Quelle stratégie après les manifestations franco-ontariennes?

Les manifestations franco-ontariennes, ici à Temiskaming Shores. Source Facebook: Festival Des Folies Franco-Fun

OTTAWA – Garder le mouvement de résistance vivant et maintenir la pression pour faire reculer le gouvernement de Doug Ford vont être parmi les défis majeurs qui attendent l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) après les manifestations massives du samedi 1er décembre.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

« On sort extrêmement énergisé des manifestations de samedi. On a envoyé un message clair au gouvernement : on veut le maintien de l’indépendance de notre commissaire aux services en français et que l’Université de l’Ontario français voit le jour. La mobilisation a prouvé que les gens sont fâchés que leur culture et leurs droits soient ainsi attaqués. La résistance bat son plein! »

Trois jours après les manifestations du 1er décembre, qui ont rassemblé plus de 14 400 personnes à travers la province, le président de l’AFO, Carol Jolin, maintient le même discours  à l’attention du gouvernement progressiste-conservateur.

S’il se dit surpris par l’ampleur du rassemblement, le politologue de l’Université d’Ottawa, François Charbonneau, prévient qu’il sera pourtant difficile de faire reculer ce dernier.

« Quand on lit les médias anglophones, hormis quelques éditoriaux, la vision de la francophonie ontarienne est à des années-lumière de celle de la communauté. Pour bon nombre de personnes de la majorité linguistique, les Franco-Ontariens sont une minorité privilégiée. Il est donc peu probable que le gouvernement de Doug Ford fasse marche arrière. C’est à son avantage de se montrer intransigeant, surtout dans un contexte de restrictions budgétaires, car ça plaît à sa base. Même si ce n’est pas dans son intérêt de voir autant de gens dans la rue, M. Ford n’a aucun gain à faire en francophonie. »

Une analyse devenue d’autant plus pertinente depuis le départ du caucus progressiste-conservateur de la députée franco-ontarienne, Amanda Simard, qui occupe l’une des deux seules circonscriptions à majorité francophone de la province.

La politologue du Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard, pense que la communauté franco-ontarienne doit donc se tourner vers la majorité.

« Quand j’ai fait des interventions dans les médias anglophones, j’ai senti moins de scepticisme qu’une envie de comprendre. Je pense que la francophonie ontarienne doit passer le message que les décisions qui la touchent s’inscrivent dans une mouvance plus large d’attaque contre les plus vulnérables, comme on le voit avec les mesures du gouvernement qui touchent la petite enfance, les services sociaux… »

Rétablir le dialogue

Mais avant de se tourner vers la société civile, l’AFO va d’abord devoir rétablir les relations avec le gouvernement. Celles-ci qui pourraient avoir souffert de l’ampleur des manifestations de la fin de semaine, pense Mme Chouinard.

« Ce qui se passe en Ontario fait perdre un peu de légitimité à Doug Ford comme leader de la voix conservatrice au Canada. Et on l’a vu avec le conseil municipal de Toronto, le premier ministre semble assez rancunier… Toutefois, sur certains dossiers, M. Ford pourrait s’entendre avec l’AFO. Et puis, la réaction des Franco-Ontariens peut faire hésiter son gouvernement sur d’autres actions à prendre. »

Le président de l’AFO, Carol Jolin, espère que les rassemblements, notamment devant les bureaux de circonscriptions de plusieurs députés progressistes-conservateurs auront plutôt eu pour effet de sensibiliser les troupes de M. Ford.

Le fédéral à la rescousse

Reste que le nombre de manifestants de samedi donne davantage de légitimité à l’AFO, pense Mme Chouinard. Ce mardi matin, M. Jolin en aura besoin pour faire mieux comprendre les revendications de la communauté franco-ontarienne aux élus fédéraux devant le comité permanent des langues officielles. Au niveau fédéral, l’organisme réclame un coup de pouce du gouvernement de Justin Trudeau.

« Le fédéral a déjà dit qu’il était ouvert à contribuer au financement de l’université franco-ontarienne, comme il l’a fait pour d’autres institutions postsecondaires francophones dans le passé, à travers le pays. On encourage la province à présenter une demande pour 50 % du financement. Et on demande aux députés fédéraux de continuer à mettre la pression sur la province », explique M. Jolin.

Outre la voie des tribunaux, qui pourrait être longue et aléatoire, M. Charbonneau rappelle que c’est peut-être du côté du gouvernement fédéral que les Franco-Ontariens peuvent avoir un espoir.

« En matière de francophonie, l’argent vient souvent plus du fédéral. Ça peut permettre au gouvernement Ford de reculer sans se désavouer si l’argent vient d’ailleurs. »

Pour l’instant, les progressistes-conservateurs n’ont pas indiqué vouloir présenter une demande de financement pour l’Université de l’Ontario français à Ottawa.

Maintenir l’élan

À long terme, l’AFO va devoir également travailler pour maintenir l’élan des manifestations, prévient M. Charbonneau.

« Montfort, c’était des emplois, des patients, des habitudes… C’était beaucoup plus facile de poursuivre la mobilisation. Là, c’est plus abstrait. »

Le président de l’AFO est bien conscient des défis qui attendent le mouvement de résistance.

« On sait qu’il y a un risque d’essoufflement avec le temps des fêtes, mais on a une stratégie, car ce n’est pas fini. Cette semaine, on a une rencontre avec toutes les ACFO [Association canadienne-française de l’Ontario] de la province. On va aussi tenir des tables de concertation à Mississauga, Sudbury et Ottawa… »


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