Réforme des bourses d’admission à l’U d’O : les francophones grands perdants?

Le campus de l'Université d'Ottawa.
Le campus de l'Université d'Ottawa. Archives ONFR+

OTTAWA – « Un coup très dur pour la francophonie sur le campus ». Notre intervenante préfère garder l’anonymat. Cette professeure à l’Université d’Ottawa (U d’O) ne digère pas la récente réforme des bourses d’admission pour les programmes de maitrise et de doctorat. L’enjeu selon elle : le risque d’une perte de vitesse pour les francophones.

Tout part d’une modification validée l’automne dernier par l’institution bilingue ottavienne. Concrètement et pour les étudiants en maitrise, l’U d’O offrira à partir de septembre un montant de bourse de « au moins » 7 500 $ par année contre « au moins » 15 000 $ auparavant. Il faudra maintenant une moyenne d’admission de 9/10 contre 8/10 autrefois pour prétendre à cette bourse.

Quant aux bourses pour le doctorat, leurs montants (une valeur minimale de 72 000 $ pour une période de quatre) et moyennes de note d’admission (8/10) restent toutefois inchangés, à une exception près : celles-ci deviendront à partir du mois de septembre accessibles pour les étudiants internationaux.

Pour cette professeure, la pénalisation des francophones relève d’une équation simple.

« C’est comme si l’université voulait profiter du virement numérique forcé pour accueillir des étudiants internationaux qui ne vont jamais mettre pied sur le campus, mais tout cela se fait au détriment des étudiants canadiens déjà fragiles, et surtout les francophones pour qui l’ancien régime de bourses a été conçu. »

Et d’ajouter : « Cela aura pour résultat un accès plus difficile pour les Canadiens et les francophones aux programmes des deuxième et troisième cycle de l’Université d’Ottawa. »

Cette réforme pourrait aussi mettre à court terme des programmes en danger, estime la professeure.

« Plusieurs départements n’ont pas de doctorat, et donc, ne peuvent tirer profit de l’argent de l’administration centrale pour accueillir les étudiants internationaux. Ça les fragilise, ne serait-ce qu’à court terme. Les départements offrant des maitrises sur deux ans n’ont pas eu de temps pour s’adapter à la nouvelle réalité. Ils doivent maintenant essayer de recruter pour des programmes de deux ans avec une seule année de financement, c’est-à-dire des bourses, à offrir. »

Outre le contenu, la professeure regrette la méthode. 

« Ils (l’Université d’Ottawa) n’ont pas respecté les règles du changement. La direction de l’université a fait une consultation au mois d’août, mais personne n’en a vraiment entendu parler. Notre bateau amiral nous fait passer un sapin pour les francophones et les Canadiens. Ils ont fait vite, car l’occasion avec la pandémie leur a permis. »

Silence de beaucoup d’acteurs 

Toujours selon elle, beaucoup de professeurs francophones seraient « inquiets » sur le campus, mais préféreraient garder le silence.

ONFR+ a tenté de joindre une dizaine d’entre eux. Certains nous ont dit être conscients de l’enjeu, sans vouloir s’exprimer publiquement.

Nos tentatives d’entrevue ont toutes été aussi vaines avec l’Association des Professeurs de l’Université d’Ottawa (APUO) laquelle a décliné notre offre. Malgré de nombreux courriels, le Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa (SÉUO) n’a pas communiqué la moindre réponse.

L’Université d’Ottawa. Source : Wikicomons

Une seconde professeure a accepté néanmoins de nous parler, mais de manière anonyme.

« Ils ont clairement retiré de l’argent des maitrises, pour redistribuer cet argent dans les nouvelles bourses de doctorat et favoriser les étudiants étrangers. »

Et l’impact pour les francophones serait grand, selon cette professeure.

« Cela va les défavoriser, car les Franco-Ontariens de la première génération à fréquenter l’université sont souvent moins riches que les anglophones, ou encore que les étudiants étrangers qui viennent de famille bien nantie. Il risque d’y avoir moins d’étudiants francophones à la maitrise et au doctorat. Quand j’ai demandé combien d’étudiants francophones vont être touchés pour ça, l’université n’a pas su me répondre. »

Selon les chiffres obtenus par ONFR+, la proportion de francophones sur le campus d’Ottawa avait chuté pour la première fois sous la barre des 30 % en 2018 (29,9 %). Jusqu’alors, l’université conservait la proportion de échantillon linguistique entre 30 et 31 %.

Situation « désolante » pour le RÉFO, l’U d’O rassurante 

Informé par ONFR+ de l’enjeu possible de la réforme des bourses d’admission, le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) évoque une situation « désolante » rendant plus « difficile » l’accès pour les études postsecondaires.

« Nous sommes conscients qu’une telle annonce, en pleine crise socioéconomique due à la pandémie, risque de gravement impacter les étudiants. Plusieurs se retrouvent encore, à l’heure actuelle, dans une situation de précarité d’emplois, avec les fermetures de commerces non essentiels, et le risque de fermetures d’entreprises et commerces qui sont pourvoyeurs d’emplois pour nos étudiants », laisse entendre son directeur général, François Hastir. 

Dans un échange de courriels avec ONFR+, l’Université d’Ottawa s’est toutefois voulue rassurante.

« Ce nouveau modèle de bourses aux études supérieures sera mis en place dès septembre 2021 et sera disponible aux étudiants canadiens, résidents permanents, personnes protégées ou membres d’un corps diplomatique et aux étudiants internationaux admis à un programme de doctorat. Les étudiants à la maitrise continueront à avoir accès aux bourses d’études, qu’ils soient francophones ou anglophones. »

L’Université insiste qu’il existera par ailleurs une bourse de mobilité étudiante de 3e cycle-étudiants francophones internationaux au doctorat qui viennent étudier à l’Université d’Ottawa dans un programme d’échange international ou pour un stage de recherche.

« Nous sommes conscients des défis auxquels fait face le Liban, notamment un contexte politique, social et financier complexe. L’Université d’Ottawa a récemment annoncé la création de nouvelles bourses d’études pour appuyer la jeunesse libanaise et contribuer à la formation d’une nouvelle génération de chercheurs et de professionnels francophones. »