Réjean Grenier et l’art de dire ce que l’on pense

Réjean Grenier dans son bureau. Crédit photo: Didier Pilon

[LA RENCONTRE D’ONFR]

SUDBURY – Nul ne pourrait accuser Réjean Grenier d’être timide. À travers son parcours mouvementé au cours duquel il a joué le rôle d’agent d’artistes, de journaliste, de directeur d’un organisme communautaire et de propriétaire du journal Le Voyageur, M. Grenier est depuis longue date une voix publique pour les francophones du Nord ontarien. Maintenant retraité, il s’exprime toujours grâce à ses éditoriaux dans le journal Le Voyageur et à ses chroniques littéraires sur les ondes de Radio-Canada.

DIDIER PILON
dpilon@tfo.org | @DidierPilonONFR

« Vous avez la réputation de n’avoir jamais la langue dans la poche. Comment avez-vous cultivé ce franc-parler?

Dans mes dernières années à l’université, une des choses qui m’a frappé, c’est que la vérité gagne toujours. La vérité peut te nuire à court terme, mais elle l’emporte toujours à long terme. J’ai décidé dès lors que ça serait mon leitmotiv : la vérité sortira de ma bouche.

Comme tout le monde, je n’aime pas l’incompétence, je n’aime pas les mensonges, donc quand j’en découvre, je le dis. Comme ma femme vous le dirait, j’ai des opinions sur tout qui alimentent mes éditoriaux au journal Le Voyageur. Toutefois, il faut nuancer. Si vous étiez dans ma tête, vous vous diriez sûrement que c’est une chance que je ne les dise pas toutes.

J’ai toujours été comme ça. Je dis ce que je pense. Quand c’est ta façon d’être, c’est difficile à restreindre. Des fois, ça sort et des fois, ça sort mal. La vérité est toujours bonne à dire, mais pas n’importe comment non plus.

Vous avez certainement bâti une carrière de cette habilité d’exprimer ce que vous pensez. Cette manière d’interagir vous a-t-elle aussi mis dans le pétrin?

Je donne un exemple. J’éprouve une certaine difficulté à interagir avec les partisans de la Ford Nation. Je manque parfois de respect envers eux et c’est quelque chose que je dois corriger.

Ceci étant dit, je siège comme vice-président à l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), un organisme apolitique. Quand on travaille dans un organisme de ce genre, on ne peut pas porter son allégeance politique sur son bras. On doit pouvoir travailler avec n’importe qui au pouvoir pour faire avancer les dossiers. Ça, c’est clair.

Puisque j’ai de la difficulté à ne pas dire tout ce que je veux, je finis par le dire quand même. Après l’élection de cette semaine, je sais que je ne me représenterai pas à l’AFO. [Les prochaines élections des membres se dérouleront à l’automne.] J’aurais en théorie droit à un autre mandat, mais je veux avoir la liberté de dire tout ce que je veux.

Le Voyageur célébrera cette semaine ses 50 ans. Pendant 14 ans, vous en avez été le prioritaire. Qu’est-ce que cet anniversaire signifie pour le journal et pour votre contribution?

Le plus important dans tout ça, c’est de reconnaître le travail de ceux qui en ont fait partie pendant plusieurs années. Cinquante ans d’existence d’un journal, dont j’ai fait partie pendant 14 ans, ça veut dire que bien des gens m’ont précédé. Au début, c’était tous des bénévoles qui travaillaient juste pour que la communauté ait un journal. Je ne sais pas comment dire merci à ce monde. Ils ont fait un travail extraordinaire.

Si l’on veut comprendre le succès que nous avons eu avec le journal, il faut premièrement reconnaître les gens qui sont venus avant nous. Ensuite, lorsque j’ai acheté le journal, c’était un moment de grand dynamisme à Sudbury. Le Collège Boréal venait d’être créé et nous venions tout juste d’avoir le contrôle de nos conseils scolaires. Si l’on a réussi à augmenter le tirage et la distribution, c’est grâce à eux. On ne le répétera jamais assez, les conseils scolaires sont une des institutions les plus importantes en Ontario français.

Finalement, il ne faut pas oublier le rôle de la communauté de Sudbury dans le succès du journal. Elle est le meilleur milieu pour un journal francophone hors Québec. On est assez nombreux pour être visible. Quand on est 30 % de la population, on se fait remarquer.

Comment êtes-vous venu à faire carrière en journalisme?

À mes débuts, je n’avais aucune formation en journalisme. J’avais un diplôme en histoire. J’ai été agent de tournée du Théâtre du Nouvel-Ontario, agent du groupe CANO, et j’ai fait partie de ceux qui ont lancé La Nuit sur l’étang. J’ai aussi travaillé au gouvernement fédéral un an et demi, et c’était assez pour savoir que je ne voulais plus travailler là.

Lorsque j’ai quitté la fonction publique, je suis resté à la maison pour m’occuper de ma fille qui n’avait qu’un an et demi. Mais je commençais à trouver ça long. J’avais besoin de parler à des adultes.

Donc un jour, alors que j’étais de passage à Radio-Canada pour visiter des amis, j’ai vu un affichage de poste à Toronto. J’ai demandé à un de mes amis : « Qui penses-tu qui aura ce poste? ». Il me répond : « Toi! »

C’était un de mes rêves lorsque j’étais jeune, mais dans ma tête, Radio-Canada c’était le Québec, c’était Montréal, c’était loin, ce n’était pas à nous. Mais lorsqu’il m’a dit « toi », ça m’a fait penser. Puisque j’étais sur l’assurance-chômage, je devais postuler pour des postes quand même. Donc j’ai fait demande. Je n’ai pas eu le poste, mais on m’a offert un contrat, et c’est comme ça que ça a commencé.

