Peu d’espoir pour la maison de Théophile Brunelle menacée de démolition

La maison de Théophile Brunelle, qui fait l'objet d'une demande de démolition.
Gracieuseté Le goût de vivre

LAFONTAINE – Des citoyens francophones de Lafontaine tentent de sauver la maison de Théophile Brunelle, l’homme qui a abattu le fameux loup de la légende centrale à la construction de leur communauté. Le sujet a une nouvelle fois été apporté devant le conseil du canton mardi dernier. Le Réseau du patrimoine franco-ontarien (RPFO) a ajouté sa voix au débat en envoyant une lettre aux élus, leur demandant de sauver le bâtiment décrépit. La décision définitive sera connue le 15 décembre.

La maison, vieille de plus de 130 ans, et son terrain de 420 acres appartiennent aujourd’hui à l’entreprise agricole d’Alliston, Glenn Whiteside Farms Ltd.

Un permis de démolition a été demandé en octobre, ce qui a soulevé la colère d’un groupe de citoyens. Ils se sont ralliés derrière l’organisme La Meute culturelle, menés par la bénévole Nadine Lalonde, pour faire valoir leurs points auprès du comité patrimonial du canton de Tiny.

C’est que le bâtiment situé au 4, Potato Court a été ajouté en 2016 au registre d’intérêt patrimonial, ce qui impose un moratoire de 60 jours afin de consulter les citoyens avant que le conseil ne puisse délivrer un permis de démolition.

Photo aérienne du site en 1953. La maison dont on parle est celle que l’on voit au centre-gauche de l’image. Gracieuseté : René Laurin.

En plus de l’importance identitaire évidente de Théophile Brunelle dans l’histoire de Lafontaine, le bâtiment présente une valeur architecturale importante. Le style de construction était peu fréquent dans ce coin de l’Ontario, mais très populaire dans l’est de la province ainsi qu’au Québec, d’où provenaient les premiers citoyens de Lafontaine.

Une restauration trop coûteuse

Les membres du conseil municipal du canton de Tiny, tous anglophones, semblent fortement pencher du côté de la démolition. Ils invoquent deux difficultés à la sauvegarde de la maison Brunelle. Premièrement, le fait qu’elle appartienne à un propriétaire privé. Deuxièmement, son état indéniable de décrépitude, qui rendrait la restauration extrêmement coûteuse. Il est facile de constater que la maison a été laissée à l’abandon. Des briques d’époque ont été arrachées d’un mur, et un arbre a commencé à pousser à l’intérieur de la bâtisse. Le propriétaire invoque des risques pour la sécurité.

Deux images l'une à côté de l'autre. À gauche, on voit le mur où les briques ont été arrachées. À droite, un plan plus complet de la maison. On peut apercevoir des branches d'arbres qui sortent de la fenêtre.
À gauche, le mur de briques vandalisé. À droite, un plan plus complet de la maison, avec des branches d’arbre qui sortent de la fenêtre. Gracieuseté René Laurin. Collage ONFR+

Selon l’historien Michel Prévost, à qui nous avons parlé du dossier, on voit souvent ce genre de cas où on laisse un bâtiment se détériorer pour ensuite demander un permis de démolition en argumentant qu’il n’y a plus rien à faire. À ce moment, il est souvent trop tard pour que la communauté se mobilise.

Lors de la séance de mardi, le conseiller Gibb Wishart, qui siège au comité patrimonial, a reconnu qu’il aurait fallu agir plus tôt : « Nous avons manqué le bateau (…) c’est une honte et nous ne pouvons pas retourner en arrière. Je crois que le comité a pris la bonne décision. »

Cette décision, c’est la recommandation d’octroyer le permis de démolition, mais de réaliser au préalable un dessin en trois dimensions de l’immeuble et d’installer une plaque commémorative sur les lieux.

Cette proposition fait bondir Michel Prévost : « C’est une fausse interprétation de la mise en valeur de notre patrimoine. (…) quand le bâtiment existe toujours, on investit dans la restauration et pas dans des panneaux pour se donner bonne conscience. »  

Nadine Lalonde abonde dans le même sens. En entrevue avec ONFR+, elle prend en exemple l’église Sainte-Croix, bâtiment patrimonial de Lafontaine devant lequel on a installé une plaque explicative… en anglais seulement. « Des maisons, ça se remplace. Mais notre patrimoine, notre culture, est beaucoup moins palpable quand il reste juste une plaque. Ça n’a pas l’ampleur ni l’impact d’un édifice. »

La maison de Théophile Brunelle. On voit entre autres que le toit est défoncé.
Gracieuseté : Le goût de vivre

Gibb Wishart et Nadine Lalonde sont d’accord sur un point : les élus gagneraient à mieux connaître la communauté francophone et à élaborer un plan d’action pour préserver son patrimoine bâti. Le conseiller évoque la possibilité pour le canton d’acheter des propriétés pour les restaurer, et même de les déplacer pour développer un village commémoratif.

Minuit moins une

Si on sent un certain découragement au sein du mouvement citoyen, plusieurs intervenants disent espérer que cette histoire serve de leçon à la fois à la communauté francophone et au conseil municipal. La directrice générale de la Meute culturelle, Joëlle Roy, précise : « Ce qu’on veut souligner, c’est qu’on est là et que l’on compte. C’est important. On ne voulait pas ne pas réagir pour qu’ils disent que ça n’intéresse personne. »

Il reste une seule lueur d’espoir pour la maison Brunelle. La municipalité pourrait désigner la bâtisse en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario. Le propriétaire serait alors obligé de la conserver, et pourrait avoir accès à des subventions pour la restaurer. Néanmoins, c’est lui qui devrait assurer la plus grande partie des coûts. Cette option a été écartée par le comité patrimonial, mais c’est le conseil qui a le dernier mot.

La décision doit être rendue le 15 décembre. Selon Michel Prévost, les francophones doivent continuer de lutter jusqu’à cette date. Il existe des exemples de revirement de situation. Pensons entre autres à l’école Guigues d’Ottawa, qui a été sauvée dans les années 1990 et où on retrouve aujourd’hui des condos de luxe, avec une valeur patrimoniale préservée.

Diego Elizondo, agent de projet au RPFO, voit deux signes d’ouverture dans le dossier : le fait que l’église Sainte-Croix ait reçu sa désignation patrimoniale en 2016, et le fait que le comité patrimonial ait tenu deux séances plutôt qu’une pour écouter les citoyens.

Selon lui, une maison Brunelle restaurée présenterait un bon potentiel touristique. Depuis que l’histoire a été évoquée dans certains médias anglophones, des gens se déplacent pour aller voir cette fameuse bâtisse où un homme borgne a un jour abattu le loup qui terrorisait la communauté.