Recensement : les francophones se dispersent

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[ANALYSE]

OTTAWA – La sonnette d’alarme est tirée depuis la semaine dernière. Les chiffres du recensement, considérés comme la « photographie » de la vitalité des francophones tous les cinq ans, n’ont pas apporté le frein à l’assimilation tant espéré.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Le tollé suscité au Québec par la montée inattendu du nombre d’anglophones a sans doute contribué à dramatiser davantage les résultats pour les francophones en contexte minoritaire. À défaut d’un redressement, les chiffres ne marquent pas non plus une chute chez les Franco-Ontariens.

Sur les huit derniers recensements depuis 1971, la proportion de Franco-Ontariens a baissé à sept reprises. À partir de 2001, cette diminution suit la même régularité, soit une baisse relative de 0,2 point tous les cinq ans. Bilan : les Franco-Ontariens ne pesaient en 2016 plus que 4,1 % de la population provinciale.

Beaucoup se consolent aujourd’hui en disant que le nombre de Franco-Ontariens est quant à lui en hausse (+ 7 000 en comparaison de 2011). Une chance que ne possèdent pas le Manitoba (l’une des mauvaises surprises du recensement) et les Provinces maritimes.

L’autre source de consolation est en revanche plus contestable. Les résultats encourageants du nombre de francophones à Toronto, désormais plus de 50 000 au centre-ville, incitent aux réjouissances. Comme le serinent beaucoup depuis des années, l’avenir de la Francophonie serait bien à Toronto.

Toronto manque encore d’atouts pour les francophones

Si l’on part d’une définition numérique de la Francophonie laquelle inclut le nombre de résidents francophones dans un lieu donné, alors nul doute que la Ville reine représente bien un « eldorado ». Mais si l’interprétation de la francophonie doit aller de pair avec une capacité d’action et d’influence du même groupe, un héritage linguistique qui se transmet au fil des générations, Toronto manque encore d’atouts.

La première métropole du Canada de par sa taille est aussi la plus « multilingue » et constitue donc un terreau fertile pour l’assimilation. Entre les services en français quasi inexistants au niveau municipal, les difficultés de bâtir de nouvelles écoles francophones, l’exogamie des mariages, et surtout la place très reculée du français en comparaison des « tierces langues », dixit le recensement, le panorama n’est guère reluisant.

Des bastions francophones en déclin

À la différence de Toronto, les 4 335 francophones de Hearst, le « village gaulois » isolé dans le Nord, ont aujourd’hui plus d’espoir de voir le français se transmettre à leurs enfants et d’intégrer les nouveaux arrivants dans cette langue. Plus de voix aussi que les 12 000 francophones recensés à Mississauga.

C’est là où le bât blesse : les lieux historiques d’enracinement des francophones tels Hearst, Kapusasking, ou Hawkesbury se vident aux profits des grandes villes, là où l’assimilation guette.

L’intensification du phénomène d’éparpillement des francophones pourrait avoir des conséquences bien plus graves : une voix commune qui s’affaiblit, moins d’élus politiques francophones, moins de projets mis en branle.

Un fait aujourd’hui oublié : en 2013, le déménagement de dizaines de milliers d’emplois fédéraux vers d’autres secteurs de la Ville d’Ottawa avait fait bondir le député provincial Phil McNeely. Sa plainte déposée au Commissariat aux langues officielles dénonçait le manque de considération du gouvernement fédéral à « favoriser l’épanouissement des minorités francophones » en vertu de la Loi sur les langues officielles.

La plainte rejetée a peut-être montré la limite des capacités du pouvoir juridique à se substituer au pouvoir politique. Elle rappelle en tout cas que la volonté politique est nécessaire contre l’assimilation.

Cette analyse est aussi publiée dans le quotidien Le Droit du 8 août.