Pression, instabilité, surcharge de travail : ces enseignants qui claquent la porte

La vente de terrains fédéraux pourrait aider à désengorger certaines écoles pleines selon les conseils scolaires. Crédit image: Rudy Chabannes

Le gouvernement affirme prendre au sérieux la pénurie d’enseignants de langue française qui frappe durement le système éducatif ontarien. Mais en focalisant son attention sur le recrutement, il occulte une variable inquiétante de l’équation : la rétention du personnel en poste. Près de 25 % des enseignants abandonnent durant les cinq premières années. Des dizaines de professionnels quittent leur poste chaque année, à l’image de Julie, Daniel et Dominique qui ont vécu l’envers du décor de leur vocation.

Quitter le métier, Dominique Lajoie y pensait depuis deux-trois ans. Elle s’est résolue, en 2019, à donner sa démission. Un crève-cœur. Elle décrit une accumulation de tâches et un manque de soutien qui l’ont progressivement épuisée et coupée d’une vie sociale équilibrée.

« Dans les premières années, on se dit que c’est normal », confie l’ex-enseignante en histoire et sciences sociales d’Ottawa. « Tout est à construire, car on est nouvelle. On se dit qu’avec l’expérience, les choses vont se calmer et qu’on va recommencer à avoir une vie, ne plus passer ses soirées à faire de la planification et sa fin de semaine à corriger les copies. »

Dominique Lajoie a enseigné durant huit ans avant de jeter l’éponge. Gracieuseté

« Je me sentais coupable de ne pas améliorer mes cours » – Dominique Lajoie

Mais, rentrée après rentrée, les choses se sont durablement installées. Elle évoque une pression constante sur ses épaules. « À chaque rencontre de personnel et journée pédagogique, on avait de la formation sur plein de nouveautés, mais on n’avait jamais le temps de penser à comment changer nos cours et mieux évaluer en fonction de ça. Je me sentais coupable de ne pas améliorer mes cours, car je n’avais juste pas le temps. »

Pour ne pas flancher et reprendre son souffle, Mme Lajoie a décidé de prendre une année de congé sans solde. Mais devant le refus de son employeur confronté à une pénurie d’employés qualifiés, la démission est devenue la seule option qui se présentait à elle, après huit ans d’enseignement. Et elle n’est pas la seule.

Manque de stabilité et de progression

Julie Roy-Hébert a dû, elle aussi, faire ce choix radical.

« Je n’avais jamais le même poste », dit cette ancienne surnuméraire résidente à Hearst. « Chaque année, c’était une nouvelle matière, un nouveau niveau, une nouvelle école. C’était usant à la longue. L’année où j’ai démissionné, en 2016, j’avais même perdu mon temps plein pour un mi-temps. »

Après deux premières années de travail à 350 kilomètres de son domicile, la contraignant à ne rentrer chez elle que la fin de semaine, Mme Roy-Hébert a tenté de se rapprocher géographiquement de sa famille.

« S’il y avait eu plus de stabilité, je serais restée » – Julie Roy-Hébert

« S’il y avait eu plus de stabilité, je serais restée car j’aimais beaucoup enseigner », résume-t-elle. « J’aurais aimé me perfectionner et devenir connaissante dans ce que je fais plutôt que de recommencer à zéro chaque année. Et comme j’étais souvent la dernière arrivée, c’est mon poste qu’on coupait en premier, car le système marche à l’ancienneté. »

Elle dit avoir développé un sentiment d’incompétence, alors qu’elle cumulait dix ans d’expérience.

« J’avais l’impression de ne pas être à la hauteur ». Un sentiment renforcé par la taille des classes. « Mettre un enseignant avec 30 élèves, s’occuper des besoins particuliers, faire de la différenciation pédagogique et s’attendre à ce qu’il soit capable de remplir toutes les exigences ministérielles, ce n’est pas réaliste. »

Les enseignants Dominique Lajoie (Ottawa), Julie Roy-Hébert (Hearst) et Daniel Richard (Aurora). Montage ONFR+

Mme Roy-Hébert a, depuis, opté pour la suppléance. Le manque de suppléants dans sa région lui offre plus de travail qu’un mi-temps et lui permet de conjuguer vie professionnelle et vie familiale. « Je me retrouve à faire ce que j’aime sans avoir toutes les obligations d’une salle de classe. »

La tentation du secteur privé

Enseignant à Aurora, Daniel Richard a tenu deux ans et demi avant de plier bagage. Proche du burnout, il a été remercié, victime d’une diminution des inscriptions d’élèves.

Embauché comme un « bouche-trou » pour enseigner le français, la géographie, l’histoire, le droit, l’art dramatique et les médias avec seulement une formation pour enseigner l’art dramatique et le français, il décrit « une expérience assez négative comme début de carrière ».

« J’ai dû mettre en place tous les programmes avec très peu de soutien », dit-il, se tournant par la suite vers le privé. « Le salaire était moins élevé, mais la tâche plus raisonnable. »

« Une expérience assez négative comme début de carrière » – Daniel Richard

« C’était une passion, mais je ne voulais pas vivre stressée pendant un autre vingt ans dans l’espoir d’avoir une belle retraite mais tomber malade. Je veux être heureuse maintenant », confie Mme Lajoie aujourd’hui en recherche d’emploi.

« Aux élèves qui veulent devenir enseignant, je leur dis d’y réfléchir à deux fois : il faut avoir la couenne assez solide, pas faire ça pour les deux mois de vacances, car ce sont deux moins de santé mentale et de planification de la prochaine année scolaire. »

Un besoin criant d’écoute et de soutien

Dominique, Julie et Daniel évoquent une période douloureuse, une passion qui s’est heurtée à pleine vitesse au mur de la réalité, celle d’un milieu où l’on n’investit pas assez.

Selon eux, la clé de la rétention des enseignants en contexte de pénurie passe par une plus grande écoute des directions d’école, des formations mieux structurées, du soutien en santé mentale et un investissement massif du gouvernement, notamment pour réduire la taille des classes, ne pas ternir la vocation et accompagner correctement la spécificité de l’enseignement en milieu minoritaire : enseigner des matières, mais aussi une culture.

« Tous les enseignants devraient commencer comme aide-enseignants leur première année au minimum », croit M. Richard.

« Il y a très peu qui est fait en santé mentale pour le bien-être des profs. On parle beaucoup de bienveillance pour les élèves, mais très peu pour les profs. Est-ce qu’on nous écoute? », questionne Mme Lajoie.

« Il va falloir que le gouvernement investisse dans la base. La base c’est l’éducation », tranche Mme Roy-Hébert.

En Ontario, un enseignant francophone sur quatre ne renouvelle pas son inscription dans les cinq années suivant sa certification. Ce taux est de 16 % chez les anglophones. Sur les 465 nouveaux membres certifiés chaque année, environ 115 auront quitté la profession après cinq ans.