Renée Amilcar, futur visage du transport en commun dans le monde?

Renée Amilcar est la directrice générale d'OC Transpo, la société de transport ottavienne. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR+] 

OTTAWA – Le train léger a été l’élément déclencheur de la venue de Renée Amilcar à Ottawa. La directrice générale d’OC Transpo, l’organisme chargé des transports urbains de la capitale, est aussi candidate à la présidence de l’Union internationale des transports publics, et pourrait, si elle remporte les élections en mars prochain, devenir le nouveau visage du transport en commun mondial.

« Quel a été votre parcours professionnel?

J’ai commencé ma carrière dans l’aéronautique, puis j’ai fait un petit tour dans les télécommunications, chez Nortel Networks. Avant de devenir directrice générale à OC Transpo, j’ai exercé pendant 19 ans à la Société de transport de Montréal (STM). Là-bas, j’y ai trouvé mon but. J’ai occupé presque tous les niveaux.

J’ai commencé dans le département d’ingénierie et, au fil des années, puis je suis devenue chef de secteur de la planification, intendante de centre de transport, directrice adjointe et enfin directrice. En 2010, j’ai été la première femme directrice dans une société de transport. C’est malheureusement un travail que l’on attribue souvent aux hommes âgés ou près de la retraite.

Quels moments de votre carrière vous ont-ils particulièrement marquée?

Carl Desrosiers, qui était un directeur général extraordinaire et qui croyait beaucoup aux femmes, m’a nommée directrice exécutive avant son départ. J’avais alors 5 300 employés, cinq directions et tout ce qui est autobus, parabus, chauffeurs, mécaniciens, ingénieurs et tous ceux qui participaient à la livraison du service.

Aussi, en 2017, lorsque la mairesse de Montréal Valérie Plante briguait son premier mandat, elle voulait atteindre un objectif : augmenter de 15 % le parc d’autobus de la Ville. C’était impossible pour le commun des mortels, je peux vous le dire. Finalement, mon équipe et moi avons réussi à le faire.

Puis, en avril 2018, j’ai reçu le Prix leadership de femme d’exception dans la catégorie grande entreprise par la Fédération des chambres du commerce du Québec. C’était une reconnaissance de l’ensemble de mon travail.

La même année, on m’a dépêchée sur la table des négociations de la STM pour le plus gros syndicat, celui des chauffeurs. Les négociations stagnaient et c’était vraiment un virage très difficile, avec les nouvelles lois qui encadraient le régime de retraite. Pendant trois mois, j’ai négocié et signé une entente collective record sur tous les points et pour sept ans.

Renée Amilcar est arrivée à la direction d’OC Transpo en 2021. Gracieuseté

Pourquoi briguer le poste de présidente de l’Union internationale des transports publics (UITP)?

Si ça se concrétise en mars, je serai la première femme, en 128 ans, à être le visage du transport en commun à travers le monde. Ce qui pourrait me rendre extrêmement fière. Personnellement, ce serait une des réalisations importantes de ma vie. L’UITP comprend les bus, les taxis, les métros, les trains, les trains légers, le vélo … tous les modes de transport dont la maison mère est à Bruxelles.

Comment est né un tel intérêt pour les transports en commun?

Je trouvais que le transport en commun avait une grande place dans mon quotidien. Je le prenais pour aller au secondaire et au CÉGEP (Collège d’enseignement général et professionnel, au Québec). C’est peut-être aussi quelque chose de plus tangible pour monsieur et madame tout le monde. Contrairement à l’aéronautique où ce sont plutôt les élites qui peuvent se payer des jets privés.

J’aime le transport public et suis tombée en amour pour le train léger à Ottawa. Avant, je n’avais pas eu l’occasion de toucher à un tel projet à Montréal.

Quelles études universitaires avez-vous suivies pour travailler dans ce secteur?

Je suis diplômée de l’École Polytechnique de Montréal en génie industriel, et j’ai aussi une maîtrise en administration des affaires. Depuis trois ans, j’ai un certificat avec de gouvernance au féminin, qui m’a donné plus d’outils pour gérer les conseils d’administration.

La directrice générale d’OC Transpo est très impliquée au sein de l’Union internationale du transport public. Crédit image : STM

Comment êtes-vous arrivée à la tête d’OC Transpo?

J’ai reçu un appel d’une chasseuse de têtes et il faut savoir que normalement je refuse toutes les offres mais, pour une raison qui m’échappe, cette fois-là, j’ai dit oui. J’ai embarqué dans le processus de recrutement, mais après trois mois, j’ai refusé l’offre. J’hésitais peut-être encore. Quelques jours seulement après, le train léger a déraillé et j’ai finalement rappelé pour accepter l’offre. J’ai senti que c’était un beau challenge, et maintenant ça fait 16 mois que je suis ici.

Comment gérez-vous la perte de confiance dans le transport en commun à Ottawa, suite notamment aux déraillements du train léger?

Je n’ai pas peur. Bien au contraire, ça m’attire. J’étais à un stade de ma vie où j’avais besoin d’un gros challenge et quand j’ai appris que le train avait déraillé, je me suis dit que c’était un problème technique. Avec mon approche d’ingénieure, mon expérience et mes contacts, je me suis dit « quel beau challenge de venir aider à fixer ça ». Je vous épargne les détails, mais j’ai fait mes devoirs.

