Quelles solutions pour l’immigration francophone en milieu minoritaire?

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OTTAWA – Alors que le gouvernement fédéral peine à atteindre sa cible en matière d’immigration francophone hors Québec, le nouveau ministre fédéral, John McCallum, est très attendu pour répondre aux attentes des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Plusieurs actions urgentes sont espérées pour relancer un processus au ralenti, selon les organismes francophones.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Signe de l’aspect prioritaire de ce dossier, la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Sylviane Lanthier, a indiqué, dès le nom du nouveau ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, John McCallum, révélé, son souhait de le rencontrer au plus vite.

« Nous voudrons savoir rapidement quelle sera l’approche du gouvernement Trudeau par rapport au système canadien d’immigration, et de quelle manière les priorités en matière d’immigration francophone seront prises en compte. Il y a beaucoup à faire à ce niveau, il y a des lacunes majeures à combler. ».

En 2003, le gouvernement fédéral s’était fixé un objectif de 4,4 % d’immigrants francophones en milieu minoritaire d’ici 2023 dans le Cadre stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Plusieurs provinces ont elles aussi des cibles ambitieuses. L’Ontario espère en attirer annuellement 5 %, le Nouveau-Brunswick table sur 33 % et le Manitoba en souhaite de 7 %.

« Pendant longtemps, les communautés francophones hors Québec, plus homogènes, étaient peut-être moins ouvertes à l’immigration francophone. Mais depuis les années 2000, il y a une conscientisation de l’importance de cette immigration pour maintenir leur poids démographique », souligne le directeur de l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia, Chedly Belkhodja.

Dans la réalité pourtant, Statistique Canada parle d’une proportion de nouveaux arrivants francophones hors Québec de seulement 1,46 % pour la période 2006-2011.

« Les provinces, comme le gouvernement fédéral, n’ont pas réussi à atteindre leurs cibles car il y a un travail énorme de restructuration des stratégies de recrutement qui doit être fait. Le Canada travaille toujours de la même manière, malgré ses cibles, et ne vise pas assez, sur le terrain, les pays francophones », remarque M. Belkhodja.

La FCFA attend donc des mesures concrètes pour favoriser l’atteinte de ces objectifs.

« Nous espérons des ressources adéquates en matière de recrutement et de promotion à l’étranger et de soutien et d’amélioration des services existants. Il y a un réseau d’appui, d’accueil et d’intégration des francophones qui est déjà bien établi dans plusieurs provinces. Mais toutes ne disposent pas des mêmes services et il faudrait donc équiper les provinces qui veulent accueillir plus de francophones », remarque Mme Lanthier.

Lentille francophone

La fin du programme Avantage significatif francophone a été très mal accueillie en 2014. Le programme Entrée express n’a pas comblé le vide laissé pour les communautés francophones hors Québec.

« Entrée express a plutôt ralenti le processus et nous avons des gens qui ont dû partir du Canada car les règles n’étaient plus les mêmes. Le nouveau gouvernement va devoir créer un nouveau programme pour les francophones hors Québec », pense Jean Johnson, président de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA).

Un avis partagé par Mme Lanthier qui souhaite que soit ajoutée une lentille francophone au programme existant.

Si l’Alberta est plutôt bien nantie en matière d’immigration francophone, profitant de son attrait économique, la communauté franco-albertaine doit elle aussi relever des défis, indique M. Johnson.

« Nos ressources sont limitées et la demande est très grande quant à l’accueil et surtout l’intégration à long terme des immigrants. »

Une situation également observable en Ontario, selon le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), Denis Vaillancourt.

« Ce n’est pas tout d’attirer des immigrants francophones, encore faut-il qu’ils sachent  qu’ils peuvent vivre en Ontario en français. Les groupes communautaires doivent avoir des ressources pour être présents dès l’arrivée des immigrants à l’aéroport. Nous avons des organismes qui travaillent très bien, comme La Passerelle, à Toronto, ou le Conseil Économique et Social d’Ottawa Carleton, mais ils ont besoin de plus de moyens. »

Revoir les compétences des provinces?

En Ontario, la ministre déléguée aux affaires francophones de l’Ontario, Madeleine Meilleur, a ouvert la porte à la négociation de nouvelles compétences en matière d’immigration avec le gouvernement fédéral, lors d’une entrevue avec #ONfr. Actuellement, seule la province du Québec dispose d’un statut particulier lui permettant, depuis les accords Cullen-Couture, en 1979, puis Gagon-Tremblay-McDougall, en 1991, de sélectionner elle-même ses nouveaux arrivants.

« Ça pourrait être une solution pour une province comme l’Ontario qui possède plus de ressources et qui reste très attrayante pour les nouveaux arrivants. Mais les provinces peuvent également utiliser le Programme des candidats des provinces. Celui-ci a bien fonctionné par le passé, notamment en Nouvelle-Écosse, avant que des abus ne conduisent le gouvernement à fixer des quotas et à en reprendre le contrôle. Avec le nouveau gouvernement, il y aura peut-être plus d’ouverture. »

L’idée lancée par la ministre Meilleur, intéressante selon le président de l’AFO, ne fait toutefois pas l’unanimité ailleurs.

« Tant que les francophones ne seront pas reconnus par le gouvernement provincial en Alberta, je serais très réticent à désengager le gouvernement fédéral. Celui-ci nous assure des services et des ressources en français », indique M. Johnson.

De son côté, la FCFA souhaite plutôt davantage de dialogue entre le gouvernement fédéral et les provinces.

« Avant, le Programme des candidats des provinces donnait plus de latitude à celles-ci, mais progressivement, les règles ont changé et le gouvernement fédéral a pris plus de place et ralenti le processus. Comme les compétences sont partagées, il est important que les deux paliers travaillent ensemble et que le gouvernement fédéral soutienne les provinces. »

En Ontario, la bonne relation entretenue pendant la campagne entre Mme Wynne et M. Trudeau fait naître beaucoup d’espoir.

« Nous espérons que le changement de gouvernement fédéral et les meilleures relations entre les deux paliers vont leur permettre de travailler ensemble pour atteindre leurs cibles respectives car si l’Ontario atteint la sienne, cela veut dire que le fédéral aussi s’en rapproche », remarque M. Vaillancourt. « Il y a plusieurs pistes de solutions à étudier. Il faut notamment que l’Ontario se fasse connaître à l’étranger. Si la province devient membre de l’Organisation internationale de la francophonie, cela pourrait grandement contribuer à faire connaître les perspectives qu’offre la province aux immigrants francophones. »

Pour M. Belkhodja, l’approche en matière d’immigration doit tout simplement être différente.

« La stratégie doit se faire à tous les niveaux : fédéral, provincial et municipal. La communauté aussi doit être impliquée car elle sait ce dont elle a besoin et parce qu’elle peut aider les immigrants à s’intégrer, à trouver un travail et ainsi à favoriser leur rétention. À long terme, la cible est moins importante que la stratégie, selon moi. »