Régler la crise : une question de volonté politique à tous les étages

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, tente freiner la crise en période pré-électorale. Archives ONFR+
Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, a fait du dossier du logement un de ses chevaux de bataille, à quelques semaines des élections. Archives ONFR+

Face à un accroissement démographique constant et une augmentation des prix de l’immobilier plus rapide que celle des revenus de la population, les gouvernements successifs ont eu, à maintes reprises, la possibilité d’agir. Ils ont pourtant choisi de ne pas le faire. En initiant un sommet inédit pour sortir de cette spirale inflationniste, le gouvernement Ford a forcé le destin, à l’aube des élections. Mais les solutions ne font pas l’unanimité et laissent présager des résistances à plusieurs niveaux.

Ce qui est rare est cher. Devant cette logique implacable, le groupe d’étude sur le logement mandaté par le gouvernement suggère dans ses conclusions d’accélérer les constructions tous azimuts pour élargir l’offre de logement le plus rapidement possible. L’objectif est ambitieux : sortir de terre 1,5 million d’unités en dix ans.

Pour l’atteindre, tous les moyens sont bons : revoir de fond en comble les politiques d’aménagement, assouplir les règles de zonage et d’exclusion, limiter les abus de procédures d’appel ou encore éliminer des règles liées au design et au caractère du quartier.

Ces simplifications de procédures doivent libérer les entraves à la construction et accroître le nombre de logements disponibles, provoquant mécaniquement une baisse des prix par l’ajustement de l’offre à la demande. Mais derrière cette vision quantitative, plusieurs failles et enjeux s’esquissent.

Plus de logement ne veut pas dire plus d’abordabilité

La première est qu’on a perdu de vue le but premier de la manœuvre : rendre le logement abordable. C’est ce qu’assure Steve Pomeroy, chercheur à l’Université Carleton.

« Conclure que c’est en augmentant l’offre qu’on va faire baisser les prix n’est pas vrai selon moi. Toutes les unités à l’achat et à la location créées ces cinq dernières années s’alignent sur les prix du marché. Si on veut vraiment résoudre la crise de l’abordabilité, on doit agir sur les prix en réduisant la taille des unités et sur l’offre abordable en finançant les organisations sans but lucratif. »

Les défenseurs du droit au logement croient qu’au-delà de développer le marché privé, le gouvernement doit en effet diversifier son approche pour répondre aux difficultés des plus vulnérables, notamment en investissant dans des projets coopératifs et non lucratifs qui allient bas loyers et services sociaux.

Bahar Shadpour, responsable de la politique, de la communication et de l’engagement au Centre pour les droits à l’égalité dans le logement (CERA). Gracieuseté

Les plus exposés dans cette crise sont d’abord les locataires, rappelle Bahar Shadpour, responsable de la politique et de l’engagement au Centre pour les droits à l’égalité dans le logement (CERA). « Ils ont moins de revenus que les propriétaires et font face à des situations d’éviction, de harcèlement et sont dans l’incapacité de quitter un logement sans courir le risque de ne pas trouver un autre toit. »

Cette réponse sociale versus la réponse économique dominante est au cœur d’une bataille idéologique à l’Assemblée législative de l’Ontario. Aux yeux des progressistes-conservateurs, c’est essentiellement un problème de marché : pour satisfaire la demande, il suffit d’augmenter l’offre pour briser la spirale inflationniste.

Pour les néo-démocrates, il faut au contraire englober des mesures contraignantes comme le contrôle des loyers, des taxes sur la spéculation et l’inoccupation ou encore l’interdiction des rénovictions – qui consistent à expulser des locataires sous prétexte de rénovations pour relouer un logement plus cher.

Jessica Bell, porte-parole de l’opposition officielle au logement, reproche d’ailleurs au gouvernement d’avoir abandonné les locataires en permettant aux propriétaires de logements construits après 2018 d’imposer des hausses de loyers illimitées.

« Le gouvernement pensait qu’en éliminant ce contrôle du loyer, il allait encourager la construction de logements locatifs », décrypte l’urbaniste Pierre Filion, « mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça : au contraire, le stock de loyers devient encore moins abordable à chaque fois que quelqu’un déménage ou est mis à la porte de son logement ».

Les maires pris en étau entre population et investisseurs

Mais la province n’est pas la seule responsable dans cette crise. Les conseils municipaux ont en effet plusieurs leviers pour orienter la politique du logement. Ce sont eux notamment qui accordent les permis de construire aux promoteurs immobiliers. Ils ont aussi la latitude d’imposer un quota de logements abordables ou sociaux.

Toronto a ainsi pris de timides mesures pour éteindre le feu comme, en novembre dernier, l’adoption d’une règle de zonage inclusif imposant aux constructeurs de condominiums d’intégrer 5 à 10 % d’unités abordables dans les nouvelles tours situées à moins de 500 mètres des stations de transport en commun dès septembre prochain, 8 à 22 % d’ici 2030. Une taxe de 1 % sur les propriétés vacantes de la ville est également entrée en vigueur depuis le 1er janvier afin de pousser les propriétaires à louer leur bien.

