Réouverture des terrasses : soulagement à Toronto, irritation dans l’Est

Une aire de stationnement convertie en gigantesque terrasse sur la rue Richmond, à Toronto. Crédit image: Rudy Chabannes

TORONTO – Ce vendredi marque la réouverture des terrasses de bars et de restaurants, partout en Ontario, à l’exception du Nord-Est. La phase 1 du plan d’action pour le déconfinement autorise dorénavant la consommation extérieure dans la limite de quatre personnes par table. Si à Toronto, les restaurateurs déploient avec soulagement les tables devant leur enseigne, dans l’Est, les professionnels reprennent leur activité avec la déception d’être soumis aux mêmes restrictions que les zones les plus touchées par la COVID-19.

La rue Queen Ouest a retrouvé son effervescence habituelle, ce vendredi. L’artère torontoise est saturée par le trafic routier, les files de clients devant les boutiques de prêt-à-porter s’étirent sur plusieurs blocs, tandis que les restaurateurs déplient leurs parasols et positionnent leurs chaises à distance réglementaire.

Shamez Amlani n’échappe pas au rituel. Après sept mois de fermeture, c’est la délivrance pour le patron du restaurant La Palette. « Si on fait 50 couverts, on va être content », dit-il. Celui qui d’ordinaire cumule 150 couverts la journée et 200 le soir, avec ses 70 places, sait qu’il devra composer avec une capacité très réduite. Mais il compte sur la fidélité de ses habitués, la météo estivale et la levée progressive des restrictions pour sauver sa saison.

« Le principal défi qu’on a eu a été de retrouver du personnel, car certains de nos employés sont définitivement partis dans d’autres pays où l’activité a repris ou ont changé de métier », explique M. Amlani qui a dû former une nouvelle équipe en peu de temps.

Shamez Amlani, le propriétaire de La Palette, à Toronto. Crédit image : Rudy Chabannes

Les restaurateurs de toute la ville sont d’ailleurs engagés dans une course contre la montre pour réembaucher du personnel.

Jean-Régis Raynaud, le chef du Baratin, ne réouvrira que mardi, le temps que ses employés quittent leur activité actuelle pour rejoindre le bistrot du quartier Little Portugal. « C’était mieux pour nous, pour se préparer, commencer en douceur et monter en puissance », confie-t-il. « La reprise va être physique pour tout le monde. Ça prendra deux semaines pour retrouver la cadence. » M. Raynaud a pu étendre sa terrasse pour compenser en partie le manque à gagner lié aux mesures de distanciation.

En revanche, le bon côté de cette longue parenthèse pandémique est d’avoir poussé les restaurateurs à s’adapter. Plusieurs d’entre eux entendent même poursuivre des initiatives lancées durant le confinement, comme le concept de boutique, qu’ils comptent coupler à la restauration traditionnelle.

« Avant la pandémie, on était un restaurant. Pendant la pandémie, on est devenu une boutique de vin. Et maintenant, on va devenir les deux : les gens vont manger dans la boutique, au milieu des produits en vente. Ils pourront choisir et prendre ce qu’ils veulent consommer », raconte M. Amlani, un concept qu’il a découvert à Paris il y a de nombreuses années et que le déconfinement a rendu à présent opportun.

Dans l’Est, un décalage incompréhensible avec le voisin québécois

Dans l’Est, l’ambiance est différente. Si on salue la reprise, le mécontentement est palpable. « On est situé à cinq minutes de la frontière avec le Québec », rappelle Charles Lamarche. « Là-bas tous les restaurants sont ouverts à l’intérieur et à l’extérieur. Ça n’a pas de bon sens. On n’a rien contre Toronto, mais ici le nombre de cas n’est pas aussi élevé », observe le patron du restaurant Le Chardo, à Alfred, qui plaide pour une approche ontarienne régionalisée et moins sévère pour les zones moins frappées par le virus.

Il craint un impact sur la saison estivale si le plan de déconfinement ne se déroule pas plus vite que prévu dans l’Est. Pour compenser la perte de place due à la distanciation, il a dû ajouter des chapiteaux. « Ça entraine des coûts, mais c’est un investissement pour que la roue continue à tourner et que le monde revienne », espère-t-il.

« On n’a rien contre Toronto, mais ici le nombre de cas n’est aussi élevé » – Charles Lamarche

Les restaurateurs appréhendent les prochaines semaines avec prudence. L’expérience du printemps dernier avec la réouverture temporaire reste gravée dans les mémoires et montre que rien n’est jamais acquis. « On va voir comment ça va se passer », dit M. Amlani. « On a l’été avec nous, mais en même temps on ne compte sur rien. On se méfie d’une quatrième vague si les vaccins ne fonctionnent pas bien sur les nouveaux variants. »

« J’ai un bon feeling : de juillet à octobre, on peut faire un beau chiffre », pressent M. Raynaud qui espère rouvrir à l’intérieur avant la fin du mois d’août. « Mais il ne faut pas oublier que novembre-décembre est aussi un moment très important pour nous. L’hiver devrait être excellent. »

« Avec le vaccin, on s’en va dans la bonne direction », estime enfin M. Lamarche. « On va s’en sortir, mais on espère que c’est le dernier coup. Si ça revient chaque année, on en vient à se poser des questions. »

Les terrasses torontoises ont été prises d’assaut pour la première fois depuis sept mois. Crédit image : Rudy Chabannes