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans ce projet?

C’est définitivement le train qui m’a amené ici. Comme j’ai fait le tour des autobus, je voulais voir quelque chose de nouveau et mettre en application mon expérience dans un autre contexte. À la STM, j’ai commencé au département d’ingénierie et j’ai quand même fait tous les échelons, alors arriver à la tête d’OC Transpo, c’est sortir de ma zone de confort. Je ne connaissais pas les gens ni la ville, le contexte est anglophone. En plus, Ottawa, c’est très grand comparé à Montréal.

En 2018, Renée Amilcar a reçu le prix Leadership femme d’exception. Crédit image : Fédération de la Chambre du commerce du Québec

Avoir la main sur le transport en commun, c’est aussi avoir un impact sur le quotidien des utilisateurs. Il y a une véritable de notion de service, n’est-ce pas?

Je vous dirais que c’est ça qui me drive. Quand j’étais petite, je voulais être médecin. J’ai toujours voulu être au service des gens. Je pense qu’en étant ingénieure et travaillant dans le transport en commun, je suis au service des gens. Je mets tous mes atouts en application, dont la technique. Je suis chanceuse. J’étais bonne à l’école. Les mathématiques, la chimie, la physique et le reste, c’était pas mal mon truc (Rires).

Je crois qu’avant tout, je voulais sentir que je faisais quelque chose de concret. Tous les jours, quand je rentre chez moi, je me dis que je fais une différence. C’est mon gagne-pain, mais c’est ce qui me motive. Puis, c’est exactement pareil avec mes employés. J’aime travailler avec eux.

Par exemple, je suis allée avec la conseillère municipale Laura Dudas faire du porte-à-porte toute une après-midi pour expliquer ce qui s’en vient avec le mur qui est en train de s’ériger pour le train léger. Si je comprends un problème, je peux ensuite aider.

En termes de transports en commun, la capitale est-elle un terrain de jeu pour vous?

Absolument. J’adore même. Le fait est que je travaille avec l’international aussi, donc en discutant de nos défis, je sais qu’on va remonter la pente. La pandémie a affecté tout le monde et le transport en a eu pour son rhume. Quand on voit ce qui se passe dans cet univers, on se réinvente. Avec mes collègues à Ottawa, c’est ce qu’on fait. Comment faire mieux, à moindre coût? D’ailleurs, un des aspects vraiment fun du transport, c’est qu’on peut se réinventer tous les jours.

Comment vivez-vous le fait d’être la première femme noire directrice générale à OC Transpo?

Il y a une fierté, mais cette fierté se conjugue beaucoup avec une désolation. Quand on dit : « la première femme », en fait, les femmes existent depuis toujours. Je rêve d’un jour où on aura plus besoin de dire « c’est la première femme ».

Par contre, si c’est ce que ça prend pour briser le plafond de verre, si ça prend ça pour donner le coup de pouce aux jeunes filles, eh bien pourquoi pas! Après, je ne fais pas ces choses pour être la première, je le fais parce que je suis audacieuse. J’aime oser, je suis une battante, travailleuse et bonne vivante. En fin de compte, ça paie parce qu’il y a une reconnaissance, mais je ne le fais pas pour ça.

Renée Amilcar est passionnée par le transport public. À Ottawa, elle s’intéresse particulièrement au train léger. Crédit image : STM

Quel conseil donneriez-vous aux autres femmes?

Mais mon conseil, c’est qu’il faut oser, aimer les gens et aimer ce qu’on fait. Si c’est possible de montrer le chemin, je suis pour la parité et l’égalité des sexes. Je ne me lève pas le matin en me disant que j’ai une bataille à donner. Mais je suis une passionnée dans la vie, alors ce qui en découle tant mieux. Si ça peut aider, j’en suis bien contente.

Vous allez entamer un changement radical de la flotte d’autobus de la ville en autobus électriques. En quoi est-ce un projet fondamental pour Ottawa d’un point de vue environnemental?

Je pense sincèrement que l’on doit réduire notre empreinte. La terre se réchauffe, on l’a vu cet hiver. D’ailleurs, nous n’avons pas réellement eu d’hiver. Si on peut contribuer, ce n’est pas beaucoup demandé. C’est aussi un legs. On ne veut pas laisser à nos enfants une terre qui se brûle. Peu importe l’initiative, il faut aller de l’avant. En tant que société de transport, on réduit notre empreinte et en prenant le transport en commun et pas la voiture, les usagers contribuent à cela. »


LES DATES-CLÉS DE RENÉE AMILCAR :

1968 : Naissance à Haïti

1996 : Diplômée en génie industriel de l’École Polytechnique de Montréal

2002 : Arrivée à la Société de transport de Montréal (STM)

2017 : Première femme élue présidente au sein du comité autobus de l’Union internationale des transports publics (UITP)

2018 : Prix Leadership femme d’exception de la Fédération des Chambres du commerce du Québec

2021 : Directrice générale d’OC Transpo

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