Qu’est-ce qu’il vous a poussé, en 1998, a acheté Le Voyageur?

C’était un concours de circonstances. J’étais au Carrefour francophone en tant que directeur général et Le Voyageur était un de nos locataires. Un mercredi matin, un autre de nos locataires me dit : « As-tu lu Le Voyageur ce matin? Ils mettent le journal à vendre. » J’étais surpris; je ne l’avais pas encore lu. Il me demande ensuite : « Es-tu intéressé de l’acheter? » Et voilà!

Il faut dire que le prix était bon – le journal ne faisait pas d’argent – et je savais que je pouvais en faire un journal très important pour notre communauté et pour la communauté franco-ontarienne. Quand mon comptable m’a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi le journal ne faisait pas 100 000 $ de profit par année, là ça m’a vraiment motivé encore plus.

Pendant quatre ans, j’ai travaillé au Carrefour tout en gérant Le Voyageur. Je ne retirais pas de salaire du journal au début, donc le Carrefour était ma plus grande priorité. Ensuite, la cinquième année, alors que le journal était plus stable, j’ai pu quitter le Carrefour et m’investir à temps plein dans le journal.

Pourquoi l’avez-vous vendu?

Ça faisait deux ou trois fois que Paul Lefebvre avait fait une proposition. Il avait déjà Le Loup et il avait lancé un journal à Timmins à l’époque. En plus, je voyais au Voyageur un grand coup de barre à donner. Je voyais venir les difficultés de la presse écrite. Je voulais refaire complètement la version papier, je voulais mettre tout le journal sur le web, je voulais une section web payante. Je voyais tout ce changement comme un défi assez important, et j’avais quand même 60 ans. C’était une décision difficile, mais c’était mieux comme ça.

Le leader francophone de Sudbury, Réjean Grenier. Crédit image : Patrick Imbeau

Vous n’êtes pas originaire de Sudbury. Lorsque vous êtes emménagé pour aller à l’Université Laurentienne, comment avez-vous vécu cette transition?

Quand tu viens de Ramore, Sudbury, c’est la grande ville. C’était aussi la fin des années soixante et le mouvement hippie battait son plein. On était une gang de Franco-Ontariens qui se sont rencontrés à l’université qui n’était plus de la génération précédente, obéissante et catholique. Immédiatement, on se reconnaît, on s’assemble et on crée des choses. On crée La Nuit sur l’étang, on crée Prise de parole, on crée le Théâtre du Nouvel-Ontario, tout ça alors que j’étais à l’université.

Le mouvement nous donnait une certaine fierté. Bien des gens n’étaient pas d’accord avec nous. On avait les cheveux longs et on fumait de la drogue dans les corridors de l’université. Mais on sentait qu’on était un noyau fort.

La génération avant nous n’avait pas été assise sur ses deux mains non plus. Mais nous, nous étions plus jeunes et plus fous. Plus confiants, peut-être à tort, mais quand même. On était prêt à prendre des risques. Il y avait un sens de confrérie, qui a été la clé du mouvement du Nouvel-Ontario.

Comment cet esprit du Nouvel-Ontario a-t-il marqué votre parcours?

Tout a commencé avec Fernand Dorais. Il a été un maître à penser de plusieurs jeunes de notre génération. Surtout auprès de gars; M. Dorais était quand même assez misogyne. Il nous a enseigné la praxéologie, cette idée que la mesure d’un homme est l’action.

Être journaliste, c’est un peu être à l’extérieur de l’action. Mais rendre compte de l’actualité est aussi une action en soi. À l’époque, c’était une action importante. Maintenant, j’en suis moins convaincu.

Mais c’était aussi important d’en sortir et de s’impliquer plus directement. Je voyais le Carrefour francophone tous les jours, juste en face de Radio-Canada, et je ne pouvais pas comprendre pourquoi il faisait faillit. Je me suis dit que ça ne pouvait pas tomber à l’eau! La meilleure chose qui m’est arrivée, ça a été d’entrer en fonction à Radio-Canada. La deuxième meilleure, ça a été d’en sortir.

Le journalisme et l’AFO ont été le véhicule de votre engagement social. Mais, dans les deux cas, vous sentiez que votre action était limitée par ces institutions. Quel serait le véhicule idéal pour l’action?

Je dirais la politique, mais même là, on est limité par notre parti, sa plateforme, son chef. Je pense que pour avoir des résultats, la continuité est plus importante que le véhicule. C’est une question de ne jamais s’arrêter. L’important, c’est de ne jamais perde qui tu es, de quelle communauté tu fais partie, et pourquoi tu t’engages. Ensuite, la continuité donnera des résultats.

Vous vous êtes déjà lancé en politique fédéral en tant que membre du Parti libéral. Peut-on s’attendre à un retour?

J’aurai 67 ans la semaine prochaine. La politique, c’est la place des jeunes. L’avenir appartient à la jeunesse, et notre rôle devrait être de l’appuyer, d’influencer ses idées et parfois même, de freiner ses élans. Quoique je ne croie pas beaucoup aux freins. J’aime mieux peser sur le gaz! »


LES DATES-CLÉS DE RÉJEAN GRENIER

1951 : Naissance

1969 : Emménagement à Sudbury pour fréquenter l’Université Laurentienne

1977 : Commence sa carrière en journalisme à Radio-Canada

1996 : Devient le directeur général du Carrefour francophone

1998 : Devient propriétaire du journal Le Voyageur

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