Raconter l’histoire franco-ontarienne de Prescott-Russell

Est ontarien histoire patrimoine chronique
L’étudiante Marie-Pierre Héroux, l'historien et auteur du livre Serge Dupuis, Elise Edimo l’agente de liaison du projet pilote de Communauté Francophone Accueillante de l’Est de l’Ontario et l'animateur de la table ronde et Ghislain Hotte, membre du conseil d’administration de l’ACFO Prescott et Russell. Crédit image: Diego Elizondo

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.

[CHRONIQUE]

Le 23 mars dernier, l’Association canadienne-française de Prescott et Russell (ACFO PR) lançait une plaquette sur l’histoire franco-ontarienne des Comtés unis de Prescott-Russell intitulé La francophonie de l’Est ontarien : une brève histoire. L’ouvrage, signé par l’historien franco-sudburois Serge Dupuis, a été bien accueilli par la trentaine de personnes qui se sont déplacées au Centre culturel Le Chenail à Hawkesbury.

Dans l’assistance, on remarquait plusieurs visages connus tels que les anciens députés provinciaux Jean Poirier (député de 1984-1995) et Jean-Marc Lalonde (1995-2011) mais le premier public visé par cet ouvrage de synthèse historique sont les nouveaux arrivants qui choisissent de s’établir dans la région, surtout depuis que la ville a été choisie en 2019 en tant que communauté francophone accueillante dans le cadre du Plan d’action pour les langues officielles du gouvernement du Canada.

« Afin d’accueillir les nouveaux arrivants, ça prend des outils d’intégration. Cette plaquette répond à ce besoin », a expliqué l’auteur et instigateur du projet, Serge Dupuis, dont l’ouvrage a été tiré à 1 500 exemplaires en français et 500 en anglais. Un livre dans la même lignée mais sur l’histoire des francophones de Sudbury avait été rédigé par le même auteur et publié par l’ACFO du Grand Sudbury en 2021.

Divisé en cinq périodes pour décrire l’évolution de l’Est ontarien francophone (les contacts franco-autochtones, la colonisation britanno-américaine, la colonisation canadienne-française, l’appropriation franco-ontarienne du territoire et la banlieusardisation, la patrimonialisation et l’immigration francophones) ce livre explique l’enracinement des francophones, d’hier à aujourd’hui, dans l’extrémité Est de l’Ontario.

Première synthèse sur l’histoire de la région en près de 60 ans

Il s’agit de la première synthèse historique des Comtés unis de Prescott-Russell depuis… 1965! En effet, il semble que personne ne se soit essayé dans la rédaction d’un ouvrage qui propose de raconter l’histoire générale de ces comtés qui demeurent à ce jour à majorité francophone, malgré la diminution de décennie en décennie que confirment les données d’un recensement à l’autre de Statistique Canada.

Le dernier historien avant Serge Dupuis à avoir publié une histoire de Prescott-Russell fut l’historien honoraire de la ville d’Ottawa et de Hull, le Franco-Ontarien Lucien Brault (1904-1987). Épuisé depuis longtemps, l’ouvrage de Brault demeurait néanmoins la référence à la fois en raison de la somme du volume de ses recherches que contient son livre et de son sujet niché, rarement étudié, l’histoire régionale étant peu populaire comme sujet d’étude.

 Des copies du livre en français lancé le 23 mars dernier au Centre culturel Le Chenail à Hawkesbury. Crédit image : Diego Elizondo

La publication de M. Dupuis ne cherche cependant pas à remplacer ou déconstruire ce qu’a déjà publié Brault mais plutôt à actualiser le contenu grâce aux progrès des recherches et de l’historiographie en plus de vulgariser pour le plus grand nombre de lecteurs plus de 400 ans d’histoire en moins de cent pages.

Depuis l’époque de Lucien Brault, le champ historiographique franco-ontarien s’est raffiné malgré tout. Serge Dupuis a cité le recours aux thèses de maîtrise en histoire de l’Université d’Ottawa de Lucie Lecompte (2002), Serge Miville (2012) et Danika Gourgon (2016) comme nouvelles sources.

Table ronde

Animée par l’historien franco-ontarien de formation et membre du conseil d’administration de l’ACFO PR Ghislain Hotte, une table ronde d’une heure a été organisée au lancement de la plaquette. Les panélistes étaient l’auteur et historien Serge Dupuis, l’étudiante à la maîtrise en histoire et ex-présidente du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) Marie-Pierre Héroux et Elise Edimo l’agente de liaison du projet pilote de Communauté francophone accueillante de l’Est de l’Ontario.

À la question d’une participante qu’est-ce qui caractérise la région de Prescott-Russell comme bastion de l’Ontario français, M. Dupuis a répondu que cela tenait à la force du nombre et à une force institutionnelle.

