Quand Wynne part en guerre contre Tim Hortons

La première ministre de l'Ontario, Kathleen Wynne. Crédit photo: Archives, #ONfr

[ANALYSE]

TORONTO – Il n’a fallu que quelques heures à Kathleen Wynne pour se distinguer en 2018. Début janvier, la première ministre de l’Ontario a fustigé sévèrement Tim Hortons, et n’y est pas allée de main morte.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Sa déclaration à l’intention des enfants du fondateur du restaurateur est pour le moins pugnace. « Ce n’est ni décent ni juste. C’est un geste d’intimidateur. Si M. Joyce veut partir une bagarre, je l’invite à le faire avec moi »

Kathleen Wynne ne digère pas la manœuvre « d’intimidation » de couper dans les avantages sociaux des employés. Une décision à la suite de la hausse du salaire minimum dans la province à 14 $ l’heure, début janvier.

Ron Joyce Jr., fils de Ron Joyce, et Jeri-Lynn Horton-Joyce, fille de Tim Horton, avaient envoyé une lettre aux employés d’une franchise dans la banlieue de Toronto, début janvier, pour les en informer. Dans d’autres franchises, des histoires semblables ont été rendues publiques.

Si Restaurant Brands International (RBI), la maison-mère, s’est empressé de dénoncer les succursales récalcitrantes à adopter le fameux « 14 $ l’heure », la décision passe plutôt mal, et donne pour le coup le beau rôle à Kathleen Wynne.

Soigner son image de gauche

Le geste de la première ministre n’est pas anodin. En tirant la première contre Tim Hortons, la chef du Parti libéral a choisi son propre combat. Et non des moindres puisqu’il s’agit ici de l’un des symboles de la restauration rapide. D’autres entreprises dans la province ont certainement recours à ces pratiques, loin des lumières médiatiques. Les employés, souvent jeunes ou issus de l’immigration, bénéficient bien souvent de moyens très limités pour défendre leurs droits.

À cinq mois des élections provinciales probablement difficiles pour son parti, la première ministre doit exister, quitte à « créer les événements ». Les libéraux n’ont pas le temps d’attendre la rentrée parlementaire le 20 février pour distribuer leurs flèches.

Kathleen Wynne sait aussi qu’elle doit absolument cajoler sa base de gauche pour se démarquer de son rival, Patrick Brown. Depuis deux ans et demi, le chef du Parti progressiste-conservateur se positionne au centre de l’échiquier politique. En partant en guerre contre Tim Hortons, elle soigne ainsi son image de défenseure de la veuve et de l’orphelin.

Chaud débat sur le salaire à 15 $ l’heure

Il n’est tout de même pas certain que la première ministre sorte gagnante de ce conflit avec le restaurateur. Derrière cette passe d’armes se cache le débat sur l’augmentation du salaire minimum. Et cette hausse continuera puisqu’en 2019, les Ontariens bénéficieront au minimum de 15 $ pour une heure travaillée.

Soulignons que l’augmentation n’est pas banale. En passant de 11,60 $ à 14 $, le salaire minimum a enregistré un bond de 30 %. Dès l’autonome, les premières résistances se sont fait entendre contre cette décision. À ceux justifiant cette hausse par un meilleur pouvoir d’achat des employés, certains s’inquiètent. Et craignent que la mesure bloque de possibles embauches. Un débat macroéconomique en somme vieux le monde entre keynésiens, partisans de la relance, et libéraux, préférant le laisser-faire.

Aussi contestables soient-elles, les actions dans les différentes succursales de Tim Hortons montrent que les dernières mesures du Parti libéral ne font pas l’unanimité. En tançant publiquement une grosse entreprise, la première ministre donne peut-être le ton de la campagne électorale du printemps : âpre et sans pitié.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 15 janvier.