des soins de santé plus généraux, quand ce n’est pas l’austérité budgétaire. Les différents gouvernements, peu importe leur couleur politique, ne répondent que partiellement aux demandes de ces 15 % de Canadiens.

« Le grand péché du monde moderne, c’est le refus de l’invisible », disait l’écrivain Julien Green. Mélissa, Jay et François méritent de vivre dans un monde plus moderne.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 19 décembre.

RETROUVEZ NOTRE SÉRIE CONSACRÉE AUX PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP PENDANT LA PANDÉMIE :

La difficulté pour les sourds et malentendants avec la généraliation du masque

Les nouvelles réalités pour les aveugles et malvoyants en période de pandémie

À l’extérieur du Québec, des services en français manquants pour les aveugles et malvoyants

Les enfants atteints d’autisme perurbés par la pandémie

Le quotidien bouleversé de l’auteure Marie-Josée Martin paraplégique