Le phénomène remonte selon lui dès l’arrivée massive des Canadiens français dans Prescott-Russell dans la deuxième moitié du XIXe siècle, point tournant au cours duquel les Comtés unis sont devenus majoritairement francophones.

Ces derniers « s’installaient dans la région sans vraiment avoir l’impression d’avoir quitté leur Québec natal, souvent provenant de régions limitrophes à la frontière provinciale. Ils ont reproduit les mêmes structures de socialisation, centré autour de l’Église catholique et de l’école. L’arrivée du Règlement 17 a été un choc et une prise de conscience de leur statut de minorité linguistique en province, même si régionalement, ils formaient la majorité ».

La table ronde comptait Elise Edimo l’agente de liaison du projet pilote de Communauté francophone accueillante, l’historien Serge Dupuis, l’étudiante Marie-Pierre Héroux et l’animateur Ghislain Hotte de l’ACFO Prescott et Russell. Crédit image : Diego Elizondo

Là-dessus, Serge Dupuis a repris une thèse bien établie dans l’historiographie franco-ontarienne, popularisée par des historiens franco-ontariens dès la fin des années 1970 comme Robert Choquette pour qui, les Franco-Ontariens sont « nés avec le Règlement 17 ».

C’est justement cette forte résistance au Règlement 17 qui a le plus surpris Marie-Pierre Héroux en lisant l’ouvrage de Dupuis. La crise à Green Valley, survenu dans la région est tout aussi épique mais peut-être moins connu que celle de l’École Guigues dans la basse-ville d’Ottawa ou du combat de Jeanne Lajoie à Pembroke, par exemple.

Reconnaissant que la survie de la langue française en Amérique du Nord est « un tenace combat perpétuel », la région de Prescott-Russell représente néanmoins pour l’historien « une rare force numérique et proportionnelle » pour l’Ontario français et qu’en bénéficie toute la communauté.

« La municipalité de Russell, qui comporte Embrun, a été la première à adopter un règlement sur l’affichage bilingue en 2008. D’autres municipalités de Prescott-Russell l’ont ensuite suivi. Pourquoi? Car les francophones étaient encore majoritaires », a-t-il évoqué.

« Voilà un exemple concret où détenir des leviers de pouvoir politique peut avoir une incidence bénéfique sur l’adoption de règlements, de lois ou de politiques publiques pour protéger et promouvoir le fait français en Ontario », a analysé M. Dupuis qui a fait un parallèle avec le début du XXe siècle.

« Il y a eu une résistance institutionnelle forte contre du Règlement 17 dans les commissions scolaires catholiques à Prescott-Russell et à Ottawa car bien que bilingues, ces commissions scolaires étaient à majorité francophone ». Néanmoins, l’équilibre linguistique reste toujours fragile.

Immigration, banlieusardisation et patrimonialisation

Le phénomène de banlieusardisation de Prescott-Russell tel que décrit par Dupuis dans son livre est ce qui a touché le plus Marie-Pierre Héroux : « Ayant grandi dans la région, à Embrun, j’ai vu ce phénomène pendant toute ma vie, mais je n’avais pas le mot pour le décrire. Serge réussit à identifier ce qui transforme en profondeur Prescott-Russell devant nos yeux. »

Bien que relativement nouveau mais résolument bien entamé dans les municipalités de Prescott-
Russell à proximité d’Ottawa, ce phénomène de changements urbains (qui s’accompagne souvent avec de l’immigration) qui vient altérer le caractère traditionnel rural n’est pas sans rappeler ce qui est survenu à Orléans dès les années 1970. L’histoire se répète.

Des clichés projetés au Centre culturel Le Chenail, à Hawkesbury. Crédit image : Diego Elizondo

Mais « Prescott-Russell est une région qui a une bonne conscience de son histoire », nuance l’auteur qui identifie dans son livre la patrimonialisation, tant culturelle que culinaire, comme un autre des trois phénomènes marquants des 30 dernières années, avec la banlieusardisation et l’immigration.

Dans presque chacune des huit municipalités des Comtés unis de Prescott-Russell on trouve des exemples qui témoignent de l’enracinement et la fierté des Franco-Ontariens pour leur histoire, leur patrimoine et leur identité.

Citons le Festival de la Curd de la Fromagerie St-Albert, le méga-spectacle estival L’Écho d’un peuple à la ferme Drouin de Casselman (2004-2008), la désignation en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario de l’église Très-Sainte-Trinité de Rockland et son presbytère-château en 2006, puis celle de l’ancienne prison et du Palais de justice de L’Orignal en 2007 ou encore la construction de Monuments de la francophonie.

L’annonce cette semaine de l’inauguration d’un septième Monument de la francophonie dans la région, à Alfred, pour la Journée des Franco-Ontariens le 25 septembre prochain l’atteste une fois de plus.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.