John Tory, maire de Toronto, veut conserver les prérogatives municipales existantes en matière de logement. Archives ONFR+

Mais ces mesures ont une portée bien trop limitée, de l’avis de plusieurs experts. Un saupoudrage qui se retourne contre les municipalités aujourd’hui puisque la province tente de réduire leurs prérogatives comme le contrôle de la hauteur des immeubles ou encore le recours à la consultation publique.

Or, plusieurs maires, dont celui de Toronto, affichent leur hostilité à voir les élus de proximité dépossédés de tels pouvoirs, même si la province envisage un retour de balancier en récompensant les bons joueurs via un fond financier.

Pris en étau entre l’opinion publique et les investisseurs, les élus municipaux marchent sur des œufs, particulièrement en période pré-électorale, quitte à repousser les votes encombrants, comme à Toronto celui de la légalisation des maisons de chambres, considérées par beaucoup comme une des clés de l’abordabilité.

La lourde responsabilité du palier fédéral

Le gouvernement canadien a lui aussi sa part de responsabilité, pointé du doigt dans son manque de transferts de financement, depuis qu’il a délégué nombre de ses programmes aux provinces et aux municipalités dans les années 1990.

Lancé en 2017, sa stratégie nationale sur le logement, un vaste plan de plus de 72 milliards de dollars sur 10 ans, devait permettre de créer 160 000 nouveaux logements, combler les besoins en matière de logement de 530 000 familles, réparer et de renouveler plus de 300 000 logements, à travers le pays. En Ontario, 5,8 milliards de dollars de financement conjoints sur dix ans.

Steve Pomeroy, chercheur à l’Université Carleton. Gracieuseté

Mais au bout du compte, les résultats de cette stratégie sont contestables, d’après M. Pomeroy. « On ne connaît pas les résultats de cette stratégie car le gouvernement manque de transparence dans ce dossier », note le chercheur.

« Les premiers chantiers lancés qu’en 2019 commencent tout juste à être occupés. On a donc très peu de recul. Le gouvernement fédéral a fait une erreur stratégique en transférant des pouvoirs aux provinces tout en réduisant les fonds correspondants. Mais compte tenu de sa population, l’Ontario a eu sa juste part, comparativement aux autres provinces et territoires », relativise-t-il.

En finir avec les pré-carrés gouvernementaux

Sortir de cette crise passera immanquablement par la création d’un plus grand nombre de logements disponibles, mais ne pourra pas faire l’économie d’un arsenal d’outils législatifs pragmatiques pour atténuer les effets dévastateurs des rénovictions ou des augmentations exagérées de loyer.

« On doit être capable de protéger les locataires, de leur trouver des solutions de logement temporaire quand ils en ont besoin pour se prémunir du sans-abrisme », mentionne par exemple Mme Shadpour. « Au-delà du logement privé et du logement d’urgence, on doit trouver une voie médiane offrant une panoplie d’options de logements abordables à long terme. »

Brian Doucet, chercheur à l’Université de Waterloo. Gracieuseté

Cela passera aussi par une réelle collaboration des trois paliers de gouvernement. « Chacun d’eux a un rôle à jouer », souligne Douglas Kwan, directeur du Centre ontarien de défense des droits de locataires : « Le municipal a le pouvoir d’introduire du zonage inclusif, le provincial peut agir sur le contrôle des loyers et le fédéral dans l’apport de fonds. »

Cette collaboration n’aura toutefois de sens, selon Brian Doucet, chercheur à l’Université de Waterloo, que si les gouvernements se posent la bonne question : « Construire plus de logements pour qui? Les investisseurs? On a besoin d’un réel financement pour soutenir de nouveaux logements véritablement abordables et d’explorer plus sérieusement les options de contrôle des loyers et de taxes qui découragent la spéculation. Des mesures comme ça réorienteront l’offre vers les personnes qui ont vraiment besoin d’un logement. »

L’Ontario devrait s’inspirer d’autres grandes villes d’Amérique du Nord, ajoute-t-il, citant la règle 30-30-30 qui assure la mixité dans les quartiers de Montréal en intégrant des logements à 30 % abordables, 30 % sociaux et 30 % familiaux.

Et de saluer du même souffle le geste novateur de la ville de New Westminster en Colombie-Britannique, qui interdit par règlement les rénovictions en tenant les propriétaires pour responsables de l’hébergement alternatif de leurs locataires en cas de travaux, sous peine d’amendes. « C’est une initiative intéressante dont devrait s’inspirer l’Ontario. »

M. Kwan invite enfin à regarder les villes américaines comme San Francisco, Boston et New York qui pratiquent un zonage inclusif à deux chiffres, bien au-delà des pratiques des villes canadiennes.

Du 15 au 29 mars, retrouvez Au pied du mur, la série web d’ONFR+ qui explore la crise du logement en Ontario. Prochain épisode : Qu’est-ce qu’une maison, vraiment? vendredi 18 mars.